Au milieu de la course de notre vie, je perdis le véritable chemin, et je m'égarai dans une forêt obscure: ah! il serait trop pénible de dire combien cette forêt, dont le souvenir renouvelle ma crainte, était âpre, touffue et sauvage. Ses horreurs ne sont pas moins amères que les atteintes de la mort. Pour expliquer l'appui secourable que j'y rencontrai, je dirai quel autre spectacle s'offrit à mes yeux. Je ne puis pas bien retracer comment j'entrai dans cette forêt, tant j'étais accablé de terreur, quand j'abandonnai la bonne voie. Mais à peine fus-je arrivé au pied d'une colline où se terminait la vallée qui m'avait fait ressentir un effroi si cruel, que je levai les yeux et que je vis le sommet de cette colline revêtu des rayons de l'astre qui est un guide sûr dans tous les voyages. Alors s'affaiblit la crainte qui m'avait glacé le cœur pendant la nuit où j'étais si digne de pitié.

DANTE

LA DIVINE COMÉDIE

dimanche 25 mars 2012

Un assassin dans la cité


UN ASSASSIN DANS LA CITÉ

Tout commença pour moi lorsqu’à l'âge de 15 ou 16 ans, je vis une reproduction photographique du living-room de la demeure du 10050 Cielo Drive, au-dessus du Benedict Canyon près d’Hollywood. C’était dans le petit livre du journaliste américain Lawrence Schiller, Les assassins de Sharon Tate (Paris, Stock, 1970), qui annonçait la confession exclusive d’une des meurtrières, Susan Atkins. La photographie en question était simple. Le divan du salon maculé de sang des victimes. Les corps n’y étaient plus et cela rendait la photo encore plus inquiétante. Contrairement aux journaux jaunes qui nous montrent des scènes macabres de meurtres sordides ou, à défaut, des illustrations croquées par un caricaturiste, cette image, la première que nous pouvions voir alors que les procès des inculpés se déroulaient encore, glaçait le sang dans les veines. Depuis, des photos de la scène du crime, en couleur, présentent les poses impudiques et tragiques des victimes, mais aucune ne me fait la même impression étrange que la vieille reproduction en noir et blanc que j’ai vu en 1970.

Que me montre cette photographie pour me mettre si mal à l'aise? Par-delà la scène de crime, ce qu'on y voit, ce n'est rien de plus que la trace vive du Mal. À une époque où la trace du Mal s'affichait en gros caractères à Auschwitz, celle de la tuerie de Cielo Drive indiquait que le Mal ne se déplace pas toujours avec un visa nazi ou s’en prenant uniquement aux Juifs. Comme Marx et Engels disaient du prolétariat, le Mal n’a pas de patrie. Aussi bien, sinon peut-être mieux que Dieu, il est partout. Essayer de sonder son pouvoir nous conduit à l’infini et risquerait de nous convertir au manichéisme en faisant du Mal un être de nature divine, égal à la toute-puissance de Dieu. Il est impossible, aujourd’hui, de ne pas faire d’efforts pour se convaincre que le Mal est la volonté de Dieu afin de mesurer la force de notre Amour. Aucune considération théologique ne vient à bout du Mal, au contraire, c’est lui qui domine facilement non seulement les considérations théologiques, mais le grand cirque de la morale, privée et publique. Saint Augustin avait raison de considérer que la cité terrestre est celle du Diable, ce monde dont le Prince vient des Ténèbres et il est rarement conséquent que du bien peut naître de ce Mal.

Le crime de Cielo Drive mettait «à l'affiche» le meurtre de l’actrice Sharon Tate, épouse du cinéaste Roman Polanski, qui avait connu, enfant, l’enfer en Pologne sous occupation allemande puis soviétique. Après des succès mérités en Europe, il était venu s'établir à Hollywood et avait acheté la résidence de Cielo Drive du fils de l’actrice Doris Day (Que sera sera), Terry Melcher, un agent et producteur d'artistes. Quelques jours plus tard, un couple de résidents, les LaBianca furent retrouvés, également massacrés dans leur villa, et comme dans la résidence de Cielo Drive, on y voyait tracé sur le frigo et sur les murs, avec le sang des victimes, les mots Helter Skelter, tirés d’une chanson des Beatles, et surtout ceux de PIGS qui s’adressaient soit aux policiers, soit à ce que les jeunes hippies de l’époque dénonçaient comme étant l’establishment. En 1969, un an après les soulèvements des étudiants des universités américaines, les manifestations mondiales contre la guerre du Viet Nam, l’arrogance d’une bourgeoisie mondiale toujours égale à elle-même, c’est-à-dire rapace, les Américains et avec eux le monde entier, apprirent que tous les hippies ne pratiquaient pas nécessairement le Flower Power.

Le crime de Cielo Drive en appelait à la triade Sex, Drug and Rock’n Roll, voilà pourquoi dans ces crimes le Mal apparaît stratifié. Sharon Tate avait une carrière devant plutôt que derrière elle. Valley of the dolls (1967) était adaptée d'un roman de Jacqueline Susan et décrivait la grandeur et la misère des mannequins. (Les «poupées» en question sont précisément des capsules de drogue.) Le personnage de Tate finissait par avaler un tube de somnifère en apprenant qu'elle avait un cancer du sein, soupirant en  s'endormant : «Je n'ai pas de talent, tout ce que j'ai, c'est mon corps!» Puis, la même année, elle avait tourné The Fearless Vampire Killers, traduit en français par le titre qui ne lui rend pas justice, Le Bal des Vampires, où elle avait tourné avec et sous la direction de son mari, Polanski, Ce sont les deux seuls films qui permettront qu'on se souvienne d’elle. S’y montra-t-elle une grande actrice? Pas particulièrement. Comme Tippi Hedren fut une invention de ce «farceur» d’Hitchcock, Sharon Tate était une invention de Polanski. Polanski était un homme aux femmes, une sorte de playboy dont l’un de ses amis disait de lui «que seul son ego pouvait rivaliser avec son immense talent» (Cité in V. Bugliosi et C. Gentry. La tuerie d’Hollywood, J’ai lu, Col. Crimes & Enquêtes, # 7031, 1993, p. 48). Sharon avait déjà été la maîtresse de son coiffeur, un autre playboy, Jay Sebring, qui continua à fréquenter le couple. Cet autre homme à femme avait, en plus, des goûts sadomasochistes soft, aimant que ses partenaires de lits simulent la souffrance pour l’exciter. Un autre couple parmi les victimes, Abigail Ann Folger était suivie quotidiennement par son psychiatre et bourrée de drogue tandis que son mari «Voytek» Frykowski, qui avait fait partie des bagages de Polanski à sa sortie de Pologne, vivait au crochet de sa compagne, Folger, qui le fournissait en cocaïne, mescaline, L.S.D., marijuana et haschisch en grandes quantités.

Sharon Tate était enceinte lorsqu’elle fut poignardée à mort avec ses amis, son mari étant absent, retenu à Londres. Les proches de Sharon, comme on vient de le voir, appartenaient à une classe sociale privilégiée qui faisait mentir le stéréotype des bien-pensants, que seuls les jeunes hippies s'adonnaient aux drogues «dures». Or, après les licences sexuelles que s'autorisaient ces névrosés, c'est par une bande de déclassés, agissant comme eux sous l’effet de la drogue et commandés par un gourou qui se garda bien de participer lui-même aux meurtres, que s'exécuta le carnage. Car ce qui plaisait à Charles Manson, c’était de pouvoir exercer son contrôle sur des esprits dépendants. Par après, sous le feu des projecteurs, il développa son personnage de psychopathe satanique, pris des allures d’halluciné, faisant de gros yeux fixes et tirant la langue. Polanski et Manson partageaient ce goût en commun pour la démonologie et les rituels sataniques. Manson, comme le Malin, anticipait s’élever au-dessus de la masse des êtres qu’il méprisait et qu’il prenait pour sa simple satisfaction sexuelle. Comme Hitler, un héros à la mode pour certains, il rêvait sans doute de faire marcher des automates vers le crime et leur mort. La drogue était son médium, sa vanité le message. C’est ainsi qu’à peine sortis de l’adolescence, Patricia Krenwinkel (21 ans), Linda Kasabian (20 ans), Charles Watson (Tex), 24 ans et Susan Atkins  (21 ans) furent les terribles mains armées du gourou pour qui Helter Skelter était un synonyme de l'Armageddon, car Charles Manson, qui s’identifiait à la fois au Christ (Man’ son) et au Diable se sentait autorisé à disposer de l'existence de l'univers. Lorsque la police interrogea Susan Atkins et lui demanda en quoi consistait la cause à l’origine de tous ces carnages, elle répondit: «Semer la peur dans la société actuelle» (Citée in V. Bugliosi et C. Gentry. ibid. p. 240). La peur? Bien sûr, la peur est à l’origine de la plupart des assassinats, individuels et collectifs. Non pas la peur qui confirmerait une angoisse, mais la peur comme avertissement, comme menace, comme chantage. C’était le motif premier de Manson - la strate ultime du Mal dans ce cas - qui, se croyant auteur-compositeur-interprète à la hauteur des Beatles, disait avoir conclu un accord avec Terry Melcher, l’ancien résident du 10050 Cielo Drive. Il reprochait à Melcher, qui semble ne lui avoir rien promis, de ne pas respecter sa parole. Manson alla fouiner autour de la maison, appris que Melcher n’y résidait plus et pour lui faire peur, organisa l’opération ou un garçon et trois filles vinrent commettre un impressionnant massacre. Pour causer la peur, ça, le coup fut une réussite: «On raconta que Frank Sinatra se cachait; que Mia Farrow ne voulait pas se rendre à l’enterrement de son amie Sharon parce que, expliqua une amie, “elle a peur d’être la prochaine victime”; que Tony Bennett avait déménagé de son bungalow dans les jardins du Beverly Hills Hotel pour une suite à l’intérieur de l’hôtel où il serait “plus en sécurité”; que Steve McQueen conservait une arme sous le siège avant de sa voiture de sport; que Jerry Lewis avait installé un système d’alarme dans sa maison accompagné d’un circuit fermé de télévision. Connie Stevens reconnut plus tard qu’elle avait transformé sa maison de Beverly Hills en forteresse “surtout à cause de la tuerie chez Sharon Tate. Tout le monde avait la trouille”» (V. Bugliosi et C. Gentry. ibid. p. 67). Un assassin dans la cité, c’est ça: la terreur, l’angoisse d’être une victime prochaine, comme si le meurtre s’adressait directement à soi; un avertissement des Érynies déchaînées contre les fautes d'un coupable, enfin le pouvoir policier, suspicieux, répressif, meurtrier des meurtriers.

Si les légendes urbaines ont fait du tueur psychopathe une figure de superstition moderne, il va de soi que «les assassins sont parmi nous» depuis toujours. Leurs traces sanglantes se retrouvent partout. Dans des endroits sacrés, comme l’église où fut tué Thomas Beckett, l’archevêque de Canterbery, par insinuation du roi Henry II; aux portes du Louvre où les cadavres des protestants suppliciés le jour de la Saint-Barthélemy s'amassaient; au palais des Tuileries où le 10 août 1792 les gardes suisses ont été mis à mort avec une telle sauvagerie par la populace pour avoir protégé la vie de la famille royale, et même si les assassins essaient de tenir loin d’eux les traces du crime, nous ne pouvons nous fermer les yeux pour ne pas les voir. Auschwitz, de lieux d’extermination est devenu temple d’expiation des crimes commis contre les plus innocents d’un peuple visé comme la source de la pire honte occidentale moderne: le capitalisme (ou le communisme, au choix). Un témoin proche de Manson rapporte ainsi le témoignage du «Fils de l’Homme» à propos de Hitler: «Il disait que Hitler était un gars au diapason, qui avait rasé la destinée des juifs» (Cité in V. Bugliosi et C. Gentry. ibid. p. 311). Les petits meurtriers en série ont donc le choix pour se justifier de leurs vengeances personnelles en en appelant aux grandes figures tyranniques de tous les temps.

Qui n’a pas entendu parler d’Attila (±395-453), «fléau de Dieu»? Les Huns qui s’appelaient eux-mêmes les Hiong-nou, avaient devant eux une Chine divisée en trois royaumes. En 311 Lieou Ts’ong, celui que René Grousset appelle «l’Attila de la Chine» et ses cavaliers «s’emparèrent de Lo-yang, la capitale [du Royaume Wei, la Chine du nord], brûlèrent le palais impérial et capturèrent l’empereur Tsin Houai-ti, puis remontèrent jusqu’à Tch’ang-ngan où [ils] massacrèrent la moitié de la population (312). L’empereur prisonnier fut envoyé à P’ing-yang, résidence de Lieou Ts’ong où celui-ci le contraignit à lui servir d’échanson jusqu’au jour (313) où il le fit exécuter. Le nouvel empereur de Chine, Tsin Min-ti (312-316), s’était, après le départ des Hiong-nou, installé à Tch’ang-ngan, mais en 316 les Hiong-nou revinrent, bloquèrent cette ville et obligèrent le faible empereur à capituler. De nouveau, à P’ing-yang, le roi hun, assis sur son trône, eût un empereur de Chine prisonnier, l’obligea à “rincer des coupes dans les banquets” et finalement (318) le fit aussi exécuter» (R. Grousset. L'empire des steppes, Paris, Payot, Col. Bibliothèque historique, 1965, pp. 96-97). Ce Lieou Ts’ong, «le conquérant hun de la Chine du nord, fit un moment grande figure. Maître des vieilles capitales impériales de Lo-yang et de Tch’ang-ngan, bien qu’ayant maintenu sa résidence à P’ing-yang, au Chan-si, il régnait sur le centre et le sud du Chan-si sur le Chen-si (moins le bassin de la Han), sur le nord du Ho-nan (moins K’ai-fong), sur le sud du Ho-pei et le nord du Chan-tong. Mais au nord de ce royaume hunnique dont le chef, malgré ses mœurs barbares, restait du moins frotté de culture chinoise (il avait été élevé à la cour impériale), se pressaient d’autres hordes, celles-là intégralement barbares. La horde des Tabgatch, en chinois T’o-pa, d’origine probablement turque, s’était établie vers 260 dans l’extrême nord du Chan-si, au nord de la Grande Muraille. Pendant les années suivantes, les T’o-pa s’établirent au sud de la Muraille, dans les anciennes commanderies chinoises de Yen-men (Cho-p’ing), au nord du Chan-si, et de Tai (près de Yu-tcheou), c’est-à-dire dans le district de Ta-t’ong où nous les voyons solidement installés en 310» (R. Grousset. ibid. pp. 97). Tous ces peuples se mirent en branle au milieu du siècle et progressèrent vers l’ouest, ravageant l’Inde, la Perse et les États des steppes asiatiques. Une de ses branches, située dans le sud de la Russie, se mit en branle à son tour. De ses flancs devait sortir le fameux Attila.

Les Huns menacèrent les deux portions, orientale et occidentale, de l’Empire romain. Venant derrière les Goths, ceux-ci fuyaient, paniqués, devant ces nouveaux barbares qu’on disait encore plus terribles. Leur réputation était, en effet, terrible, précédée par leurs agressions contre les Trois Royaumes chinois. «L’impression de terreur produite par l’irruption des Huns dans le monde romain et germanique a été bien traduite par Ammien Marcellin et par Jornandès. “Les Huns, écrit Ammien, dépassent en férocité et en barbarie tout ce qu’on peut imaginer. Ils labourent les cicatrices les joues de leurs enfants pour empêcher la barbe de pousser. Leur corps trapu, avec des membres supérieurs énormes et une tête démesurément grosse, leur donne un aspect monstrueux. Ils vivent d’ailleurs comme des animaux. Ils ne font cuire ni n’assaisonnent leurs aliments, vivant de racines sauvages et de viande mortifiée sous leur selle. Ils ignorent l’usage de la charrue, les habitations sédentaires, maisons ou cabanes. Éternellement nomades, ils sont rompus dès l’enfance au froid, à la faim, à la soif. Leurs troupeaux les suivent dans leurs migrations, traînant des chariots où leur famille est renfermée. C’est là que leurs femmes filent et cousent leurs vêtements, enfantent et élèvent leurs enfants jusqu’à la puberté. Demandez à ces hommes d’où ils viennent, où ils sont nés, ils l’ignorent. Leur habillement consiste en une tunique de lin et une casaque de peaux de rat cousues ensemble. La tunique, de couleur sombre, leur pourrit sur le corps. Ils ne la changent que parce qu’elle les quitte. Un casque ou un bonnet rejeté en arrière et des peaux de bouc roulées autour de leurs jambes velues complètent cet équipage. Leur chaussure, taillée sans forme ni mesure, ne leur permet pas de marcher; aussi sont-ils tout à fait impropres à combattre comme fantassins, tandis qu’une fois en selle, on les dirait cloués sur leurs petits chevaux laids, mais infatigables et rapides comme l’éclair. C’est à cheval qu’ils passent leur vie, tantôt à califourchon, tantôt assis de côté, à la manière des femmes. Ils y tiennent leurs assemblées, ils y achètent et vendent, y boivent et mangent, ils y dorment même, inclinés sur le cou de leurs montures. Dans les batailles ils fondent sur l’ennemi en poussant des cris affreux. Trouvent-ils de la résistance, ils se dispersent, mais pour revenir avec la même rapidité, enfonçant et renversant tout ce qui se rencontre sur leur passage. Toutefois ils ne savent ni escalader une place forte, ni assaillir un camp retranché. Mais rien n’égale l’adresse avec laquelle ils lancent, à des distances prodigieuses, leurs flèches armées d’os pointus, aussi durs et meurtriers que le fer» (Cité in R. Grousset. ibid. pp. 118-119). Cette description d’Ammien Marcellin pourrait, légèrement adaptée, s’appliquer à la «famille» Manson. Itinérante, logeant dans des campements désordonnés, elle est enveloppée d’autres hippies se déplaçant en fourgonnette «familiale» ou montant leurs motocyclettes comme des «petits chevaux laids, mais infatigables et rapides comme l’éclair». Là où les nomades des prairies américaines rencontrèrent les sédentaires de la côte californienne, un choc semblable se produisit entre les nomades des steppes asiatiques débarquant soudain aux limes de l’empire romain déconfit.

Il n’y a pas jusqu’aux airs déments de Charles Manson qu’on ne reconnaîtrait dans la description du physique des envahisseurs. «Sidoine Apollinaire qui attribue le type physique des Huns à une déformation volontaire pendant l’enfance, nous parle avec non moins d’horreur de ces brachycéphales au nez aplati, (“une excroissance informe et plate”), aux pommettes saillantes, aux yeux enfoncés dans l’orbite comme dans une caverne, (“et, cependant il s’en échappe des regards perçants qui embrassent les plus lointains espaces”) - l’œil d’aigle du nomade habitué à scruter les immensités, à discerner les hardes de cerfs ou de chevaux sauvages jusqu’à l’horizon des steppes. Et du même auteur, ce beau vers qui peint admirablement l’éternel cavalier des steppes: “Une stature au dessous de la moyenne quand le Hun est à pied, grande quand il est à cheval!”» (R. Grousset. ibid. p. 119).

Raphaël. Saint Léon le Grand arrêtant Attila
Dès 441, Attila avait déclenché la guerre contre l’Empire romain d’Orient, traversant le Danube et remontant la Morava serbe. Il prit Naïssus (Nisch), pilla Philippopolis et ravagea la Thrace jusqu’à Arcadiopolis (Lulé-Bourges) qu’il saccagea. Le basileus finit par s’entendre avec lui en abandonnant une bande de terrain au sud du Danube. «En janvier-février 451, Attila, après avoir concentré son armée dans la plaine hongroise, se dirigea vers la Gaule en ralliant au passage les Germains de la rive droite du Rhin. Après avoir passé le Rhin il attaqua la partie de la Gaule encore romaine, que gouvernait le patrice romain Aetius. Il brûla Metz le 7 avril, et vint assiéger Orléans. Le 14 juin, la ville fut délivrée par l’arrivée de l’armée romaine, commandée par Aetius, et de l’armée wisigothique, commandée par le roi Théodoric. Attila battit en retraite vers Troyes. C’est à l’ouest de Troyes, au Campus Mauriacus, qu’il fut arrêté par les Romains et les Wisigoths, dans une bataille disputée, presque indécise, mais qui n’en sauva pas moins l’Occident (fin juin 451). Après cet échec Attila battit en retraite jusqu’au Danube, où il hiverna. Au printemps de 452 il envahit l’Italie, mais s’attarda trop au siège d’Aquilée qu’il finit par enlever et qu’il détruisit. Il prit encore Milan, Pavie, et annonça l’intention de marcher sur Rome, d’où l’empereur Valentinien III venait de s’enfuir. Toutefois, au lieu de pousser sur la capitale du monde, il se laissa persuader par l’évêque de Rome, saint Léon le Grand, venu lui promettre un tribut et la main de la fille des Césars, Honoris (6 juillet 452). Il rentra cette fois encore en Pannonie où il mourut en 453». Devant la désertion du pouvoir civil et militaire, le pouvoir religieux du pontife chrétien sut profiter de la menace que fit peser le Hun sur l’Empire romain d’Occident.

Grousset poursuit: «L’historien goth Jornandès nous a laissé un portrait saisissant d’Attila. C’est le Hun-type. Court de taille et large de poitrine, il avait la tête grosse, les yeux petits et enfoncés, le nez épaté, le teint sombre, presque noir, la barbe rare. Terrible dans ses colères, jouant de l’effroi qu’il répandait comme d’un instrument politique, nous retrouvons en lui à peu près le même coefficient de calcul et de ruse que les historiens chinois nous montrent en Chine chez les conquérants hiong-nou des Six-Dynasties. Ses discours, d’une emphase calculée, ses menaces obscures étaient des préparatifs stratégiques, comme étaient voulues ses destructions systématiques (Aquilée, rasée au sol, ne se releva jamais de son passage), voulus ses égorgements collectifs dont le but principal était de servir de leçon à l’adversaire. À côté de cela, Jornandès et Priscus le montrent juge intègre pour les siens, généreux pour ses serviteurs, bienveillant aux soumissions sincères, de vie simple au milieu du luxe barbare des siens, ne se servant que de vaisselle en bois parmi les plats d’or de son entourage. Ajoutons d’autres traits fournis par les mêmes sources, une superstition profonde, une crédulité de sauvage envers ses chamans, un goût pour l’alcool qui faisait finir les cérémonies en scènes d’ivresse; en même temps le souci de s’entourer de ministres et de scribes grecs comme Onégèse, romains comme Oreste, germains comme Edéco…» (R. Grousset. ibid. pp. 122-123). Utilisant la ruse plutôt que la force, braqué devant les grands empires, les Huns se savaient inférieurs en nombre et en puissance. Ils ne pouvaient compter que sur la terreur qu’ils inspiraient, la panique des villes devant les témoignages des survivants des tueries perpétrées, enfin la menace d’être impitoyables pour ceux qui leur résisteraient. C’est ce que comprit le pape Léon et ne comprit pas l’empereur Tsin Min-ti. À la ruse ne pouvait que répondre une ruse encore plus subtile; la force, si elle n’était pas équipée pour vaincre, était vaine. Comme Attila, Manson était rusé et impertinent. De plus, il exerçait une fascination de «chamane» sur ses disciples. Ceux-ci témoignèrent: «Sandy: “La première fois que je l’entendis chanter, j’ai cru entendre un ange…”; Squeaky: “Il se dégageait une sorte de magie. Chaque fois que je le voyais, il était transformé. On ne lui donnait pas d’âge…” Les parents de Patricia Krenwinkel étaient certains “qu’il possédait un don d’hypnotiseur”» (V. Bugliosi et C. Gentry. op. cit. p. 217). Tout ce que les psychiatres purent trouver se résume dans ce paragraphe: «Charles Manson a une forte tendance à attirer l’attention sur lui. Généralement incapable de réussir dans des activités positives, il se retranche derrière des attitudes négatives pour satisfaire son besoin. Dans ses efforts pour se “retrouver”, il a étudié de près différentes doctrines religieuses, dont la scientologie et le bouddhisme. Cependant, il ne s’attarde jamais assez longtemps sur un de ces enseignements pour pouvoir en tirer un quelconque profit…» (Cité in V. Bugliosi et C. Gentry. ibid. pp. 194-195). Comme Attila, Manson était une personnalité «faite», imperméable à la civilisation avec laquelle il entrait en dysfonctionnalité. Homme des steppes, Attila était resté parfaitement adapté à son milieu naturel; lancé contre les cités, ils pouvaient les vaincres en se servant de terreur et de ruse, entré dans leur gravitation, c’était un homme perdu. Il arriva la même chose à Manson.

Et Tamerlan? Sommes-nous devant un autre Attila? Lui aussi sema l’effroi dans l’Europe. Le dramaturge élisabéthain Christopher Marlowe écrivit deux drames qui relataient sa légende. Venant après Genghis Khan et Kubilaï Khan, le chef turco-mongol Timour Lenk (1336-1405), ne pouvait que s’inspirer de ces grands prédécesseurs pour se creuser un empire entre la Mer Noire et la Mer Caspienne avec l’espoir d’enfoncer le monde arabe. C’est dans l’Afghanistan actuel, à travers les combats pour imposer sa domination, que le jeune conquérant «reçut deux flèches, l’une dans une jambe, l’autre au coude droit. La première de ces blessures fut mal soignée et c’est elle qui lui valut le surnom de Timour-Leng, c’est-à-dire le Boiteux, qui passa dans les langues occidentales sous la forme de Tamerlan» (A. Champdor. Tamerlan, Paris, Payot, Col. Bibliothèque historique, 1957, pp. 31-32). L’essentiel de sa légende était posé. Cet homme était un combattant valeureux et vainqueur. Après sa victoire contre son rival Hussein, qui avait obtenu l’appui des citoyens de la ville de Balkh, le vainqueur s’empara de la cité: «Dès que la nouvelle fut connue, tous les seigneurs de la Transoxiane accoururent à Balkh pour rendre hommage au vainqueur. Celui-ci commença par leur annoncer qu’il entendait être élu par eux souverain de la Transoxiane en suivant la coutume établies par Genghis Khan. Le 10 avril 1370, Tamerlan prit place sur le carré de feutre blanc, mit sur sa tête le casque doré et ceignit la ceinture réservée aux rois; les chefs et toute l’assistance plièrent le genou et l’acclamèrent, puis jetèrent sur lui des pièces d’or et des pierreries. […] Il commença par faire restituer intégralement l’argent et les bijoux prélevés par l’infortuné Hussein, puis il fit exécuter impitoyablement une partie de la population de Balkh qui avait eu le tort de soutenir son adversaire contre lui. Par cet acte cruel, le Grand Émir n’assouvissait pas une vengeance, mais entreprit une méthode de gouvernement par la terreur, capable, souhaitait-il, d’empêcher les populations de suivre l’exemple de ceux qui choisissaient le camp de ses ennemis. L’extension progressive de ses conquêtes et, parallèlement, l’augmentation énorme du nombre de ses sujets par la force, allaient le pousser à accroître de pair les démonstrations de cette monstrueuse dissuasion, car les révoltes auront tendance à éclore dès qu’il s’éloignera» (L. Kehren. Tamerlan, Paris, Payot, Col. Histoire, # hp27, 1978, p. 30). Cette cruauté s’ajouta à la légende et contribua à terroriser aussi bien le monde musulman que le monde chrétien. Tous et chacun attendaient l’arrivée imminente du Boiteux.

Les ambitions de Tamerlan s’orientèrent d’abord vers l’est de l’Iran. L’empire Timouride, comme on l’appelle, tendait à s’étirer vers l’Orient, à reconstituer l’empire de Genghis Khan. Samarkande, qui était devenue la capitale de l’Empire, recevait tous les potentats locaux vaincus par Tamerlan où, trois siècles avant Louis XIV, ils servaient d’otages au conquérant. À la fin de 1382, des bandes afghanes de Ghor, aidés par la populace de Hérât, tentèrent un coup de main sur la ville dont ils se rendirent maîtres. «Le prince Miràn-chàh, troisième fils de Tamerlan, réprima sévèrement cette révolte: des tours furent construites avec des têtes humaines. Le Zafer Ghiàayth ed-Din et les membres de sa famille, sans doute soupçonnés de complicité, reçurent, à Samarquand, l’ordre de mourir. Ainsi finit la dynastie afghane des Kert qui, à force d’adresse, avait réussi à se maintenir près de cent trente ans au milieu de toutes les invasions dans cette forteresse de Mérât exposée à la convoitise de tous les conquérants» (R. Grousset. op. cit. p. 506). À Zarendj, capitale du Seistan, écrit encore Grousset, «Tamerlan “fit périr les habitants, hommes et femmes, jeunes et vieux, depuis les vieillards de cent ans jusqu’aux enfants au berceau”. Surtout Tamerlan détruisit le système de canalisation des campagnes sistanaises qui retournèrent au désert. “Et lorsqu’on fut arrivé sur le bord de la rivière Hilmend, on détruisit la digue dite digue de Roustam et il ne resta aucun vestige de cet antique travail”» (R. Grousset. ibid. p. 507). Tamerlan fut l’un des premiers à mener systématiquement des guerres d’extermination.

Tamerlan courait les route d’Asie centrale, tantôt il était obligé de revenir en Transoxiane rétablir son pouvoir, ou bien s’engager dans la conquête de l’Iran occidentale. Il s’empara de Baghdad puis fit saper les fondations de la puissante citadelle de Tikrit qui s’effondra sur elle-même. Ses défenseurs furent décapités et «on fit des tours de têtes coupées, sur lesquelles on plaça des écriteaux qui portaient cette phrase laconique: “Ainsi sont punis les malfaiteurs”» (L. Kehren. op. cit. p. 77). Il passa ensuite en Inde où il s’installa sur le trône de Delhi, ses hommes «commencèrent à piller et à violer une partie de la population, dont la résistance les exaspéra à tel point qu’ils se mirent à égorger beaucoup d’hommes et de femmes. À leur appel, d’autres soldats accoururent, ne sachant pas exactement ce qui se passait, mais arrivés sur les lieux du désordre ils se mirent aussi à piller et à tuer. Bientôt toute la ville fut à feu et à sang» (18 décembre 1398) (L. Kehren. ibid. p. 116). Tamerlan retourna faire la guerre en Syrie puis s’empara à nouveau de Baghdad où il atteignit le sommet de l’horreur. Il faisait une chaleur exceptionnelle sur la ville en ce mois de juillet 1401. «Tamerlan avait traité Baghdad avec indulgence la première fois qu’elle s’était rendue, cette fois-ci il se montra impitoyable. Il fit proclamer que chaque soldat devait apporter la tête d’un habitant pour que l’on élevât des tours avec ces sinistres trophées. On dénombra quatre-vingt-dix mille victimes, car les secrétaires de l’armée comptèrent cent vingt tours de sept cent cinquante têtes chacune. Il y eut quand même le même petit lot habituel de rescapés: celui des savants, des artisans et des hommes de religion, expédiés à Samarkand avec le trésor de la ville»
Verechtchiaguine. Le monument de la guerre
(L. Kehren. ibid. p. 117). «Après quarante jours de siège, raconte pour sa part Champdor, le 10 juillet 1401, alors que “la chaleur de la vallée du Tigre était si torride que les oiseaux tombaient morts du ciel” et que les défenseurs qui avaient la garde des remparts, accablés par la canicule, avaient déserté leurs postes, les Mongols, à moitié nus sous un soleil impitoyable, escaladèrent les murailles et prirent la ville d’assaut, en moins d’une heure. Et de nouveau il nous faut employer notre vocabulaire habituel de carnage. Tous les habitants au-dessus de huit ans furent égorgés. Tamerlan donna l’ordre d’élever avec les quatre-vingt-dix mille têtes des victimes de cette tuerie cent vingt pyramides. Les crânes desséchés de tant de morts devaient longtemps témoigner, tout autour de l’infortunée Bagdad, que les Mongols étaient passés par là. Quant à la ville, Tamerlan dit lui-même, dans ses Institutes: “…et je fis raser les maisons de Bagdad”. Et la célèbre cité des khalifes abbassides, qui s’enorgueillissait de ses deux mille bains, de ses trois mille écoles, de ses monuments magnifiques que l’on ne rencontre plus que dans les contes des Mille et une nuits, la ville qui avait rendu à la philosophie, à la littérature, aux mathématiques, à l’astronomie, aux sciences du droit et de la médecine les services les plus éminents depuis Athènes et Rome, fut détruite comme Damas, comme Delhi, comme tant d’autres cités victimes de l’impitoyable et redouté conquérant mongol qui devenait en vieillissant, plus cruel qu’il ne l’avait jamais été» (A. Champdor. op. cit. pp. 190-191). Il ne lui restait plus que quatre années à vivre. Sa dynastie traîna en langueur après sa mort, puis ne fut qu’un souvenir terrifiant.

On peut spéculer sur la stratégie militaire de Tamerlan, ses tueries massives équilibrées par la protection qu’il accordait aux sciences et aux arts tant il aurait voulu voir Samarkand, sa capitale, aussi rayonnante que n’importe quelle grande capitale d’un empire. Mais ces savants, ces littérateurs, n’étaient là que des esclaves, des serfs, des prisonniers en captivité dont la vie dépendait des caprices de l’émir. Si les hommes y étaient, les conditions, elles, n’y étaient pas, de sorte que la réputation de Tamerlan resta celle d’un chef d’une bande d’assassins, de pilleurs et de violeurs. Le goût des pyramides de têtes coupées dépassait la nécessité du terrorisme stratégique. Stratégie d’ailleurs inefficace puisqu’une fois la ville relevée, les dommages réparés, Tamerlan le dos tourné, elle n’hésitait pas à le défier à nouveau. Les rêves euphoriques de Katmandou cèdent partout la place aux nuées de vautours qui voltigent sur Baghdad ou Cielo Drive…

«Susan [Atkins] sautait d’un sujet à l’autre. Elle avait l’air en plein trip, sur sa planète. Soudain, on se retrouva dans le salon où Sharon et Jay avaient été emmenés, la corde au cou. Virginia demanda pourquoi ils avaient couvert la tête de Sebring d’une cagoule.
- On n’a jamais fait ça, démentit Susan.
- C’est dans les journaux, Sadie.
- Peut-être, mais il n’y a jamais eu de cagoule, insista Susan, catégorique.
À ce moment-là, l’autre homme (Frykowski) tenta de s’enfuir.
- Il pissait le sang, il voulait sortir, il a couru sur la pelouse en criant: “Au secours, au secours, à l’aide!” Personne n’est venu.
Brutalement, sans fioritures, elle ajouta:
- Puis on l’a achevé.
Virginia ne posait maintenant plus aucune question. Ce qui avait commencé comme une historiette de gamine tournait au pire des cauchemars.
Susan ne fut pas diserte sur ce qu’il advint d’Abigail Folger ou de Jay Sebring.
- Mais, admit-elle, Sharon a été la dernière à mourir.
Là-dessus elle se mit à rire.
Elle raconta comment elle lui avait immobilisé les bras par-derrière. Alors Sharon la regarda en pleurant et suppliant:
“Ne me tuez pas. Ne me tuez pas. Je ne veux pas mourir. Je veux vivre. Je veux avoir mon bébé. Je veux avoir mon bébé”.
Susan soutint son regard et dit:
“Écoute, salope, je me fous de toi, je me fous que tu aies un bébé. Prépare-toi. Tu vas mourir, et ça ne me fait ni chaud ni froid”.
Susan continua son récit:
- Quelques minutes plus tard, je l’ai tuée et elle est morte.
Alors elle s’aperçut qu’elle avait du sang plein les mains et les lécha.
- Hou, quel pied! Je me suis dit que je goûtais à la mort, et qu’en même temps je donnais la vie. C’est chaud, c’est poisseux, c’est bon…» (V. Bugliosi et C. Gentry. op. cit. pp. 121-122).

La mort rôde en ce jardin d’Éden. Attila et Tamerlan entre le Danube et le Tigre, la «famille» Manson sur Benedict Canyon. Mais il arrive qu’au lieu d’être en notre cité, l’assassin soit sur le trône de la cité. Caligula, Néron et Domitien, Ivan le Terrible, Richard III, Napoléon et Hitler, Staline et Pinochet… S’ils n’ont pas trempés eux-mêmes, comme Manson, leurs mains dans le sang poisseux, ils ont pataugé dans le sang jusqu’aux chevilles de milliers, sinon de millions d’individus qui n’étaient quand même pas tous moins coupables qu’eux! Mais lorsque le tyran est sur le trône même de la cité, comme dans les cités antiques ou les villes de la Renaissance, la proximité de l’assassin et de la victime ajoutent le cynisme à la terreur et à l’horreur.

Les tyrans italiens ne sont pas rares entre le XIIIe et le XVe siècle. Leurs folies sanguinaires, puériles, n’en sont pas moins terriblement violentes et destructrices. Ezzelino III de Romano († 1259) tyran installé par les soins de son beau-père, l’empereur Frédéric II est l'exemple qui marqua toute la Renaissance italienne : «Dante représente le tyran Ezzelino, “au front garni de cheveux bruns” - ce tyran dont on rapportait que son corps était couvert de poils bruns comme une peau d’animal - expiant ses péchés dans un fleuve de sang bouillant. L’apparence extérieure d’Ezzelino était sinistre, sa démarche ferme et assurée et la vue de cet homme, qui était pourtant de taille moyenne, et qui paraissait toujours frémir de fierté, de colère et d’arrogance, inspirait l’effroi. Bien qu’il ait été plusieurs fois marié pour des raisons politiques, les femmes restaient pour lui des étrangères: il les méprisait et n’a presque jamais touché aucune d’elles. Cela ne l’empêcha pas de tuer sur-le-champ, d’un coup d’épée, un guerrier allemand qui avait violé une femme lors de la prise de Vicence. Il se faisait lui-même appeler: “un fléau envoyé pour châtier les pécheurs”. Il cherchait d’ailleurs ces pécheurs plus parmi la noblesse que parmi le peuple, qu’il tenait en bride d’une poigne de fer. Ezzelino croyait que son destin était lié aux astres et il s’en remettait au savant Guido Bonatti et au Sarrasin astrologue à longue barbe, Paul de Bagdad, pour interpréter son destin. Il aimait lui aussi la magnificence, mais sa cour de Padoue montrait le faste sombre et tristement pesant du tyran, et ses gardes sarrasins servaient moins à rehausser l’éclat de sa cour qu’à inspirer la terreur. L’État doit rester pur, telle était la devise de ce despote qui, au fil du temps, devenait de plus en plus dur comme la pierre. Au plus léger soupçon, il infligeait la purification par le cachot et la castration, la torture et le bûcher. Il aurait fait tuer, martyriser, exécuter cinquante mille personnes dans sa région pour conserver son pouvoir. […] Lorsque lui, le vaillant soldat, éprouvé dans les combats, fut à l’âge de soixante-cinq ans encerclé par une nuée d’ennemis, étourdi par un coup de masse, et fait prisonnier, il refusa tout autant l’assistance d’un médecin que la nourriture. Il mourut quelques jours après, savoir avoir, bien entendu, accepté confession et viatique. Il n’avait, déclara-t-il, à se repentir que d’un péché, celui de s’être laissé vaincre et de ne plus pouvoir se venger. Là-dessus, il renvoya les prêtres. En mourant ainsi, Ezzelino échappait à une fin aussi horrible que celle de son frère Alberico de Romano. Celui-ci avait d’abord été son ennemi, mais s’était finalement rallié à lui. Il était lui aussi cruel mais, en plus, lubrique. C’est à quatre pattes qu’Alberico de Romano dut ramper vers le lieu d’exécution. Un mors dans la bouche et servant de monture à la populace, il dut assister aux tortures infligées aux siens avant qu’on lui arrachât avec des pinces la chair du corps et qu’on le fît traîner encore vivant par un cheval jusqu’à ce que mort s’ensuive» (E. Kantorowicz. L’Empereur Frédéric II, Paris, Gallimard, Col. Bibliothèque des histoires, 1987, pp. 552-553). Les Visconti, les Sforza, les Malatesta, les Borgia, les Aragon de Naples déployèrent des trésors de cruautés inouïes, imposant à leurs citoyens d’être témoins et participants à leurs bacchanales dont ils faisaient les frais.

«Charlie descendit puis se dirigea non pas vers cette villa, mais vers la villa voisine. Susan s’endormit de nouveau. La voix de Charlie la réveilla:
- Tex, Katie et Leslie, allez-y. J’ai ligoté les occupants, ils se tiennent tranquilles.
Leno LaBianca
Rosemary LaBianca
S’il y avait eu de la panique l’autre nuit, expliqua Charlie, c’est parce que les victimes savaient qu’elles allaient mourir. Cette fois-ci, il les avait rassurées avec des sourires et des gestes calmes, de sorte qu’elles croyaient qu’on ne leur ferait pas de mal… Alors, Tex, Katie et Leslie sortirent de la voiture.
Susan identifia les photos de Tex, de Leslie et de Katie. Ainsi que la résidence LaBianca, la longue allée d’entrée et la villa voisine.
Elle crut entendre Charles leur commander de les tuer “mais c’est peut-être mon imagination qui me joue des tours”. Il leur ordonna également de “peindre quelque chose d’effroyable”. Ils devraient rentrer en auto-stop une fois leur mission terminée» (V. Bugliosi et C. Gentry. op. cit. p. 241).

Un coup de couteau pour Rosemary⌛

Montréal,
24 mars 2012

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