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| Pierre Le Moyne d'Iberville (1686-1702) |
DANS LA SPHÈRE DE MARS :
DU VRAI CONQUÉRANT AU FAUX PATRIOTE
Il est certain qu'un homme, qui a mis toute sa ferveur à défendre les intérêts de sa patrie contre ses adversaires extérieurs et intérieurs, ne pouvait entreprendre un tel voyage que celui de Dante Aligheri que pour se représenter siégeant au Paradis, autrement, la démarche n'aurait aucun sens. Après avoir vu tant de guerriers, de princes, de rois et d'empereurs croupir en Enfer ou se traîner dans une tourbe rocailleuse en attendant de voir leurs âmes rachetées du Purgatoire, il fallait bien que la famille Aligheri niche quelque part au Paradis.
Elle nichera donc dans la sphère de Mars, parce qu'elle
appartient à ceux qui ont fait sa patrie, Florence. Ici, point de
vanité. Seul le service à la patrie, à la Cité était redevable
de ses guerriers et de
ses défenseurs. Ce que Dante appelle «porter
sa croix» relevait de ce que nous appelons aujour-d'hui du
patriotis-me. Bien sûr, dans la perspective augustinienne qui
défend sa patrie défend aussi le Royaume de Dieu, c'est
pratiquement la même chose. Bien avant que l'amiral Stephen Decatur, qui avait mené la guerre aux Barbaresques à Tripoli
(1804) et avant qu'il ne meure en duel en 1820, ait pu lancer sa
formule : «My Country, right or wrong», le patriotisme
aveugle existait depuis toujours en tant que vertu politique.
«Ô rameau de l'arbre
dont je fus la racine, toi que je me plaisais à attendre, celui dont
tu descends, et qui habita plus de cent années la première côte de
la montagne que tu as déjà visitée, fut mon fils et ton
bisaïeul,,,» C'est par ces mots
que Cacciaguida, le premier des Aligheri, s'adresse à son
descendant. Cacciaguida (mort vers 1145) avait été père de Bello
et Bellincione; ce dernier eut cinq fils parmi lesquels Aldighiero ou
Alighiero, père de Dante. La rencontre de ce bisaïeul est
l'occasion pour le Dante de se faire raconter les heures de gloire de
Florence. Il lui fait ainsi «connaître ses ancêtres, sa
famille, sa propre vie, traçant le tableau de la vieille Florence,
dont il rappelle les mœurs austères et dont il nomme beaucoup
d'anciennes familles, comparant le temps où il a vécu à celui du
voyage de Dante en outre-tombe, prédisant au poète son exil et
l'engageant à faire connaître ce qu'il a vu et ce qui lui a été
dit dans les trois royaumes, enfin lui montrant quelques-uns de ses
compagnons de gloire.» (A.
Masseron. Dante La Divine Comédie Index, Paris,
Albin Michel, 1950, p. 23.)
Gibelin indéfectible, Cacciaguida est fier de rappeler :
C'était alors la IIe Croisade (1147-1148), celle prêchée par Bernard de Clairvaux et menée par le roi de France Louis VII et l'empereur germanique Conrad III de Souabe. Les résultats furent plus que mitigés, d'abord par le conflit qui naquit avec Constantinople, ensuite par l'arrivée d'un nouveau Sultan, d'Égypte et de Syrie, le kurde Saladin.
Cette strophe nostalgique rappelle que le temps fait oublier les ancêtres et que ce peut être bénéfique lorsqu'on se réclame de la noblesse! La fierté de l'ancêtre Cacciaguida avait été d'être adoubé chevalier par un empereur porteur des libertés (la libertas) que le Souverain Pontife refusait aux cités italiennes qu'il prétendait tenir sous sa coupe, et Florence en particulier, rivale de Rome. Mais les temps où Dante écrivait son poème, 1321, ne rendaient pas hommage au passé glorieux de la Cité. En fait, c'était plutôt à la déchéance actuelle que le poète pensait :
«Le chant XVI du Paradis s'ouvre par une évocation
complaisante de la famille du poète et de sa noblesse : un de ses
ancêtres fut armé chevalier par l'empereur. Une réflexion générale
sur l'histoire de Florence peut alors être enclenchée. Les noms des
anciennes familles défilent : Ughi, Catellini, Filippi, Greci,
Ormanni et Alberichi... Ces maisons étaient illustres, elles sont
sur le déclin. Florence fleurissait
de leurs exploits. Mais les
familles déchoient et les villes ont une fin, à l'exemple des cités
étrusques éteintes. Les vies sont courtes, la mort attend toutes
les choses. Les grands Florentins, souches illustres, nobles
armoiries, appartiennent donc au passé et leur renommée est déjà
presque oubliée. Il échoit au poète, qui sait les jours anciens et
l'histoire, de les remémorer et de faire entendre comment Florence,
autrefois, était en repos et son peuple glorieux et juste. La
confusion des personnes, "principe de mal' est venue. La
population s'est mélangée et les nouveaux venus, Cerchi ou
Buondelmonti, ont entraîné Florence dans leurs querelles. La cité
a grossi, elle a perdu sa "pureté", de nouvelles familles
ont remplacé les anciennes. Cet implacable enchaînement des faits a
entraîné une inéluctable dégénérescence : la division règne et
les larmes coulent. Pour Dante, il est bien une cause majeure à la
perversion des temps et à la fin de la "vie heureuse". Le
cours du ciel et de la lune qui couvre et découvre sans cesse les
rivages se confond avec le mouvement caractéristique de l'histoire.
Il y eut bien, et le Paradis n'est pas le seul à le dire, un
avant et un après de l'histoire italienne.» (É. Crouzet-Pavan.
Enfers et paradis L'Italie de Dante et de Giotto, Paris, Albin
Michel, Bibliothèque Histoire, 2001, p.122.)
Dante interroge alors Cacciaguida. Sans doute est-il angoissé pour son avenir propre, car il voit bien que le temps n'est pas favorable aux Gibelins, son parti. Les Guelfes, partisans du pape, tiennent la cité entre leurs mains de fer, et le discours du bisaïeul n'est pas rassurant :
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| William Blake. Dante fuyant les trois bêtes. |
«Les évé-nements futurs, qui sont étrangers à votre matière,
sont connus de la première puissan-ce [Dieu]. Il n'est
cependant pas nécessaire qu'ils arrivent, plus qu'il n'est
nécessaire qu'un vaisseau que vous voyez dans un courant continue de
voguer. C'est de cette puissance que me vient la connaissance du sort
qui t'est réservé, ainsi qu'un orgue porte aux oreilles une douce
harmonie. Tu quitteras Florence, comme Hippolyte, persécuté par la
perfidie de son impitoyable belle-mère, sortit d'Athènes. On le
veut, et l'on trame déjà l'intrigue, là où tous les jours on
trafique du Christ. On attribuera tous les torts au parti le plus
faible, suivant l'usage; mais la vengeance du ciel rendra un
témoignage éclatant à la vérité. Tu seras obligé d'abandonner
ce qui te seras le plus cher : c'est la première flèche que lance
l'arc de l'exil. Tu apprendras combien le pain étranger est amer, et
combien il est dur de monter et de descendre l'escalier d'autrui. Ce
qui aggravera le plus ton tourment, ce sera la société perfide et
désunie des compagnons avec lesquels tu tomberas dans ce gouffre :
leur ingratitude, leur folie, leur impiété n'accuseront que toi;
mais ce sont eux, plutôt que toi, qui auront à en rougir. Les
procédés de leur bestialité prouveront qu'il sera honorable pour
toi d'être ton parti à toi-même. Ton premier refuge sera la
courtoisie de ce grand et noble Lombard, qui porte pour armoiries le
saint oiseau sur une échelle d'or. Ce sera là ta première demeure.
Ses prévenances pour toi seront telles, qu'entre vous deux, pour la
demande et la faveur, celle-ci, quoique généralement la seconde,
arrivera la première. Dans son palais, tu connaîtras celui qui, né
sous l'influence de cette étoile guerrière, fera de si notables
prodiges. Le monde ne les prévoit pas, parce que ce héros est
encore jeune, et que ces sphères n'ont fait leur révolution que
neuf fois autour de lui; mais on verra des traces éclatantes de son
mépris pour l'argent et les fatigues, avant que le Gascon trompe le
grand Henri. Ses magnificences seront telles que ses ennemis mêmes
ne pourront rester muets. Compte sur lui et sur ses services. De
combien d'hommes il changera le sort! Il élèvera les pauvres; il
abaissera les riches. Tu conserveras dans ta mémoire l'empreinte de
ses vertus; mais tu seras discret...»
Évidemment, les prédictions de Cacciaguida étaient déjà réalisées lorsque Dante les mit dans la bouche de son aïeul. L'occasion de verser des larmes sur son sort ne pouvait échapper à l'opportunité que son art mettait à la disposition du poète. Le XIVe siècle qui s'annonçait ne serait pas terrible seulement pour les Florentins, seulement pour les Italiens. Il le serait pour tout l'ensemble de l'Europe.
Mais Dante ignorait surtout que son pari d'écrire La Divine
Comédie en langue vernaculaire – en toscan qui devint la
langue idoine aux Italiens -, créait le dolce still novo, le
nouveau doux style dans lequel
Pétrarque composera ses propres vers
et Boccace ses contes tragi-comiques du Decameron. Il ne
pouvait prévoir non plus qu'après les années éprouvantes de la
Grande Peste, la Peste noire de 1348-1352, de cette terre italienne
lestée de 40 à 60% de la population de ses villes, c'est de la
péninsule meurtrie et en particulier de Florence même que la
Renaissance allait prendre son envol, et avec elle la civilisation
occidentale. Non, de tout cela Dante ne pouvait le prévoir et donc
Cacciaguida le lui révéler.
Les cités qui déclinent peuvent retrouver leur grandeur passée.
C'est la vieille image romaine, la roue de la Fortune; cette déesse
capricieuse qui
trône au sommet de la roue et la fatalité tout en
bas. Mais ce que nous dit ce chant XVI du Purgatoire, c'est que la
ville natale exige quelque chose de différent de la fidélité due à
la cité, si grande fut-elle. La ville natale, l'expression le dit,
c'est le lieu où l'on est né. Généralement, le lieu de nos
ancêtres dont nous nous sentons le prolongement. Du moins jusqu'à
ce que la société de masse intervienne et brouille les origines
comme les destinations. C'est un lieu où prend sens notre existence,
car à un autre endroit son sens aurait été tout autrement. On peut
y associer l'ethnie, la langue, la religion, le droit; c'est le lieu
qui donne notre identité de base, celle à partir de laquelle se
développeront les appartenances sociales, sexuelles, nationales,
impériales voire! Pour ces raisons, nos attaches affectives sont
plus fortes envers la cité natale qu'envers le reste du monde. Que nous
aimions profondément notre ville natale parce que nous y passerons
toute notre vie ou que nous la haïssions au point de la fuir à tout
jamais, nous répondons son nom instantanément lorsqu'on nous pose
la question civile : dans quelle ville êtes-vous né? C'est à ce titre que partout, la ville natale signifie «la petite patrie», le socle affectif de la fidélité à la Cité, à la Nation.
L'identité développée à partir de notre lieu de naissance ne
ressort jamais autant que lorsque l'on force la ville à changer de
nom. Par exemple, quand Constantinople devient Istanbul, ou
Ville-Marie Montréal. Dans le premier cas quand la capitale
byzantine chrétienne-orthodoxe devient musulmane;
dans le second
quand la ville des croisés un tantinet jan-sénistes devient
marchan-de et ses habitants libertins. Ces trans-forma-tions sont
struc-turelles. On a trop longtemps cru à cette maxime maritime que
changer de nom change de renom. Le brick-goélette
canadien Amazon eut plusieurs avanies au cours de ses
premières années de navigation, jusqu'à s'échouer corps et âme
sur l'île du Cap Breton. Restauré à grands frais, vendu aux
Américains, on jugea bon de changer son nom afin de lui donner meilleure chance pour celui de... Mary Celeste, plus tard célèbre pour avoir été abordée en mer alors que tout son équipage
s'était évaporé apparemment sans raison!
⁂
Je suis né dans la petite ville sise le long du Richelieu
nommée Iberville. Ville jumelle de Saint-Jean-sur-Richelieu,
Iberville lui fait face comme Minneapolis Saint-Paul. Du temps de ma
naissance, ce n'était plus qu'un front de rivière avec un large
arrière-pays rural. Peuplé de ses culti-vateurs et ses éle
veurs qui faisaient lever leurs enfants à 4 ou 5 heures du
matin pour faire le train : soigner les animaux de ferme, traire les
vaches, préparer les instru-ments aratoires pour le travail de la terre avant
de les envoyer à l'école, où ils liraient dans leur livre de
lecture, le récit de la mort du bien-aimé président Garcia
Moreno de l'Équateur qui voulait donner son pays aux Jésuites et au
pape et que de méchants libéraux poignardèrent sur le parvis de la
cathédrale de Quito! C'est de ça qu'on ensemençait le cerveau des
enfants encore à la fin des années 1960 dans la petite ville
d'Iberville au sud de la Province de Québec!
Iberville partage le micro-climat béni de la vallée du
Haut-Richelieu, juste à la tête du lac Champ-lain. Rien ne vaut le
soleil miroitant sur les ondulations de la rivière Richelieu lorsque
vient l'été. Dans le tirage au sort, Saint-Jean obtint les
avantages d'intéresser les explorateurs. Champlain y mena la petite
guerre contre les Iroquois; à défaut d'un fort de pierres comme à
Chambly, on y établit une redoute qui devait servir de fort durant
la guerre de la Conquête en 1759 puis, vite restaurée après avoir
été détruite, résister un mois, en septembre 1775, au siège dressé par les envahisseurs américains qui s'avançaient vers Montréal. Le va et vient des embarcations - grandes et petites - entre les deux villes était
constant.
La forêt luxuriante de l'endroit (qu'on désignait sous le nom de Mille-Roches, nom que l'on
retrouvait déjà dans le Diction-naire du
Père Le Jeune et pour des raisons évidentes), fournissait les bois nécessaires à la construction navale, ce qui
entraîna l'installation d'un four à goudron. C'est ce qui enrichit le
seigneur de l'endroit - le seigneur de Bleury -, moins intéressé à développer sa seigneurie
qu'à vivre des fruits de son activité industrielle.
Contrairement au Dante, Iberville n'était pas la ville natale de mes
parents. Mon père est né à Dunham, ma mère à Montréal. Mélange
explosif. Il en jaillit névroses, hystéries, mythomanie, bref tout
pour
rendre un enfant unique schizophrène. Je vécu mes deux
premières années à Iberville, puis mes parents déménagèrent un
temps à Saint-Alexandre, puis à Saint-Jean où je passai les six
premières années de mon primaire. Puis la famille retourna
s'installer à Iberville. En conséquence, pas de Cacciaguida pour me
raconter l'histoire de la ville. À ma connaissance, il n'existe pas
d'Histoire d'Iberville. Il n'existe que d'Yvonne Labelle, sa vieille Monographie d'Iberville publiée en 1958 avant d'être rééditée dans les années 1970.
C'est à cette occasion que je rencontrai l'ancienne journaliste du
«Canada Français» de Saint-Jean. Vieille-fille
caricaturale, elle habitait une petite maison derrière
l'église Saint-Athanase. Quand j'entrai chez elle, c'était comme si
j'étais projeté cinquante ans en arrière, ou dans un décor de
téléroman de Radio-Canada. C'était un monde arrêté, figé, gelé
dans ses meubles, son piano, ses tapis épais, ses rideaux quasi
opaques aux fenêtres.
Sa Monographie d'Iberville est à cette image. Comme le
souhaitait Nietzsche, il faut que l'écriture de l'histoire serve la
vie et non un ossuaire d'un passé exsangue. Il n'y avait pas de mouvement dans sa monographie qui voulait respecter les grands
thèmes spirituels de la vie d'une paroisse : la seigneurie originale;
les dates de fondations de paroisse jusqu'à ce jour; celles d'école et de couvent jusqu'à ce jour; enfin commence
l'histoire de la ville, de ses municipalités - de paroisse, de ville -, avec ses listes de
maires, de gérants de caisses, de médecins, de marchands, d'avocats
(les curés ayant été listés dès la seconde partie).
C'est le travers d'un grand nombre des monographies de paroisse du
Canada Français, d'être des albums de souvenirs de familles, de
clans, d'édiles paroissiaux ou municipaux, bref une intersection d'incestes où j'étais le Bâtard de la
fable psychanalytique de Marthe Robert. D'Iberville, je n'en ai jamais
eu le sang, contrairement à la Florence du Dante; je n'ai eu que le
nom. Et un nom civil.
Cette spécificité a sûrement marqué quelque chose en moi. Alors qu'un grand nombre de villes et villages au Québec portaient le nom d'un saint, Iberville était le nom d'un laïc. Il ne faut pas se fier sur les noms universellement connus de Québec et de Montréal, tous les autres noms de la toponymie du Québec - ou à peu près -, honoraient un saint patron. La paroisse Saint-Jean l'Évangéliste devait donner son nom à Saint-Jean-de-Québec (pour la distinguer de Saint-Jean du Nouveau-Brunswick et de Saint-Jean Terre-Neuve) avant de devenir, selon la formule anglaise, Saint-Jean-sur-Richelieu (comme Stratford on Avon). Mais ici, la paroisse Saint Athanase ne donna pas son nom à la ville. Les édiles municipaux lui préférèrent celui d'un héros de la Nouvelle-France. Un pirate aux mœurs assez loin des vertus patrimoniales. Mais revenons un peu en arrière.
Étrange poisson d'avril, mais c'est le 1er avril 1733 que
le sieur Clément de Sabrevois, sieur de Bleury reçut la concession
qui porte son nom sur la droite de la rivière Richelieu : «La seigneurie
était couverte
de terres basses, de forêts, de marécages en maints
endroits. C'était le coin idéal pour la chasse et la pêche. Les
bois étaient giboyeux, aux dires des soldats qui passèrent en ces
lieux, en ce temps-là, et la rivière remplie de poissons. La région
était déserte. Ce terrain fertile et riche attendait les
défricheurs. Le murmure du rapide et le chant du ruisseau devaient
attirer plus tard des colons.» (Y. Labelle. Monographie
d'Iberville, 1968, p. 4). Le rapide devait porter le nom de Mille Roches et le ruisseau, celui de Hazen.
De Bleury se voua peu à la colonisation de sa seigneurie, il
préférait en tirer les avantages de l'industrie et du commerce.
Plusieurs fois, il fut rappelé à l'ordre par l'intendance pour
ne pas tenir feu et lieu sur son
domaine, selon la coutume seigneuriale. De Bleury préférait développer Chambly et Saint-Jean que
sa propre concession. Seul le four à goudron, installé par nécessité
de calfeutrer les navires construits à même les boisés de la
seigneurie, entraîna un premier développement de la localité.
Avec la guerre de Sept Ans, l'héritier, Charles, s'enrichit dans les
fournitures de l'armée. De Bleury resta propriétaire de la
seigneurie jusqu'à ce qu'il la vendit à deux anglais suite à la
Conquête de 1763, l'Américain Moses Hazen et Gabriel Christie,
d'origine écossaise, propriétaire de multiples domaines. Christie résidait essentiellement aux Antilles, d'où que c'est Hazen qui
s'installa sur la propriété. Il y fit construire deux moulins, l'un
sur la rivière et l'autre sur le ruisseau.
Fort actif comparé à de Bleury, Hazen emprunta de fortes sommes
pour développer l'industrie des mines, du prétoire, de
l'agriculture. Lorsque la querelle éclata avec Christie et que ce dernier demanda le partage des propriétés, c'est Hazen qui obtint, en
1770, ce qui deviendrait le territoire d'Iberville, mais il obtint
aussi des terres à Saint-Jean et à la Savane, plus loin à
l'ouest. Malgré ses déboires face à Christie, l'invasion suite à
la Révolution américaine projeta une lueur sombre sur Hazen. Il
reçut dans sa maison convertie en taverne les trois délégués
envoyés par le Congrès – Benjamin Franklin, Samuel Chase et
Charles Carroll – pour convaincre les Canadiens de rallier la cause
indépendantiste. Dans l'affrontement qui s'en suivit, Hazen fut
capturé et amené devant le gouverneur Carleton qui le garda comme
prisonnier jusqu'à ce que les Américains le libère, lui confiant
le commandement de Montréal occupée. C'est lui qui demanda au
général Schuyler de faire venir un imprimeur à Montréal et lui
envoya un Français protestant, Joseph Fleury Mesplet, attaché à l'atelier de
Franklin. C'est lui qui allait devenir le père de la presse imprimée
au Bas-Canada.
Au retour des Britanniques, la désertion de Hazen permit à Christie de reprendre les biens et
les propriétés de Hazen à Iberville en 1783. Exilé à Troy, au
New York, Hazen mourut en 1802. Pendant ce temps, Gabriel
Christie légua à
son fils Napier sa seigneurie, jadis celle des Bleury qui habitaient
toujours la région. Mort sans enfant, c'est un frère naturel de
Napier, William Plenderleath qui prit le nom et les armoiries de la
famille Christie, qui hérita de la concession. C'est lui qui fit construire le manoir seigneurial
en pierres, sise le long du Richelieu, face à Saint-Jean en 1835 et
la région prit le nom de Christieville. Il céda à William McGinnis
l'île 448 (dont il ne reste quasi plus rien) en retour de pierres et
de roches afin de construire une digue sur le Richelieu. Plenderleath-Christie
mourut en Angleterre en 1845 et son épouse conserva ses droits sur
la seigneurie. C'est William McGinnis, fermier et meunier, qui se fit
agent des seigneurs Christie jusqu'à nouer des liens de familles
avec la seigneuresse. Christie avait fondé la première église
protestante de la région, l'Église Trinity (1841).
Longtemps, la seigneurie fut desservie par des missionnaires
catholiques avant de voir incorporée une paroisse catholique. Les francophones désignaient l'endroit du nom de Mille-Roches avant que le diocèse de Québec lui donne le nom de Saint-Athanase lorsqu'elle devint officiellement paroisse en 1822.
Christie céda un terrain «sous forme de concession, aux
paroissiens de Saint-Athanase pour y construire église, presbytère,
école, faire un cimetière et autres dépendances nécessaires»
(ibid. p. 31). Situé à l'angle de l'embouchure du ruisseau Hazen et
de la rivière Richelieu, c'est le lieu où trône toujours la
superbe église Saint-Athanase. Relevant par après du diocèse de Montréal,
c'est Mgr Lartigue qui inaugura la nouvelle paroisse catholique.
On commença à y ériger la première église (modeste), à élire les marguillers et établir un
premier recensement qui nous révèle qu'en 1823, on y retrouvait 183
familles, 382 garçons et hommes et 528 femmes et filles pour un
total de 1 120 âmes! L'abbé Rémi Gaulin fut nommé curé . Lartigue
visita la paroisse en 1824.
Les activités commerciales et hôtelières de Saint-Jean attirèrent un peuplement accru au cours du premier XIXe siècle. Au point que l'église ne se montra pas suffisamment grande pour accueillir tous les fidèles. Les curés successeurs de Gaulin anticipaient toujours d'élargir leur cure sur des territoires plus éloignés à l'intérieur des terres. C'est alors qu'éclatèrent les Troubles de 1837-1838. Une assemblée patriote fut tenue à Saint-Athanase qui fit passer la région pour un repère de rebelles. La troupe anglaise pénétra donc dans l'église en novembre 1838. Les soldats répétèrent les obscénités commises à l'église de Saint-Eustache un an plus tôt. Ils «violèrent le tabernacle et profanèrent les saintes espèces. Ils commirent d'autres dépradations [sic!] dans la paroisse. Trente quatre familles s'enfuirent aux États-Unis, comprenant 164 individus» (ibid. p. 39). Nous y reviendrons.
C'est en 1845 qu'on entreprit la construction de la seconde église, avec son étrange clocher qui ne fut prête qu'en 1848 : «Mgr. Bourget, évêque de Montréal, en faisant sa visite pastorale dans Saint-
Athanase fut heureux d'y pénétrer dans la splendide église. Son clocher élancé était surmonté d'une croix en fer et terminé par un coq en ferblanc. On avait voulu la charpente assez solide pour supporter le poids de deux cloches» (ibid. pp. 41-42). L'église de style gothique fut entièrement ravagée par un incendie majeur en 1912. C'est alors qu'on construisit la troisième église où j'ai fait ma communion solennelle en 1968. En 1859, la population était de 3,000
habitants. Durant le siècle qui suivit, la population augmenta suivant le développement urbain que les nouvelles industries
attiraient. Paradoxalement, ce n'est qu'au moment où la ville entra
en déclin qu'on morcela la paroisse originale en créant, au sud, la
paroisse Saint-Noël-Chabanel et au nord, la paroisse Sacré-Cœur
(où je fus baptisé). Ces paroisses ne vécurent pas plus d'un demi-siècle. En 1852, le morcellement du diocèse de Montréal
avait fait basculer Iberville dans le diocèse de Saint-Hyacinthe.
La création d'une paroisse entraîne
toujours celle d'écoles pour garçons et pour filles. La première
école de Saint-Athanase fut érigée en 1830. L'emplacement changea
plusieurs fois au cours des premières
années. Les protes-tants
eurent la leur en 1841. En 1863, déjà dix écoles primaires étaient
installées dans la paroisse. En 1868, les Sœurs de la Congrégation
de Notre-Dame achetaient le collège académique d'Iberville pour en
faire un couvent (qui sera démoli en 1969). Il fallut bien penser à
ériger un collège classique pour les plus vieux. On pensa d'abord
aux Frères du Sacré-Cœur établis à Arthabaska. Finalement, ce
furent les Frères Maristes qui vinrent prendre la possession d'un bâtiment en 1885, bâtiment qu'on appela le Berceau. On construisit
plus loin un édifice plus somptueux, le Juvénat, ouvert en mars
1887 tandis que le collège commercial devint le Collège Notre-Dame
du Très Saint-Rosaire. Les Frères Maristes devinrent la coqueluche
du diocèse de Saint-Hyacinthe d'où ils fleurirent par toute la province. Ils dirigèrent d'autres écoles
à Saint-Jean et à Iberville, dont l'Académie d'Iberville (École
Saint-Georges fondée en 1898 aujourd'hui détruite), et plus tard à l'École Notre-Dame
de Lourdes [ancien Palais de Justice] qui avait servi pour les
filles à partir de 1928, deux écoles que j'ai fréquenté au
primaire et au secondaire). En 1929 était enfin érigée la Maison provinciale des Frères Maristes, splendide bâtiment face au
Richelieu.
Si l'inventaire des paroisses et des
écoles nous apparaît aujourd'hui hors normes, il faut bien avoir à
l'esprit qu'à une époque de colonisation, elles organisaient la vie communautaire. Bien que les propriétés
foncières enregis-trées
légale-ment dans les cadastres mar-quaient l'enraci-nement dans le terroir, c'est autour de ces pôles identitaires que
s'organisaient les commutées. La paroisse de Saint-Athanase est érigée en 1822, puis en municipalité de
paroisse en 1833 qui recoupe la population catholique de
Christieville, un peu comme la paroisse Saint-Jean l'Évangéliste
recoupe la population catholique de Dorchester, nom anglais donné à
Saint-Jean, de l'autre côté de la rive.
«Notre territoire est traversé de
l'est à l'ouest par la rivière d'Hazen qui prenait sa source
autrefois à Sainte-
Brigide et se jette dans la rivière Richelieu,
la cons-truction de la voie ferrée du Canadien-Pacifique l'a dérangée
de son lit et l'a coupée de sa source qui prend naissance
aujourd'hui à Saint-Grégoire le grand, mais la rivière a débordé
sur les terrains d'Iberville et la ville a demandé à la Compagnie
de chemin de fer de construire un canal le long de la voie ferrée,
en notre ville. Depuis ces dernières années, un ingénieur du
gouvernement l'a enfermé dans un profond canal étroit et le
ruisseau proteste à sa manière, voulant reprendre ses droits et son
espace vital en débordant de chaque côté de son étroit réduit»
(ibid. pp. 160-161).
Ce ruisseau qui serpente le long de la
voie ferrée fait partie de mes souvenirs depuis que j'étais tout
petit. Souvent, son aspect boueux le fait prendre pour un marécage,
mais il finit par se déverser dans la rivière et marque une
frontière entre le vieux Iberville et les zones de développement
résidentiel amorcées au nord de la ville au cours des années 1950.
Christieville était en liaison avec
Saint-Jean par un service de traversier tenu par les frères François
et Léon Marchand et Ephraïm Mott, autre Américain établi dans la région. Le service dura jusqu'en 1826, lorsque le colonel Robert
Jones obtint le privilège d'ériger un pont de bois à péage
blan-chi à la chaux (ce qui le fit appeler le Pont blanc)
capable de soutenir de lourdes charrettes de foin. Les Jones se
transmirent la patente du Pont blanc jusqu'à ce qu'une charrette
chargée de grains de la maison Cousins passe à travers le tapis du
pont et se retrouve dans la rivière, ce qui obligea le gouvernement
à construire un nouveau pont adapté aux nouvelles autos à essence
en 1916, le pont Gouin.
Comme mentionné plus haut, il
faut dire que les gens de Christieville humèrent le parfum de la
révolte. Le premier maire, Henry Aubertin, notaire, instituteur à
la première école, s'unit toutefois au curé Gravel pour calmer les
esprits. Le 5 novembre 1837 avait lieu une assemblée patriote à
Saint-Athanase afin de dénoncer le renvoi de magistrats
pro-patriotes et proposer des réformes du gouvernement colonial.
Cette assemblée était organisée par le docteur
François-Joseph Davignon et cherchait à trouver des moyens de
conciliation à travers 24 propositions réformistes, notamment sur la
composition du Conseil législatif et le contrôle de la liste
civile, pierres d'achoppement entre la métropole coloniale et la
petite-bourgeoisie marchande et professionnelle du Bas-Canada. Plutôt
que provocatrice, comme le furent d'autres assemblées tenues dans la
Montérégie, celle de Saint-Athanase s'était montrée essentiellement
conciliatrice, ce qui n'empêcha pas les Patriotes, une fois
l'assemblée terminée, de se porter en masse sur Dorchester pour
organiser des charivaris contre les magistrats loyaux, les forçant à
remettre leurs commissions (y compris le maire Nelson Mott).
Colborne, qui était alors gouverneur, ordonna l'arrestation du
médecin Davignon et son ami, le notaire Pierre-Paul Démaray. Une
troupe fut envoyée afin de ramener dans un fourgon les deux
complices. C'est alors que Bonaventure Viger organisa un coup de
force. Lui et ses hommes interceptèrent le fourgon de police à La Prairie,, libérèrent les prisonniers qui prirent
aussitôt la fuite vers les États-Unis, où Davignon devait demeurer
jusqu'à participer à la Guerre civile de 1861, tandis que, de
retour à Saint-Jean, Démaray en fut élu maire. Ce coup de force
accéléra la radicalisation de la Rébellion.
Le colonel Jones, qui avait fait ériger son manoir sur les hauteurs du territoire fut particulièrement admonesté par les Patriotes qui demandaient l'abolition du péage. Il prit sans tarder le commandement de la Milice de Missisquoi. «Il avait organisé son bataillon afin de se protéger lui et ses amis. Les officiers de Saint-Armand surtout se hâtèrent d'accourir à son appel avec le plus de recrues qu'il fut possible de rassembler. En quelques jours, Jones réussit à enrôler et à équiper 250 hommes. Les patriotes furent mis ainsi dans l'impossibilité de bouger. Jones arrêta les patriotes de l'endroit. Il fut aidé par plusieurs espions et délateurs. Il n'y eut pas de bataille de livrer à Saint-Athanase, cependant, un coup de canon fut tiré du pont, mais Jones n'eut pas à combattre. Il contrôlait Saint-Jean et les environs (Filteau)» (ibid. p. 163).
L'activité
maritime sur le Richelieu était des plus intenses. Des goélettes, des
navires parfois avec un fort tonnage faisaient la navette sur le Lac
Champlain jusqu'aux États du Vermont et du New York. La construction
du canal de Chambly en 1843 rendit cette circulation encore plus
active puisqu'il contournait les rapides et les Mille-Roches qui
obstruaient la navigation tout le long de la rivière. Des quais furent
érigés à Christieville qui accueillirent toujours plus de navires. Ces quais devaient être, plus tard, en liaison avec la
voie ferrée du Central Vermont qui allait aux États-Unis. On y
transportait du
foin, produit en grande quantité et même du papier
fabriqué avec de l'herbe à lien, sorte de foin plat, fabriqué dans
une manufac-ture détruite par un incendie et ne fut pas reconstruite.
On y retrouvait également une tannerie qui profitait du ruisseau
Hazen, puis, lorsque les industries de la poterie quittèrent
Saint-Denis pour s'installer dans le Haut-Richelieu, la poterie Farrar s'installa à Christieville, recevant sur les quais de la
glaise, du sable, du gravier et aussi du charbon.
En
plus des métiers propres à une petite ville du XIXe siècle, on
trouvait des artisans d'outils aratoires de charrues, de charrettes, de râteaux de bois à bascule, etc. Christieville était
assez prospère pour devenir chef lieu du comté. Christieville était
sans infrastructure. On
y trouvait un marché établi à l'actuel parc Laurier, à l'entrée du pont Gouin, qui attirait
les cultivateurs de l'arrière-pays. Une briqueterie s'installa qui
fournit de nouveaux matériaux de construction plus solides que le
bois pour les maisons. Le maire de l'époque avait été Charles Laberge (1827-1874), un «Rouge» qui fonda, dès 1848, un Institut
canadien d'Iberville. Durant son
mandat, il tenta d'améliorer les infrastructures urbaines
en développant les routes qui pénétraient dans l'arrière-pays; en
érigeant des trottoirs pour la ville, trottoirs sans éclairage de nuit
qui forçait les gens
de se munir d'une lanterne pour s'y guider dans l'obs-curité. Il fit également macadamiser les rues de la ville et
favoriser le marché. C'est lui qui amena le Palais de Justice du
district à Iberville. Ami de Félix-Gabriel Marchand, député de Saint-Jean, il
s'opposa à la Confédération dont il craignait que sortit l'Union
législative. Son successeur, Alexandre Dufresne (1810-1878) poursuivit son œuvre. Libéral
lui aussi, il pilota la proposition des conseillers Vincelette et
Filiatrault de changer le nom de la ville en celui d'Iberville.
Parallèlement, Dufresne procéda à une modernisation des noms de
rues, quasi tous anglais, pour leur donner des noms français. Il
divisa la ville en trois quartiers. C'est ainsi que le 4 mai 1859,
Christieville devint Iberville.
⁂
Pourquoi Iberville?
D'abord il faut placer ce choix dans le contexte politique et
national de l'époque. Les vingt dernières années avaient été
troublées par les Rébellions, la répression gouvernementale, la
proclamation de l'Acte d'Union dont l'objectif visible était de
noyer la population francophone du Canada dans un ensemble législatif et culturel (donc linguistique) anglophone. La loi d'amnistie des condamnés et exilés de 37-38 suscita de violentes émeutes chez les anglophones et orangistes de Montréal, témoignant d'une hostilité constante à l'égard des conquis de 1763. Il fallait redresser la tête. Il eut été impensable que
l'on donna un nom de patriote condamné pour signifier la position
rouge des édiles francophones du comté, aussi se tourna-t-on vers le
seul héros du patrimoine canadien-français honoré par les
conservateurs aussi bien que les libéraux : Pierre Le Moyne
d'Iberville.
Nos
manuels scolaires disaient d'Iberville qu'il était «le
Jean Bart Canadien» (Sous-titre
de G. Laviolette. Pierre le Moyne d'Iberville, Montréal,
Procure des Frères de l'Instruction Chrétienne,
1949). Bien peu
d'enseignants à l'époque, dont la culture générale était limitée, aurait pu répondre à savoir qui était Jean Bart! C'était péché
mignon d'érudition de nos petits maîtres qui aimaient à tartiner
gros l'héroïsme canadien-français afin de compenser les frustrations suite au traumatisme de nos défaites. D'Iberville, c'était (écrit
en gros caractères) «"LE PREMIER GRAND CANADIEN", "LE
PLUS GRAND HOMME DE GUERRE QU'AIT PRODUIT NOTRE PAYS"». Même
les actes de bravoure d'un Léo Major n'accotaient pas les triomphes
d'un d'Iberville. Laviolette comparait de même Salaberry, le
vainqueur des Américains à Châteauguay en 1813, à rien de moins que
Léonidas! Là encore, la science de nos enseignants n'allait pas
jusque-là, d'autant que la comparaison dépassait les bornes.
C'était la même chose pour toute la famille Le Moyne, en
particulier les neuf frères tous issus de Charles Le Moyne, l'un des
combattants de Ville-Marie à sa fondation, qu'un romancier d'origine
française, Joseph Marmette, qualifiait des Macchabées de
la Nouvelle-Franc en 1878.
C'est ici, comme je
l'ai écrit dans mon texte sur Groulx, que l'histoire nationale
entrait en plein dans l'histoire sainte, y cherchant des doublets.
Comparer les Le Moyne aux frères Macchabées, les chefs israélites
qui luttèrent contre la tyrannie d'Antiochos IV, le roi grec
Séleucide, engageait la
continuité des deux histoires.
Placés depuis les conquêtes d'Alexandre le Grand sous la tutelle
des Grecs, les Juifs se divisèrent entre deux factions, les hérodiens
(bien que le nom soit anachronique pour l'époque) qui faisaient tout pour complaire au
pouvoir hellène, et les zélotes (ibid) dont le chef fut Mattathias Maccabée et surtout ses deux fils, Judas et Simon. Leurs
combats sont relatés dans les deux premiers Livres des Maccabées
qui, sans obtenir l'indépendance d'Israël, obtinrent que les Juifs puissent désigner leur roi, la royauté confiée à la dynastie des
Hasmonéens (d'où est issue le roi Hérode).
Ce
demi-triomphe des Juifs pouvait évoquer aux érudits
canadiens-français que l'attribution du gouvernement responsable en
1848 avait été une demi-victoire de la Rébellion patriote de
37-38. Évidemment, les
Ibervillois continuaient de toujours payer
leur passage sur le pont Jones, mais dans de terribles défaites, on
apprend à se contenter de demi-triomphes. D'Iberville, l'un de ces
frères Maccabées locaux – Judas, en l'occurence -, lui, était un
total vainqueur de ses entreprises. On peut dire le seul, dans toute
l'histoire du Québec. Guy Frégault lui a consacré sa thèse,
Iberville le conquérant (Montréal,
Pascal) qu'il publia
en 1944, pendant la Seconde Guerre mondiale. Cet ouvrage magistral
d'une érudition propre aux grandes thèses de l'époque, est de la
même encre que celle sur François Bigot, administrateur
français.
La carrière d'Iberville commença peu avant l'ouverture de la guerre de la Ligue d'Augsbourg (1688-1697) opposant entre autres, la France à l'Angleterre. À l'époque, la Compagnie de la Baie d'Hudson piétinait tout le territoire septentrional du Canada. Dans le sud, la région de Montréal était sous la menace constante des attaques surprises iroquoises. Dès 1686, l'encerclement de la Nouvelle-France commandait une expédition vers la baie James. Sous la conduite de Pierre de Troyes, d'Iberville et ses hommes traversent l'Abitibi, de Troyes capture les forts Albany et Rupert ainsi qu'un entrepôt à l'île Charlton tandis que d'Iberville capture le Craven, un navire de la Compagnie de la baie d'Hudson. Il obtient ainsi son premier commandement. Les combattants français volent une grande quantité de fourrures aux Anglais et les ramènent à Montréal tandis que d'Iberville continue ses actes de piratage au détriment du compétiteur.
Ce
n'est là que l'entrée en matière du jeune homme qui prend goût au
jeu. Il est introduit en France où il se rend auprès du ministre
Colbert à qui il demande son soutien. Il obtient alors le
commandement du navire Le Soleil d'Afrique avec lequel il est autorisé par lettre de marque à devenir
corsaire au service de la France. Il retourne à la baie James à
l'été de 1688 où il rafle encore plusieurs centaines de peaux.
Cette fois, d'Iberville va se montrer sous son jour le plus cruel,
empêchant les Anglais, réfugiés dans leur fortin, de sortir pour
chasser et s'approvisionner en nourriture. Il revient à la fin de
l'année 1689 avec son lot de fourrures piraté.
Au mois d'août
précédent, le village de Lachine, près de Montréal, avait été
surpris par un parti d'Iroquois qui y avaient massacré une bonne
partie de la population. Le gouverneur ordonne une campagne punitive.
Il prend le détache-ment d'un corps armé constitué d'une centaine
de Canadiens et d'une autre centaine d'Iroquois et d'Algonquins.
Plutôt que de viser directement les autochtones, d'Iberville va s'en
prendre à leurs fournisseurs d'armes et attaquer Corlaer
(Schenectady) dans le New York, le 8 février 1690, qu'il pille et
incendie sans pitié. Une centaine d'habitants sont tués et quelques
autres prisonniers et ramenés en Nouvelle-France. Lachine est
vengée.
La vie de pillages
et de rançons continue pour d'Iberville le long des ports du
Maine. Puis, il doit retourner à la baie James où les Anglais se
sont ressaisis. Il parvient encore une fois à prendre les forts et à
les détrousser, mais dès qu'il part en France porter son butin à
Versailles, les Anglais reviennent et reprennent les forts
abandonnés. Les combats sont au plus fort. D'Iberville s'engage
cette fois dans une campagne contre Terre-Neuve et le Labrador dont il pille les
pêcheries. Son ambition était de vider la colonie des Anglais, ce
qu'il arrive presque à faire; il ne leur reste que deux postes
lorsque d'Iberville doit s'embarquer pour retourner à la baie
d'Hudson.
C'est
là qu'il prend le commandement de son navire mythique, Le
Pélican. La campagne de 1697
sera décisive. Le Pélican prend
la tête de l'expédition, suivi le 5 septembre de deux navires sur
l'un desquels se trouve l'un de ses
frères. Mais trois autres
navires suivent. Des navires anglais : le Hamp-shire,
le Dering et le
Hudson's Bay.
Téméraire, d'Iberville n'a d'autres choix que de les affronter tous
les trois ensemble. Il fait comme Montcalm fera à Québec le 13
septembre 1759, il refuse d'attendre du renfort. Il parvient à
couler le Hampshire puis
de s'emparer du Hudson's Bay, mais
Le Pélican est trop
endommagé et sombre au cours du combat. Le Dering, lui,
parvient à s'échapper. Le reste de la flotte français finit par
arriver et d'Iberville entreprend le siège du fort York qui va durer
cinq jours. Il tombe lui aussi un 13 septembre et est aussitôt
renommé fort Bourbon. Ce fut là le plus glorieux combat de sa
carrière. Une fois de plus, les acquis canadiens seront rayés d'un
trait de plume lors de la signature du traité de Ryswick, en
septembre 1697, mettant fin à la guerre de la Ligue d'Augsbourg. Le
fort sera rétrocédé à l'Angleterre.
«Sire,
je suis las de conquérir la Baie d'Hudson»,
écrit-il à Louis XIV, ce qui ne l'empêche pas de partager son idée
d'un vaste empire français en Amérique du Nord, ce qui plaît aux
oreilles d'un roi tout aussi ambitieux que lui. Le ministre de la
Marine, Pontchartrain, lui confie une expédition destinée à trouver
l'embouchure du fleuve Mississippi via le golfe du Mexique et choisir
un bon em-placement qui pourrait être défendu par quelques hommes.
Il faudrait aussi consolider des liens avec les peuples autoch-tones de
la région. Une fois de plus, d'Iberville mène sa tâche à bien.
À la tête d'une escadre de trois navires, il quitte Brest le 24
octobre 1698 pour atteindre Saint-Domingue. Il se rend
jusqu'à l'entrée de Pensacola où il ne peut accoster à cause de
la présence de navires espagnols. Il cabote donc le long de la côte
jusqu'à la rivière de la Palissade qui pourrait le conduire au
Père des Eaux. Les
Français finissent par débarquer afin de poursuivre leur expédition
à pied. Les Houmas leur apprennent le sort tragique de Cavelier de
La Salle, tué par l'un de ses hommes alors qu'il se dirigeait vers
l'embouchure du fleuve. Ils arrivent finalement à Bayougoula, un
village chocta, d'où d'Iberville peut apercevoir deux lacs à l'est
qui sont baptisés du nom des ministres du roi, Maurepas et
Pontchartrain. Il a réussi là où Joliet et La Salle avaient échoué : il a découvert l'embouchure du Mississippi.
Après
cet exploit, d'Iberville retourne en France où il reçoit la
prestigieuse croix de Saint-Louis, premier Canadien à recevoir cet
honneur militaire créé en 1693. Il présente à la suite un rapport
recommandant la colonisation et l'exploitation de la Louisiane.
D'Iberville reprend le rôle que Champlain avait joué sur le
Saint-Laurent, quatre-vingts ans plus tôt. Là aussi, il
faudra apprendre à contenir la
pénétration anglaise vers l'Ouest,
prédisant que sinon, en moins de cent ans, tout l'Amérique serait
aux mains des Anglais. Pour aider, il préconise l'alliance avec les
peuples autochtones du Mississippi. Heureux, Pontchartrain lui écrit
avant son départ et dresse une série d'objectifs quant aux
ressources naturelles. Il «étudiera les ressources du
pays, et particulièrement, s'il est possible de tirer de la laine
des bœufs du pays. Il en apportera quelques peaux et même quelques
bêtes vivantes s'il le peut. On dit qu'il y a des mûriers; s'il en
est ainsi, se rendra compte si l'élevage des vers à soie ne
pourrait pas se faire avec profit. Étudiera le pays au point de vue
des mines.» (Cité in R. Litalien et D. Vaugeois. La mesure d'un continent, Québec, Septentrion, Col. BQ, 2016, pp. 195-196). Comme la colonie française de la Louisiane est trop
fragile, il recommande à d'Iberville de ne pas susciter de querelles
avec les Anglais et les Espagnols.
![]() |
| D'Iberville rencontre les autochtones à Biloxi. |
D'Iberville revient à bord de La Renom-mée, le vaisseau dont il est comman-dant. Mais l'homme est malade, dévoré par des fièvres. En 1702, il fonde le fort Saint-Louis, à Mobile (Alabama). Henri de Tonti l'aide à entrer en bonnes relations avec les Autochtones du coin. D'Iberville retourne en France et laisse à son frère, Le Moyne de Bienville, la responsabilité de Mobile. C'est lui qui, en définitive, fondera La Nouvelle-Orléans en 1718. Il laisse également des truchements, des coureurs des bois renforcer la présence française auprès des tribus longeant le Mississippi. De retour en France, d'Iberville est en bute aux mêmes tracasseries rencontrées avant lui par Champlain. Son rêve est de faire de la Louisiane une colonie de peuplement, et la chose passe mal. Les hommes sont là, mais il manque de femmes.
Fatigué, usé, d'Iberville restera en
France jusqu'au déclenchement de la guerre de la Succession
d'Espagne où il est dépêché aux Antilles en 1705.
Comman-dant Le
Juste, il dirige en janvier 1706 une escadre de douze bâtiments.
Le 2 avril, il dévaste l'île de Saint-Christophe, puis s'empare de
l'île de Nevis où, rappelant ses campagnes de jeunesse, lui et ses
hommes pillent et dévastent l'endroit jusqu'à son départ, le 22
avril. Au total, il a pris 24 navires anglais et fait des centaines
de prisonniers et des milliers d'esclaves. D'Iberville relate
l'événement dans un article qui paraîtra dans «Le Mercure galant» en mai 1706. Or, on découvrira après sa mort, par une
commission d'enquête sur des fraudes qu'il aurait commises, sa
culpabilité de malversations et de contrebande que sa veuve,
Marie-Thérèse Pollet, sera condamnée à rembourser par d'importantes
sommes qu'elle n'acquittera jamais.
D'Iberville meurt finalement à La
Havane le 9 juillet 1706 emporté par des fièvres qui
ravageaient
l'île de Cuba. Il s'y serait rendu pour vendre du fer français ou plus
simplement en cherchant des renforts en prévision d'opérations à
venir sur les côtes américaines. Après avoir été enterré le
jour même sous l'église de San Cristobal (mesure habituelle prise
lors d'épidémies), sa dépouille sera transférée plus tard au Palais des
Capitaines Généraux, musée de la ville de la Havane où une plaque
commémorative, datée de 1937, peut être vue. Une statue aujourd'hui s'élève sur cette dernière île, loin des lieux où il fut le conquérant et le maître. Ce qui est assez triste d'une population qui avait pris son nom pour patronyme, elle ne pensa jamais à en ériger un monument, le seul buste qu'on y retrouve étant celui de Wilfrid Laurier (1922), par complaisance politique, érigé sur un socle à l'entrée de la ville, dans le parc qui porte son nom. Cette négligence montre assez à quel point la conscience historique des Ibervillois était assez basse.
D'Iberville était tout sauf un saint, ce qui l'a fait longtemps boudé des clercs. Dès 1686, il aurait séduit Jeanne-Geneviève Picoté de Belestre, fille d'un autre combattant fondateur de Ville-Marie, qui s'était retrouvée enceinte et sans ressources. Les tuteurs de la malheureuse séduite intentèrent une action en justice contre d'Iberville qui, pris par ses navigations, n'assista pas au procès. Le Conseil souverain le déclara coupable en octobre 1688, le contraignant à verser une rente à sa fille jusqu'à ses quinze ans. Ces turpitudes, évidemment, furent écartées des manuels scolaires. Et probablement, on ne tint pas à les rappeler non plus en 1859, quand Christieville prit le nom d'Iberville. La ville était en pleine ascension. Peu après, le Conseil municipal faisait ériger le Palais de Justice. La prospérité serait au rendez-vous avec un tel patronyme. Après tout, qui change de nom ne change-t-il pas de renom?
⁂
Iberville devient une plaque tournante ferro-viaire. Au sud de la ville, dès 1873, le Conseil municipal propose à la compagnie du Central Vermont (ancêtre du Canadien-National), de construire aux frais de la municipalité la gare, puisqu'il y avait déjà un dépôt, où seraient transbordés le freight et les voyageurs. La gare fut inaugurée en 1876 avec l'enthousiasme de la population. Un ponté sur pilotis liait la voie du Central Vermont à l'autre rive du Richelieu. En 1885, la voie ferrée Atlantic & North West s'établit sur un terrain d'une superficie de 115 arpents, coupé en partie par le ruisseau Hazen, «Le 20 octobre 1886, la compagnie de chemin de fer Atlantic & North West Railway demanda le droit de passer de ce jour au 1er juillet suivant, sa ligne de chemin de
fer dans la rue Saint-Joseph (Balthasard) et dans une partie de la rue Champ-lain, afin de pouvoir connecter avec la compa-gnie de chemin de fer Central Vermont» (Y. Labelle. op. cit. p. 19). Le réseau se complétait. En 1893, la Compagnie de chemin de fer des Comtés-Unis érige à son tour une gare à l'extrémité de la 9e avenue et restera en fonction jusqu'en 1897. La Banque de Saint-Hyacinthe avait une succursale à Iberville à une époque où les banques se développaient en étroite symbiose avec de petites compagnies ferroviaires pour desservir les clientèles industrielles et agricoles régionales. Entreprises souvent éphémères d'ailleurs, en attendant la nationalisation des grands réseaux de voies ferrées chargées de raccorder tous ces segments ferroviaires.
La voie longeant le ruisseau Hazen passe sous contrôle du Canadien-Pacifique qui, lui aussi comme son concurrent du Central Vermont/Canadien-National, a son pont monté sur pilotis pour traverser le Richelieu.
En 1908, remplaçant le vieux pont par un neuf, la Compagnie en profite pour effectuer des travaux le long de sa voie. Outre le viaduc qui
prolonge le nouveau pont et enjambant la 1ère rue, elle travaille à élargir la voie et parallèlement à rétrécir le ruisseau, Ces travaux inquiètent grandement la population. «Vu la grande quantité d'eau qui passe dans ce ruisseau spécialement lors de la crue des eaux du printemps, ce qui pouvait causer des dommages considérables aux riverains, le Conseil de ville donna avis au Canadien-
Pacifique de ne pas diminuer la capacité du ruisseau Hazen au cours des travaux qu'elle avait entrepris. Au mois de juin 1904, cette com-pagnie de chemin de fer avait transporté sa gare de la première rue au bout de la rue Riendeau. Au mois de mai 1966, la Commission des transports du Canada autorisa la Compagnie de chemin de fer du Canadien-Pacifique à supprimer le poste d'agent et à fermer la gare d'Iberville, le 21 mai» (ibid. p. 206). C'est là, au coin de Riendeau, que tout petit enfant, mon père m'emmenait sur son bicycle passer sur l'étroit passage sous le «petit pont rouge», minuscule viaduc sous la voie, pour enjamber le ruisseau en roulant sur une ponceau de bois joignant ainsi Saint-Alexandre à la nouvelle paroisse Sacré-Cœur.
Il faut
toutefois être honnête, les hauts et les bas d'Iberville suivraient
le développement de la ville de Saint-Jean. Iberville partage avec
elle l'élan industriel apporté par les usines de poteries. De même,
l'union des personnels économiques et politiques se montre si étroite
que la collaboration fonde les deux villes en une. Félix-Gabriel Marchand, Charles Laberge et Alexandre Dufresne participent à la
fondation du «Franco-Canadien», le journal local libéral qui existe toujours sous le nom de «Canada Français». Dufresne fonde même un Club
Saint-Jean-Baptiste, loge secrète affiliée à l'Institut canadien
de Montréal. Laberge avait déjà fondé un pareil Institut canadien d'Iberville propre à enrager l'évêque Bourget. Marchand encore et
Louis Molleur, un financier entreprenant, collaborent en 1873 à fonder la Banque de Saint-Jean, dont il est président jusqu'en 1904. Également Directeur de la Canada Agricultural Insurance Co., marguiller et conseiller municipal à Saint-Jean, Molleur se porte pour le parti Libéral lors de la première élection du comté d'Iberville après la Confédération en 1867 et est élu alors que Marchand l'est pour le comté voisin de Saint-Jean. Réélu sans interruption en 1871, en 1875 (sans opposition), et en 1878, en 1881, il cède son siège à un autre libéral, Alexis-Louis Demers. Les deux villes sont
tellement en symbiose que le gouvernement conservateur à Ottawa, par mesquinerie électoraliste, fusionnent
les deux comtés tenus jusqu'alors par des députés libéraux pour
l'élection de 1896. De cette fusion naît le comté fédéral de
Saint-Jean-Iberville. Depuis la Confédération, en effet, Iberville avait toujours eu François Béchard, le même député libéral à Ottawa, réélu en 1874, 1878, 1882, 1887, 1891 et dans le comté fusionné Saint-Jean-Iberville, encore en 1896!
Le glas de la prospérité johannaise fut sonné à Iberville avec le début du XXe siècle. Le déclin s'accélère surtout après la Grande Guerre. Comme sa voisine a moins d'auto-détermination, elle ressent plus rapidement que Saint-Jean-de-Québec la perte de contrôle du développement économique et politique de la région du Haut-Richelieu. En 1955, l'année de ma naissance, les projets de démolition se multiplient. Fondée en 1942 par V. Longtin, la compagnie Iberville Fittings, productrice de câbles, aménage de l'autre côté de la rivière en 1954. La crise johannaise provoquait des déménagements regrettables pour sa jumelle.
En
1962, on démolit le gobelet du vieux réservoir d'eau sis à
l'entrée du pont Gouin, érigé depuis 1921. Peu après, c'est au
tour de la masse de ciment qui faisait lever un panneau du pont Gouin afin
de
permettre aux bateaux de passer en toute sécurité pour se rendre
aux quais. Quais disparus depuis belle lurette. Démoli-tion également la gare du Canadien-Pacifique sur la rue Riendeau en 1966.
L'année d'après, c'est au tour du pont du Canadien-National
(Central Vermont) d'être démoli, abandonnant la vieille gare, triste témoin du départ de tant de milliers de Québécois partis s'exiler dans les factories de la Nouvelle-Angleterre. Gare que
les Ibervillois avaient payé de leur poche et qui survécut aux
rails et aux dormants enlevés depuis si longtemps qu'il ne restait
plus, durant les années 1970, que les hautes herbes balayées par les saisons pour l'isoler du regard. Iberville n'avait été qu'un prolongement de la ville de
Saint-Jean et jamais une ville au développement véritablement autonome.
Les Ibervillois
doivent au «patriote» Landry, premier-ministre de la si bien nommée
Province de Québec, pour des raisons administratives de gros sous
aussi mesquines que les visées conservatrices lorsque Ottawa jumela les deux comtés en un, d'avoir fusionné en 2001 Saint-Jean et Iberville
dans une seule et même localité. Bernard Landry a affiché le même mépris pour les opposants à la fusion que
Jean Chrétien pour les séparatistes du Québec dont Landry lui-même faisait parti! On pourra toujours arguer
qu'Iberville ne fut pas la seule à disparaître de la toponymie des
villes du Québec dans cette grande réforme de la gestion municipale, mais en étant assimilée à la ville de Saint-Jean, Iberville fut revêtue d'une identité qui n'était pas la sienne mais celle d'une autre. Saint-Jean ne bénéficia non plus d'aucun avantage identitaire de cette fusion, puisque
les deux conseils municipaux étaient bien différents du temps de la
symbiose de la fin du XIXe siècle. Cette expansion de la ville de Saint-Jean ne pouvait être qu'un alourdissement de ses responsabilités sans en tirer en retour beaucoup de bénéfices rentables. Cette fusion se fit donc au profit du gouvernement du Québec et non des deux municipalités fusionnées. Ce laïc de Landry fit donc rentrer
Iberville sous la coupe de la sainteté.
Ce faisant, ce technocrate discréditait donc sa propre cause politique, puisque l'argumentaire du fédéralisme repose précisément que le maintien du Québec dans la Confédération permet d'économiser des frais administratifs (des taxes et des impôts) aux citoyens québécois. En faisant disparaître une ville du patrimoine québécois, Landry trahissait sa propre cause et pour des raisons puisées à même l'argumentatif du fédéralisme rentable de ses adversaires libéraux. Une fois de plus était démontré que les technocrates sont indifférents sinon allergiques aux principes et aux aspirations qui ne sont pas chiffrés.
On pourrait
toujours dire que Landry n'a fait que pousser à sa
limite une logique déjà inscrite (mais depuis quand?) dans la mouvance des structures urbaines du
Haut-Richelieu. Le
gouvernement
provincial aurait donc achevé un sort iné-luctable aux Ibervillois d'en faire des Johannais d'un coup de baguette administrative asséné par la marraine Landry. Mais
lorsqu'on s'engage dans une telle logique pragmatique, pour un parti
qui prône le droit à l'auto-détermination d'une province d'en faire un pays conforme à son identité, ce n'est rien de mieux que
scier la branche sur laquelle le patriotisme est assis. On ne peut en voiler le discrédit par des sophismes politiques. Nous sommes donc en mesure de peser le poids
de la valeur accordée par les nationalistes du Parti Québecois à l'indépendance nationale. Qui ne respecte pas les valeurs locales n'est pas en mesure de faire respecter les valeurs nationales.
Laberge,
Vincelette, Filiatrault et Dufresne rêvaient à la grandeur de leur
petit «front de rivière» et le voyaient déjà comme une grande
ville prospère. Rien ne laissait prévoir cette issue considérant
qu'en 1859 le démarrage économique et politique de Saint-Jean était
lui aussi sur son aire de lancement, mais Saint-Jean avait déjà une longueur d'avance sur sa voisine et rivale. En choisissant le nom
d'Iberville pour
repousser derrière la paroisse Saint-Athanase, les Rouges du temps lançaient une gifle à l'évêque Bourget. Ils avaient été chercher leur modèle non dans la tradition chrétienne, mais dans la
tradition nationale. Ils accomplissaient l'esprit des Patriotes
de 37-38. Mais un autre patriote - de ces patriotes d'opérette dont le passage n'apporte rien à la patrie -, devait reproduire le coup électoraliste mesquin
des Conservateurs fédéraux de 1896.
Iberville était le nom de ma ville si médiocre fut-elle, n'ayant jamais eu la chance de disposer de la grandeur de Florence, pas même rien que d'être la Némésis de Saint-Jean-de-Québec⌛
Jean-Paul Coupal



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