millénaire du christianisme, les
théologiens se sont souvent interrogés sur la bipartition de l’autre monde.
Était-il possible que les hommes, tous autant pêcheurs qu’ils le sont, aient
été condamnés à des peines pour l’éternité? Il y a certes des pêcheurs qui
resteront impénitents, même dans l’au-delà, mais beaucoup ont fauté dans des
circonstances ambiguës, n’étant pas en pleine possession de leur volonté. C’est
ainsi qu’apparue l’idée d’un troisième lieu cosmique où les trépassés pouvaient
payer leurs peines durant une certaine durée de temps avant d’accéder au
Paradis. Telle est l’origine de ce site mitoyen, le Purgatoire, dont Jacques Le Goff a été le premier à en tracer le parcours.Ce sont les frères prêcheurs, les Dominicains essentiellement, qui parvinrent à consolider les opinions théologiques concernant le Purgatoire. Albert le Grand et à sa suite Thomas d’Aquin ont cherché, après Jacques de Vitry, à définir le statut et les paradigmes de ce tiers-monde. Enfin, après le second concile de Lyon, le 1er novembre 1274 :
suffrages des fidèles vivants, à savoir les sacri-fices des messes, les prières, les aumônes et les autres œuvres de piété que les fidèles ont coutume d’offrir pour les autres fidèles selon les institutions de l’Église. Les âmes de ceux qui, après avoir reçu le baptême, n’ont contracté absolument aucune souillure du péché, celles aussi qui, après avoir contracté la souillure du péché, en ont été purifiées ou pendant qu’elles restaient dans leur corps ou après avoir contracté la souillure du péché, en ont été purifiées, ou pendant qu’elles restaient dans leur corps ou après avoir été dépouillées de leur corps, comme il a été dit plus haut, sont aussitôt reçues dans le ciel». (Cité in J. Le Goff. Naissance du Purgatoire, Paris, Gallimard, Col. Bibliothèque des histoires, 1981, pp. 382-383).
lieux parallèles, un de nature purement matérielle, relevant de
la cosmologie ptoléméenne; l’autre appartenant à une cosmologie mystique qui
serait symbolisé par cette montagne qui s’élève comme un pic se rétrécissant
jusqu’au Paradis des Élus? Quoi qu’il en soit, Le Goff précise bien que «le Purgatoire n’est pas souterrain. Son
niveau est celui de la terre, sous le ciel étoilé. Un vieillard, un sage de
l’Antiquité, Caton d’Utique les accueille [Dante et Virgile] car il est le gardien du Purgatoire.
Celui-ci est une montagne dont la partie basse est une antichambre, un lieu
d’attente où sont dans l’expectative les morts qui ne sont pas encore dignes
d’entrer au Purgatoire proprement dit. La montagne dresse dans l’hémisphère
sud, occupé, selon Ptolémée que suit Dante, par un océan désert impénétrable
aux hommes vivants. Elle s’y élève aux antipodes de Jérusalem (II, 3, IV, 68
sqq.)» (J. Le Goff. Ibid. pp.
450-451).
cerchie, cinghi, cornici, giri, gironi) dont la circon-férence diminue en allant vers le sommet. Les âmes y purgent les sept péchés capitaux : dans l’ordre, l’orgueil, l’envie, la colère, la paresse, l’avarice, la gourmandise, la luxure. Au sommet de la montagne, Virgile et Dante entrent dans le paradis terrestre où se passent les six derniers chants du Purgatorio (XXVIII à XXXIII)» (J. Le Goff. Ibid. p. 451). C’est au seuil du Paradis que Virgile sera tenu d’abandonner Dante aux soins de Béatrice qui le guidera dans ce nouveau lieu.
troublées de
l’histoire romaine. Celui de la fin de la République démocratique et le début
de la dictature et de la royauté avec des aventuriers comme Marius, Sylla et
surtout Jules César. Devant ces individus audacieux mais arrogants, c’est ce
descendant d’une vieille famille plébéienne qui voudra faire renaître au sein
d’une aristocratie épuisée ses anciennes valeurs, dont la gravitas qui permit aux premiers Romains de se défaire des
rois étrusques tyranniques. Caton sera de tous les efforts pour repousser
l’hellénisme étranger venu d’Orient et que transportent à la semelle de leurs
sandales les Pompée et César de ce monde. Ce sont les antiques valeurs de la
Rome ancienne que respectait Virgile dans son hommage à Caton et celles que
chérit Dante à une époque où les vices et les corruptions sont de toutes les
aventures italiennes.
souleva d’horreur et demanda un poignard pour
abattre le tyran? Parce qu’élu questeur en 65, il se signala par sa rigueur en
examinant les archives du Trésor, y cherchant les irrégularités financières et
forçant la rectification? Parce qu’il se tint à côté de Cicéron pour étouffer
la conjuration de Catilina en 63? Tous
ses gestes suffisent à montrer à quel point la rectitude morale et l’honnêteté
de Caton, ce jeune homme encore âgé dans la trentaine, ne laissait passer
aucune concession à cette époque où la corruption se développait hardiment dans
la Rome antique. Lors de la guerre civile amorcée en -49, il se trouvait gouverneur
de la Sicile. Il refusa de prendre parti pour César et organisa la résistance
en prenant le parti de Pompée. Après la défaite de Pharsale et la mort de
Pompée, il rassembla ce qui lui restait d’armée et se rendit en Afrique,
rejoignant Q. Metellus Scipion qui, à la tête de quelques troupes, s’apprêtait
à résister aux armées de César. Jadis
son bisaïeul, Caton le Censeur, avait affronté Scipion l’Africain dans sa fonction
de Censeur. Maintenant, le sort devait jouer contre les descendants cette fois réunis
devant un même ennemi. Metellus Scipion fut vaincu à Thapsus et Caton s’enferma
dans Utique.
Malgré l’humeur de la population, si
inquiétante qu’il avait cru devoir mander à Scipion et à Juba de se détourner
de la capitale, il songea d’abord à résister encore. Le 9, au matin, il adjura
les Trois-Cents, c’est-à-dire, probablement, l’assemblée qui représentait les
résidents romains de la Cité, de remplir leur devoir. Mais ils n’auraient pu
reconstituer quelques cohortes qu’en affranchissant leurs esclaves, et ils hésitèrent,
malgré le respect que leur inspirait sa personne, à s’engager envers lui à
accomplir un acte qui les ruinait pour une cause qu’ils n’avaient jamais aimée.
Puis, quand ils eurent assisté à l’entrée navrante, dans leurs murs, de 1 500
cavaliers qui avaient fui de Thapsus, et qui, dans la rage de leur déconfiture
et l’énervement de leur fatigue, avaient, chemin faisant,
brûlé et pillé
Pheradi Mius (Henchir-Fradis), et qui maintenant parlaient d’assommer tous les
suspects d’Utique, ils déclinèrent formellement toutes les propositions de
Caton, et lui déclarèrent net que, désireux de s’abstenir de toute hostilité
contre César, ils se borneraient à lui envoyer une députation de suppliants.
Alors seulement Caton comprit que la partie était perdue et n’eut plus que deux
préoccupations : assurer l’ordre dans la ville pour sauver les vies des
sénateurs romains qui s’y étaient réfugiés; et, quand cette tâche serait
achevée, se soustraire, non par la fuite, mais par le suicide, au pardon comme
à la vengeance de César. Le 12 avril = 12 février au soir, il discuta
philosophie avec les convives de son dîner, et soutint, avec une chaleur où ses
auditeurs pressentirent sa funèbre résolution, que l’homme de bien est toujours
libre. Avant de passer dans sa chambre à coucher, il embrassa son fils, se fit
remettre, pour le relire, son volume du Phédon, et réclama son épée à ses serviteurs avec une telle violence qu’ils
n’eurent pas le courage de la lui cacher plus longtemps. Un peu après minuit,
il s’inquiéta de savoir si les navires sur lesquels avaient pris passage les
séna-
teurs et leurs familles avaient quitté le port; puis il renvoya l’affranchi
qui lui avait apporté le suprême apaisement d’une réponse affirmative, et,
demeuré seul, il s’enfonça son épée dans le ventre. Il ne mourut point sur le
coup, mais tomba sans connaissance. Quand il reprit ses sens, ce fut pour
repousser le médecin qui le pansait, et, malgré la présence de son fils et de
ses amis, il succomba volontairement aux souffrances de sa blessure qu’il avait
rouverte. Avec Caton, qui pour la postérité sera désormais Caton d’Utique,
tombaient, non seulement le dernier croyant des “Républicains”, mais la
“République” elle-même qu’ennoblit son trépas. Cette mort, d’une grandeur
farouche, que l’optimisme désespéré des Stoïciens inspira plutôt que la frêle
espérance de Platon, et qu’ils proposèrent comme exemple de la magnanimité où
culmine la sagesse antique, permit à Caton d’idéaliser par son héroïsme le
régime auquel, dans son amour de la liberté, il n’avait pas voulu survivre, et
que, dans son aveuglement doctrinaire, il n’avait su, ni réformer à temps, ni
défendre à l’heure des inévitables règlements de comptes» (J. Carcopino. Jules César, Paris, P.U.F., Col. hier,
1935, pp. 453-454).
ses
moindres détails, entendirent imiter son geste. En commen-çant par l'auteur de maximes, Chamfort qui, comme Caton, s'acharna du mieux qu'il put pour se donner la mort, mais surtout parmi les Girondins : Valazé se poignarda en pleine salle du tribunal où il était jugé avec ses amis; Condorcet se serait administré un poison violent; Roland apprenant l'exécution de son épouse se jeta sur son épée; Barbaroux qui se tira une balle dans la mâchoire, tout comme Robespierre un mois plus tard, à Paris, cédant devant les complots d’intrigants au jour du 9 thermidor. Derrière ces suicides héroïques se profile l’exemplum de Caton d’Utique.
luttaient contre des
forces impériales, pontificales ou royales qui menaçaient leur liberté et leur
indépendance. Mais comment éviter l’enfer à un homme aux si grands mérites mais
qui s’est acharné à se donner la mort, ce qui est un crime de lèse-divinité
pour les chrétiens? Si, d’un côté, il s’avérait moralement difficile de placer
Caton avec les pendus de l’Enfer, d’un autre côté, il ne pourra jamais accéder
au Paradis. Ni l’Enfer, ni le Paradis. Dante a sa façon bien particulière de se
figurer le Purgatoire non seulement comme un aérogare de transit vers le Paradis, mais un lieu permanent où, à chaque âme
poussée vers l’ascension céleste, dix autres y entrent pour attendre la
rémission finale de leurs fautes.
condamnait. Compte tenu de la sensibilité des chrétiens à l'époque médiévale, il était courant de voir beaucoup d'entre eux éprouver des remords
inouïs face au péché et à l'angoisse de la damnation. Le Mal est-il inscrit dans nos gènes,
demanderait un chrétien moderne? Sans doute, mais on sait depuis Paul et
Augustin que ce Mal peut être «manipulé» pour le bien. À l’adresse des uns qui finiront par
expier leurs péchés et entrer directement au Paradis, il y a les maladroits qui
succomberont sans jamais avoir l’occasion de confesser leurs péchés, soit sur
un champ de bataille, soit sur un navire en mer, soit à la suite d’une maladie
foudroyante, comme la peste. Moralement et psychologiquement, le Purgatoire
s’avérait une nécessité. Moralement, afin de maintenir la communauté chrétienne
dans sa confiance dans la grâce divine dispensée via l'Église; psychologiquement, afin de ne pas détruire les psychismes trop faibles, prompts à la résignation et se
condamnant à une vie perpétuellement triste et mélancolique. Mais cette
invention ecclésiologique allait devenir, détourné de son but, une occasion
d’usure des plus friponnes pour la cour pontificale.
Annibal; il était alors sous les ordres de Q. Fabius
Maximus où il servit jusqu’à la fin de la guerre. À trente ans, il était le
questeur de Scipion en Sicile, puis il partit avec lui en Afrique. En 198 av.
J.-C, il était préteur en Sardaigne, consul trois ans plus tard; enfin, en 184,
il reçut la charge de censeur. C’était un soldat, un juriste, un homme d’État,
un fermier, un écrivain, mais par-dessus tout, ce fut un très grand caractère.
terrible et plus modéré que
pendant la période où Caton l’avait représenté”. Il marchandait le prix des
contrats pour les travaux publics, faisait monter celui de l’affermage des
terres. S’il lui arrivait de découvrir dans la conduite d’un ennemi ou d’un ami
quelque malhonnêteté, il n’hésitait jamais à lui infliger un blâme, au nom de
l’intérêt général. Les discours de Caton étaient célèbres; Cicéron, qui en
avait lu cent cinquante, déclara “qu’ils présentent toutes les qualités du
grand art oratoire”. Ses aphorismes mordants sont devenus proverbiaux, ce sont
des chefs-d’œuvre d’habileté, car il connaissait toutes les finesses de la
dialectique. Il se chargea lui-même de l’éducation de son fils et fit pour lui
des livres de grammaire, de droit et d’histoire, car il ne pouvait admettre
qu’un autre que lui lui inculque une chose aussi précieuse que l’instruction.
Il lui apprit l’équitation, la boxe, la lutte, la natation et la culture de la
terre. Ce fut certainement un père autoritaire et exigeant, cependant il
déclarait que frapper sa femme ou son enfant, “c’était porter atteinte à ce que
l’on avait de plus sacré”, et qu’un “bon mari méritait plus d’estime qu’un
grand sénateur”, ce qui dans sa bouche était le plus grand des compliments.
Alors qu’il était censeur, il promulguait règlement sur règlement pour
restreindre par de lourds impôts, ou même pour interdire purement et simplement
le luxe que des flots de richesses déployaient à Rome. Il
jouissait d’une
réputation et d’une influence extraordinaire, partout on sollicitait ses
conseils car, comme le dit Tite-Live, ce qu’il y avait d’étonnant chez cet
homme exceptionnel, c’est qu’on l’eût cru spécialement doué pour chacune des
choses qu’il entreprenait. Il conserva jusque dans la vieillesse une grande
vigueur de corps et d’esprit; arrivé au terme de la course, il montra la même
ardeur que ceux qui prennent le départ et dont la renommée est à faire. La renommée, il l’avait acquise depuis longtemps, mais n’a jamais abandonné les
devoirs qu’elle lui imposait» (R. H. Barrow. Les Romains, Paris, Payot, Col. P.B.P. #
20, s.d., pp. 53-54).
faisait une gloire de son ascétisme et prenait un méchant plaisir à s’opposer
au plaisir d’autrui. Il avait l’esprit étroit, était intransigeant, dur,
vaniteux, papelard, hypocrite et d’une suffisance insupportable, digne d’un
pharisien, sauf lorsqu’il défendait un idéal. Sans doute s’est-il composé un
rôle et le jouait-il avec exagération, il n’en reste pas moins que sa sincérité
était réelle. Il est aisé aussi de déformer les raisons qui faisaient de lui
l’ennemi de tout ce qui était grec; mais il faut le comprendre. Il savait le
grec, car tout homme d’État qui avait affaire à l’Orient devait savoir le grec.
Il avait lu toutes les œuvres des orateurs et des historiens grecs et pour
écrire son traité sur l’agriculture, il s’est inspiré d’un travail carthaginois
qui avait été traduit en grec. Il conseille à son fils de lire la littérature
grecque mais lui recommande de ne pas la prendre trop à cœur, car, dit-il, “les
Grecs forment une race de coquins incorrigibles”. Non pas que
Caton méprise
l’intelligence, mais il se méfie de l’usage qu’on en fait et qui, d’après lui,
sape les fondements du caractère. Le citoyen, ayant des principes de morale,
basés sur la tradition, qui se consacre au bien public et qui participe à un
gouvernement fort, éclairé et profondément honnête, voilà l’idéal de Caton. Les
Grecs qu’il avait l’occasion de rencontrer n’avaient plus la moindre notion de
politique, la politique était lettre-morte pour eux, mais cela ne les empêchait
pas de discuter et d’ergoter à perte de vue. Carnéade et Diogène, tous deux
philosophes, ont fait courir tout Rome pour les entendre; “c’était comme un
grand vent qui soufflait à travers la ville”. Caton s’en effraya; il estimait
que les orateurs grecs n’avaient rien à dire et qu’ils parlaient trop. Pour lui,
l’orateur devait répondre à la définition suivante : Vir bonus dicendi
peritus, un homme de bien qui sait parler. Au temps de Socrate, les sophistes
s’étaient vantés de prouver que la plus mauvaise des causes, en suivant leur
raisonnement, devenait la meilleure des causes; les Grecs du IIIe et du IIe
siècles étaient leurs héritiers. L’affirma-tion de la personna-
lité, si chère à Scipion, était un idéal dia-
métrale-
ment opposé à celui de Caton qui rêvait de citoyens tous solidaires, agissant au sein d’une communauté, d’après des principes de haute morale. L’influence personnelle et le charme étaient, pour lui, des armes redoutables. Le développement de la personnalité conduisait à l’égoïsme, à l’assouvissement des passions et tout cela au nom de l’art, de la culture et de la mode. On tarissait ainsi les sources de l’action, au sens où “les plus nobles des Romains” entendaient ce mot. Pour Caton, toute connaissance aboutissait à l’action et l’action était ce qui caractérise l’homme. L’introspection, la concentration de l’individu sur lui-même, entraînait un fléchissement de la morale collective et un relâchement des mœurs, situation qui préparait la voie au chef qui, par ses belles phrases et ses promesses fallacieuses, réussirait à envoûter un peuple devenu amorphe» (R. H. Barrow. Ibid. pp. 54-55).
caractère. Caton exalta les vertus qui valurent autrefois l’empire à Rome,
il dénonça les riches indignes et fit ses efforts pour rappeler à
l’aristocratie les devoirs de son rang. Ce n’était pas là convention,
faux-semblant ni duperie, Droit et austère, défenseur acharné de sa classe,
solide buveur et politicien pénétrant, le vrai Caton, loin d’être un rêveur, se
piquait d’être un réaliste d’un tempérament et d’une ténacité conforme à la
tradition romaine, nullement inférieur au grand ancêtre qu’il imita presque jusqu’à
la parodie, Caton le Censeur. Mais ce n’était pas seulement le caractère et
l’honnêteté qui donnèrent à Caton le pas sur les consulaires : il tenait
en main un écheveau d’alliances politiques au sein de la noblesse.
haïssait depuis sa tendre enfance; et il était prêt à acheter la plèbe de Rome
avec du blé ou de l’argent. Il voulait contrecarrer le général tout-puissant
qui revenait maintenant de l’Orient, avec ce mélange d’un caractère opiniâtre
et de la ruse politique que son ancêtre employa pour briser le pouvoir d’une
famille patricienne de tendance monarchique, les Scipions. Gloria, dignitas et clientelae,
l’apanage de l’aristocratie, devenaient
maintenant le monopole d’un seul. Il y avait en jeu plus que les privilèges
d’une oligarchie…» (R. Syme. La
révolution romaine, Paris, Gallimard, Col. Tel, # 32, 1967, p. 38).
le débat se livrât entre un proconsul rebelle et une
autorité légitime. Des expédients aussi aventureux sont habituellement l’œuvre
d’hommes au sang vif et à la tête confuse. L’erreur était double et fatale. La
désillusion survint vite. Même Caton était atterré. On s’était attendu en toute
confiance à ce que les éléments sérieux et considérés des villes italiennes se
rallient à la cause de la défense de l’autorité sénatoriale et des libertés du
Peuple romain, à ce que tout le pays se levât comme un seul homme contre
l’envahisseur. Rien de semblable n’arriva. L’Italie ne réagit pas à l’appel au
combat de la République en danger; elle ne croyait pas en ses défenseurs»
(R. Syme. Ibid. p. 57).
(Ancien et Jeune) sont
les stéréotypes du parfait Conservateur. D’un côté, la vertu : austérité,
honnêteté, puritanisme, ascétisme et frugalité. Bref, l’homme qui contrôle et
domine ses passions. De l’autre, l’opiniâtreté obtuse : vanité,
vantardise, hypocrisie, violence mais seulement si nécessaire. C’est plutôt
l’opiniâtreté que l’essayiste André Bercoff, journaliste franco-libanais (né en
1940), essaie de faire ressurgir de la personnalité de Caton, dont il
s’attribue le surnom. On se souvient de la fraude littéraire de 1983. Ce
pamphlet, supposément d’un homme de droite, avait été commandé par François
Mitterand et mis en scène par le jeune François Hollande, alors directeur de
cabinet de Max Gallo, porte-parole du gouvernement de Pierre Mauroy. Dans une
entrevue radiophonique, Hollande alla jusqu’à prêter sa voix à Bercoff pour ne
pas qu’on le reconnaisse. De la reconquête – c’était le titre frauduleux du livre de Caton -, avait pour
but de démoraliser les forces de droite. Or, jamais Caton, dans ses écrits, ne s’est
prêté à une farce aussi grossière. Par contre, les néo-conservateurs
occidentaux ne cessent d’en appeler aux valeurs défendues par Caton :
austérité, éthique, famille, patriotisme, démocratie libérale. Évidemment, à la
différence de Caton, ce sont des vertus dont ils se sentent eux-mêmes exclus
selon un privilège dû à leur position sociale ou politique. Ce qui leur manque,
et ce qui faisait l’essentiel aussi bien des qualités que des défauts de Caton,
c’est la sincérité.![]() |
| Auguste accorde sa clémence à Cinna |
un pouvoir
absolu sur sa propre personne, c’était authen-tifier ce pouvoir en lui conférant une certaine légalité. […] Admettre cette “clémence”, c’était aussi se prêter à la comédie morale qui consistait à faire passer pour une vertu ce qui n’était souvent qu’une forme d’orgueil ou de mépris, une façon de déshonorer l’adversaire, en faisant dépendre la vie d’un concitoyen de sa propre fantaisie, suivant qu’on lui accordait ou qu’on lui refusait sa grâce. C’est en grande partie parce que leur sort dépendait uniquement du bon vouloir de César et pour éviter l’humiliation qu’aurait constitué leur “pardon” que plusieurs Pompéiens – dont Caton et Marcellus – refusent de la solliciter…» (P. Jal. Ibid. pp. 464-465 et 465-466).
L’orgueil est, pour les Romains, la
moti-vation derrière le concept de liberté. La fierté du citoyen ne lui est véritable que s’il identifie sa liberté personnelle à celle de la Cité et de son gouvernement. Blesser l’orgueil d’un patricien ou d’un plébéien puissant, c’est blesser la vanité de la puissance de l’Urbs. Voilà pourquoi, depuis que la Mère de la Cité, Lucrèce, donna l'exemple, on se suicide tant dans le monde romain. Comme le rappelle Michel Meslin à propos du cas de Caton, justement :
espoir de vaincre César, mais pour rester fidèle à
la logique profonde de sa vie. Avec un certain bonheur dans l’inoppor-tunité, Caton a toujours été à Rome le champion des vertus tradition-
nelles; il s’est opposé à toute novation, en champion du mos majorum. Hostile à tout compromis politique, dès l’instant que la cause qu’il sert et les principes qui le guident risquent de s’en voir modifiés, il tire de son expérience politique un sentiment fort mitigé sur la valeur des hommes. Le comportement des Trois Cents d’Utique ne lui laisse aucune illusion sur leur fidélité; cependant il n’hésite pas à rédiger pour eux une supplique à César, dont il refuse pour lui-même la grâce. Il assure l’ordre dans la ville assiégée; il veille à l’embarquement des sénateurs romains; puis il réunit ses amis, pour un dernier repas, où il discute philosophie. Il est enfin seul, en face de lui-même. Il relit le Phédon, s’assoupit quelques instants, puis, ayant retrouvé son épée que ses proches lui avaient cachée, il la prend : “Maintenant, je m’appartiens”, dit-il, et se précipite sur elle. En tombant, il heurte une table : le bruit de la chute attire ses gens. Un médecin recoud la plaie, mais Caton, reprenant conscience, arrache le pansement et meurt. Or contrairement à d’autres suicides politiques, tel celui de Cicéron, Caton ne meurt pas pour échapper à une autre mort inéluctable et proche : César, ne serait-ce que par pure politique, l’eût gracié. Mais parce qu’il refuse de vivre par la grâce de César victorieux. Il ne refuse pas la vie, mais de la devoir à César et de ne plus pouvoir vivre dans l’exercice complet de sa liberté personnelle. Il l’a dit, le soir même, au dîner : “De quel droit un tyran peut-il octroyer la vie à ceux qui ne dépendent pas de lui, qui sont libres tout autant que lui?” Accepter de tenir son existence du bon vouloir du tyran, tel serait le déshonneur, l’humiliation suprême que Caton refuse en mourant librement. “Il lui fallait mourir, plutôt que de voir le visage du tyran”, dira de lui Cicéron (De Officiis, I, 31, 112). Sa mort est une victoire sur le tyran parce que, par elle, Caton
l’emporte sur César en honneur et en justice. En renversant ainsi les
valeurs du jeu politique, en protestant contre un état de fait brutal, contre
un changement des valeurs morales et légales sur la force, Caton, seul
résistant devant César, devient l’unique vainqueur. Sa mort même est le signe
de la victoire de l’homme libre. “J’envie ta mort, Caton, puisque tu m’as
enlevé la gloire de te sauver la vie”, avouera César. Cette sortie de
l’existence, que Caton choisit librement, ne s’explique ni par le sentiment
d’avoir échoué, ni par une incapacité psychologique à vivre, ni même par un
caprice. Sa mort est la fin logique de sa vie. Par elle, il témoigne de sa pietas
et de sa fidélité envers les normes
ancestrales qui régissent la cité et proteste contre le bouleversement
qu’apporte l’ambition de César. Caton, sanctissimus Cato, devient ainsi le modèle et l’exemple parfait
de la sainteté que peut atteindre l’homme raisonnable qui ne cède ni à
l’adversité ni à ses mauvais penchants. L’homme de bien est seul libre; les
méchants sont esclaves. Avec Caton la libertas qui était une valeur sociale et politique devient aussi une valeur
morale» (M. Meslin. L’homme romain, Bruxelles,
Complexe, Col. historiques, 1985, pp. 241-242)
puisqu’il brandit la menace à
plusieurs reprises. S’offusquant déjà de César jeune consul qui exige la
prestation d’un serment, en hiver 64 av. J.-C. : «César ne fut pas embarrassé pour coupé court à cette opposition à
retardement. Il fit voter par les comices une loi qui prononçait la peine de
mort contre quiconque refuserait le serment… et les sénateurs jurèrent sans
attendre l’expiration du délai qui leur avait été accordé. Caton fit comme les
autres. Il paraît qu’il avait cédé aux suppliques de sa femme et de sa sœur
auxquelles étaient venus se joindre de nombreux amis. “Mais celui qui réussit le
mieux par ses conseils à l’amener au serment, écrit Plutarque, ce fut l’orateur
Cicéron.” Celui-ci, qui avait jugé plus prudent de se retirer à la campagne
pendant cette période délicate, lui fit parvenir une lettre dans laquelle il
disait “qu’il n’était pas bien sûr que ce fût chose juste de résister seul à ce
qui a été généralement décidé; mais que de s’exposer pour changer l’impossible
et le fait accompli, c’est réellement sottise et démence”. La missive se
terminait par cette constatation flatteuse à laquelle son correspondant ne
pouvait pas rester insensible : “Si Caton n’a pas besoin de Rome, Rome a
besoin de Caton”» (G. Walter. César, Paris,
Albin Michel, rééd. Gérard & Cie, Col. Marabout Université, # 49, 1964, pp.
84-85).
d’Alexandre le Grand dans tout le Proche-Orient (Égypte, Mésopo-tamie, Grèce).
On peut dire de Caton d’Utique ce que Léon Homo écrit à propos de Caton le
Censeur : «En vain Caton, ce
représentant attardé du vieil esprit national, avait essayé, dans ce domaine
encore, de réagir contre l’hellénisme envahisseur. Vrai créateur de la prose
latine, il écrivit en latin son traité sur l’Agriculture et son grand ouvrage
historique des Origines. Mais son
opposition ne fut pas plus efficace sur le terrain littéraire que dans le
domaine politique ou social. On ne remonte pas un courant comme celui qui
emportait vers l’hellénisme la civilisation romaine tout entière. Du moins,
dans l’aventure, l’originalité romaine… - et le fait a une importance capitale
– n’a pas fait complètement naufrage. Si la Grèce, pour reprendre le mot
célèbre d’Horace, “a conquis son farouche vainqueur”, elle ne l’a pas du moins
conquis tout entier, et même au point de vue littéraire, la part du génie
national reste assez large pour que Rome ait le droit de la contempler avec
quelque fierté» (L. Homo. La
civilisation romaine, Paris, Payot, Col. Bibliothèque historique, 1930, p.
88).
qui, sur ses vieux jours, choisit lui aussi la mort volontaire pour se libérer
d’un monde qu’il n’avait pas vaincu : «L’épisode
surabonde en nobles traits. Ils ont visiblement enchanté Montherlant, qui les
narre dans Le Treizième César. À
Thapsus, César battit d’abord l’armée de Metellus Scipion. Ce dernier se passa
une épée au travers du corps, en répondant à ses soldats qui le
cherchaient : “Imperator se bene habet…” – ce que Montherlant traduit fort bien par :“Ne vous en faites
pas pour le général…” Caton, parvenu jusqu’à Utique, sur la côte au nord de
Carthage, s’arrangea d’abord pour faire mettre en sûreté ses partisans,
surveillant même leur embarquement. Puis, résolu à en finir, il se retira dans
sa chambre pour y lire le Phédon, où
Platon traite de l’immortalité. Le moment venu, il se fit remettre son épée.
Jugeant que ses esclaves mettaient trop de temps à la lui apporter, il gratifia
le premier qui se présenta d’un tel coup de poing en pleine figure qu’il s’en
démit la main – ce qui ne retient pas Montherlant d’en faire un humaniste
distingué. Cet accident vaudra d’ailleurs à Caton de se rater, de se voir
recousu, puis de s’éventrer une seconde fois. On le connaîtra désormais dans
l’Histoire sous le surnom de Caton d’Utique. Les autres résistants d’Afrique,
le roi Juba compris, furent tués au combat ou se donnèrent la mort pour ne
point tomber entre les mains de César. Inclinons-nous : de leur point de
vue, ils avaient raison. L’honneur était sauf» (L. Jerphagnon. Histoire de la Rome antique, Paris,
Tallandier, réed. Pluriel, # 8660, 1987, pp. 162-163).
Virgile apprivoise le sage gardien du Purgatoire, mais plutôt en parlant de son épouse, Marcia. On l’a vu, Caton semble avoir eu une
faiblesse pour l’autorité des femmes, sans doute des mères, comme la plupart
des hommes romains. L’oligarchie utilisait déjà les liens conjugaux pour unir
plus étroitement les partis et les gens. C’est
ainsi que Pompée crut s’attacher Caton par des liens matrimoniaux. Lorsque
Pompée «vit Caton s’opposer avec autant
de vigueur à ses demandes devant le sénat, il crut qu’il aurait grand avantage
à se l’attacher espérant ainsi pouvoir bénéficier de son influence auprès de la
majorité sénatoriale. C’est pourquoi, il fit demander à Caton ses deux filles
en mariage : l’une pour lui-même, l’autre pour son fils Sextus. Caton
refusa net et déclara à l’homme chargé d’entamer avec lui ces
négociations : `Va dire à Pompée qu ce n’est point par les femmes que l’on
prend Caton!”» (G. Walter. Op. cit. p.
86).
plupart des grandes
dames romaines non chrétiennes que Virgile touche le cœur de Caton. Marcia, on
le sait, avait été l’épouse de Caton jusqu’à ce que celui-ci la cède à Quintus Hortensius Hortalus afin que celui-ci puisse avoir des enfants avant de mourir,
vu son vieil âge. Après la mort de ce dernier, Marcia retourna fidèlement à son
premier époux qui la remaria officiellement.
«Marcia, repartit Caton, fut si
chère à mes yeux, qu’elle obtint de moi toutes les grâces qu’elle me demanda,
tant que je fus sur la terre. Maintenant qu’elle habite au-delà du fleuve
inexorable, ses prières ne peuvent plus m’émouvoir; j’obéis à la loi qui me fut
imposée quand je quittai les Limbes».
normale des femmes du temps : «Caton avait épousé Marcia, qui était une Romaine élevée par son père
dans les saines traditions. Épouse de Caton, elle ne pouvait que faire preuve
des vertus traditionnelles. Or, il se trouva que le vieil orateur Horensius
admirait beaucoup Caton, et, comme il était veuf, il demanda à celui-ci de lui
donner en mariage sa fille Porcia. Celle-ci était déjà mariée à Bibulus. Caton
qui, sans doute, aurait pu rompre le mariage, en vertu de sa patria
potestas, ne le voulut pas. Alors
Hortensius fit à Caton la proposition la plus extraordinaire qui fût, il lui
demanda de lui céder Marcia elle-même. Caton réfléchit, écouta les arguments d’Hortensius
et, finalement, consentit. Et c’est lui-même qui “mancipa” sa propre femme à
son nouveau mari» (P. Grimal. (éd.) Histoire
mondiale de la Femme : Préhistoire et Antiquité, s.v. Nouvelle
Librairie de France, s.d., p. 452). «Caton
réfléchit», rapporte Grimal. Mais à quoi a-t-il bien pu penser?
un bel héritage, qu’elle se hâta de rapporter à
Caton, puisque, devenue veuve, elle l’épousa de nouveau. À ne juger que sur les
apparences, Caton aurait joué un vilain rôle, sacrifiant l’honneur de sa femme
dans une affaire de captation de testament. C’est ce que dirent les
adversaires. Mais Caton trouva des défenseurs, et sans doute leurs arguments
sont-ils plus près de la vérité : pour Caton, le mariage était avant tout
ce qu’il fut toujours, en théorie, à Rome, un moyen d’assurer sa propre
postérité. Une fois ce devoir accompli, le reste ne compte guère, et l’on
aurait tort de céder à l’affection naturelle qui porte à aimer la mère de ses
enfants. Mais, ce qui est plus étonnant, peut être, c’est que Marcia consentit
à cet extraordinaire sacrifice…» (P. Grimal. Ibid. p. 453).
capturer une partie de la flotte
dévouée à César. Vieux et fatigué, Bibulus décéda peu après laissant Porcia veuve. Après le suicide de Caton, Porcia épousa
Brutus qui venait de divorcer d’avec sa femme, Claudia Pulchra, ce qui créa une
véritable querelle domestique entre les familles romaines. Toutes ces femmes
pratiquaient la même rigidité face à leur rôle d’épouse et de mère. Porcia
pourtant partageait autant l’amour de Brutus qu’ensemble ils ruminaient la
haine du tyran. Plutarque raconte bien
que Porcia, s’inquiétant de la procrastination de son époux, pensa qu’il ne
lui faisait pas suffisamment confiance, qu’il craignait qu’elle ne le trahisse
sous la torture. Aussi, s’infligea-t-elle une blessure à la cuisse avec un couteau de
barbier et endura la douleur plusieurs jours afin de lui montrer ce dont elle
était capable d’endurer pour lui. C’est alors qu’elle lui dit : «Brutus, je suis fille de Caton, et je suis
entrée dans ta maison non pour être seulement compagne de ton lit et de ta
table, comme une concubine, mais pour partager avec toi et les biens et les
maux. Tu ne m’as donné, depuis mon mariage, aucun sujet de plainte; mais moi,
quelle preuve puis-je te donner de ma reconnaissance et de ma tendresse, si tu
me crois également incapable de supporter avec toi un accident qui demande le
secret, et de recevoir une confidence qui exige de la fidélité. Je sais qu’en
général on croit la femme trop faible pour garder un secret; mais, Brutus, la
bonne éducation et le commerce de personnes vertueuses ont quelque influence
sur les mœurs : or, je suis tout à la fois et fille de Caton et femme de
Brutus. Pourtant, je n’ai point si fort compté sur ce double appui, que je ne me
sois assurée d’être invincible à la douleur». Instinctivement, Porcia retrouvait là les formules des juristes, pour
qui le mariage était “la mise en commun du droit divin et humain”» (P.
Grimal. Ibid. p. 453). Après le meurtre de César et durant l’exil de Brutus, Porcia se tint cachée. On la retrouva morte un
“pouvoir illimité” des maris sur leurs femmes. Car, menaçait-elle, “si on n’accorde
pas aux dames une attention et un soin particuliers, nous sommes décidées à
fomenter une révolte et nous ne nous considérerons comme liées par aucune loi
dans laquelle nous n’aurons eu ni voix au chapitre, ni représentation.” Abigail
Adams adoptait la rhétorique révolutionnaire en accusant les hommes d’une forme
de tyrannie, mais John Adams répliqua sur le ton de la plaisanterie et éluda
ainsi le problème. Ce n’est que dans une lettre adressée à une de ses relations
masculines qu’il développait sa théorie selon laquelle les femmes et les
enfants, ainsi que les hommes qui ne possédaient aucun bien, manquaient d’un jugement
indépendant : “leur délicatesse les rend incapables de la pratique et de
la connaissance des grandes affaires de l’existence”» (S. M. Evans. Les Américaines, Paris, Belin, 1989, p.
94). Le conservatisme de John Adams rejoignait celui des Caton, mais dans le
cas de la jeune République américaine comme de l’empire romain, les mœurs
avançaient plus vite que les idées.
société, ils ne domineront jamais l’esprit du monde qui les remplacera. À
cette époque de néo-conservatisme, nous sentons bien que l’esprit de Caton s’est
vidé de sa substance dans le discours et les actions des conservateurs :
ils n’ont plus aucune tradition vivante derrière eux, ne défendent plus aucun
principe inaliénable, se laissent entraîner dans des corruptions qu’ils
dénoncent d’une autre voix, nuisent plus qu’ils participent au développement de
la collectivité. Après tout, nos bourgeois conservateurs n’ont aucune éthique
comparable à celle de l’antique aristocratie romaine. Ce ne sont que des
mercenaires de la fortune et les mœurs les plus perverses les fascinent tout en
leur répugnant. En fermant les portes de la Loi, ils ouvrent les fenêtres par
lesquelles elles finissent par se diffuser dans toute la société. Comment
pourrait-on trouver un autre personnage historique aussi prisonnier de son temps,
celui de l’éternel transitoire, comme
portier du Purgatoire?⌛

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