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Hieronymus Bosch. L'orgueil |

1674) est incon-
testable-
ment un modèle de l'orgueil-
leux parfait. Le voici défait par les armées de chérubins du Tout-Puissant : «Toutefois malgré ces foudres, malgré tout ce que le Vainqueur dans sa rage peut encore m’infliger, je ne me repens point, je ne change

cience du mérite offensé, cet esprit qui me porta à m’élever contre le Plus Puissant, entraînant dans ce conflit furieux la force innombrable d’Esprits armés qui osèrent mépriser sa domination : ils me préférèrent à LUI, opposant à son pouvoir suprême un pouvoir contraire; et dans une bataille indécise au milieu des plaines du ciel ils ébranlèrent son trône». Le Satan de Milton, en affirmant la constance de son esprit, malgré la défaite dans le combat céleste, nous dit la qualité même de tous péchés capitaux.



tenant perdu! Une stu-
peur telle que celle-
ci peut-
elle saisir des Es-
prits éter-
nels, ou avez-
vous choisi ce lieu après les fati-
gues de la bataille, pour reposer votre valeur lassée, pour la douceur que vous trouvez à dormir ici, comme dans les vallées du ciel? ou bien, dans cette abjecte posture, avez-vous juré d’adorer le Vainqueur? Il contemple à présent chérubins et séraphins, roulant dans le gouffre, armes et enseignes brisées, jusqu’à ce que bientôt ses rapides ministres découvrent des portes du ciel leur avantage, et descendant, nous foulent aux pieds ainsi languissans, ou nous attachent à coups de foudre au fond de cet abîme. Éveillez-vous! levez-vous! ou soyez à jamais tombés!”» (Traduction de Chateaubriand, 1836). Le monde entier va être désormais le lieu de bataille entre le Vainqueur et l’Ennemi et les puissants de ce monde seront ceux qui décideront quel royaume ils vont prétendre continuer. La tyrannie du ciel ou les ambitions des ténèbres?





«Mais quelqu’un était là qui blâma ce conseil et fut d’avis contraire, Crésus le Lydien, qui dit à Cyrus : “Seigneur, je te l’ai déclaré déjà : puisque Zeus m’a donné à toi, je veux, si je vois qu’un danger menace ta maison, faire tous mes efforts pour le détourner. Or mon malheur, qui est cruel, m’a enseigné une grande leçon. Si tu crois être immortel et commander une armée d’immortels, te dire ma pensée ne servirait de rien; si tu reconnais que tu es un homme, toi aussi, et que tu commandes à des hommes, laisse-moi te dire cecid’abord : la fortune des hommes est une roue et ne laisse pas toujours les mêmes au sommet. J’ai donc, sur l’affaire qui nous occupe, une opinion contraire à celle de tes conseillers. Si nous acceptons d’attendre l’ennemi sur cette terre, j’y vois un danger : vaincu, tu perds ton empire entier, car, de toute évidence, les Messagètes victorieux, loin de se retirer, marcheront sur tes provinces; vainqueur ta victoire n’est pas aussi grande que si tu les battais sur leurs terres et les poursuivais dans leur fuite; et je dirai pour toi ce que je disais pour eux : vainqueur des troupes qu’on t’opposera, tu marcheras au cœur des États de Tomyris. Aux raisons que je t’expose, ajoute ceci : se serait une honte insupportable pour Cyrus pour le fils de Cambyse, de reculer devant une femme. Donc, je propose que nous passions le fleuve pour avancer aussi loin que reculeront les Massagètes, puis tenter d’en triompher par le moyen suivant : les Massagètes, me dit-on, ignorent les douceurs de la vie des Perses et n’ont jamais connu l’abondance et le luxe. Abattons donc du bétail à profusion et accommodons-le pour servir à ces hommes simples un banquet dans notre camp, avec des cratères de vin pur à profusion et les mets les plus variés; puis laissons dans le camp les éléments les plus faibles de l’armée, et ramenons le reste des troupes sur le fleuve. Si je ne m’abuse, les Massagètes, en voyant tant de bonnes choses, se jetteront sur elles : à nous alors de montrer notre valeur”» (Hérodote. L’Enquête, t. 1, Paris, Gallimard, Col. Folio, # 1651, 1964, pp. 151-152 (Livre I, § 207).

«Quand la reine apprit le sort de ses troupes et de son fils, elle envoya un héraut dire à Cyrus : “Homme altéré de sang, ne te vante pas de ton succès, si tu le dois au fruit de la vigne – ce fruit qui vous égare, lorsque vous vous en gorgez, au point que le vin descendu dans vos membres fait remonter à vos lèvres un torrent de paroles viles – et si par ce poison ta ruse a triomphé de mon fils, et non ta force en un combat loyal. Maintenant, voici un bon conseil, écoute mes paroles : rends-moi mon fils et quitte ce pays, sans nul châtiment malgré ton insulte au tiers de mon armée. Sinon, par le Soleil, Maître des Massagètes, je te jure bien que, si altéré de sang sois-tu, je t’en rassasiera, moi!”» (Hérodote. Ibid. p. 154 (Livre I, § 212).
«Ainsi mourut ce prince. Lorsque Cyrus eut repoussé son conseil, Tomyris réunit contre lui toutes ses forces et le combat s’engagea. Ce fut, de toutes les batailles qui mirent aux prises des Barbares, la plus acharnée, à mon avis. Voici, m’a-t-on dit, comment elle se déroula : ils se tinrent tout d’abord à distance et se lancèrent des flèches; puis, quand ils eurent épuisé tous leurs traits, ils combattirent corps à corps avec leurs lances et leurs dagues. Ils restèrent longtemps aux prises sans qu’aucun des deux partis songeât à fuir; enfin les Messagètes l’emportèrent. La plus grande partie de l’armée perse périt là, ainsi que Cyrus, qui mourut après vingt-neuf ans de règne. Tomyris fit remplir une outre de sang humain et rechercher le corps du roi parmi les cadavres des Perses; quand on l’eut retrouvé, elle fit plonger sa tête dans l’outre et, en outrageant son corps elle prononça ces mots : “Oui, toute vivante et victorieuse que je sois, c’est toi qui m’as perdue, puisque ta lâche ruse m’a pris mon fils. Mais je vais, moi, te rassasier de sang, comme je t’en avais menacé”. – On rapporte diversement les circonstances de la mort de Cyrus, mais cette version me semble la plus digne de foi» (Hérodote. Ibid. p. 155 (Livre I, § 214).
Pour Gérard Israël, le sort de la bataille se décida au milieu de la mêlée :
«À un moment pourtant le destin bascula. Dans les rangs perses l’ardeur diminuait. Cyrus lui-même semblait frappé par une lourdeur, une fatigue peu communes…
Les Massagètes de Tomyris, portés par l’idée de vaincre le maître du monde, redoublaient de violence, voulant à la fois défendre leur indépendance, sauver l’honneur de leur reine insultée par Cyrus et venger leur prince et ses camarades morts par trahison, sans avoir combattu, livrés aux effets diaboliques du vin.
Les Perses et leurs alliés commençaient à perdre du terrain. Les derniers assauts étaient de plus en plus meurtriers. Peu d’hommes restaient encore debout. Puis, brusquement, il y eut le silence. Et la bataille s’arrêta. Les Perses étaient écrasés.
En face, les Massagètes fêtaient leur victoire et Tomyris menaçait, si elle retrouvait le corps de Cyrus, de le “noyer dans un bain de sang…”
Dans la nuit noire, la petite troupe de ceux qui avaient naguère conquis le monde, réduite à une dizaine d’hommes, repassait, conduite par Cambyse, l’Oxus aux flots impétueux. Ces hommes qui n’avaient jamais connu la défaite emportaient la dépouille du grand roi, le roi de la Totalité, celui qui avait découvert la vérité du pouvoir, qui avait compris que les maîtres du destin des hommes n’obéissaient pas seulement à leurs impulsions ou à leur bon vouloir, qu’ils ont obligation de libérer les peuples que si le roi est au-dessus des hommes, c’est pour apaiser leurs angoisses face à l’inconnu pour leur assurer le bien-être et la liberté» (G. Israël. Cyrus le Grand, Paris, Fayard, 1987, p. 332).

ble pour un esprit chrétien. Pis, c’est un crime de lèse-divinité. À l’image de l’Ennemi, du Satan de Milton. Or, l’institution humaine qui s’est le plus intoxiquée de sa victoire, n’est-ce pas celle qui place en premier, parmi les péchés capitaux, l’orgueil? L’Église chrétienne?

tions chré-
tiennes, et en particulier de la civilisa-
tion chré-
tienne occidentale. Si le passage du Moyen Âge à la modernité lui a fait perdre de son prestige, la croyance des clercs en leur mission surnaturelle ne cesse de se contracter devant les assauts de tout ce que représente la modernité : la liberté de conscience, le libéralisme, le socialisme, la laïcité… Le parfum, employé abondamment au concile de Vatican II, ne parvient plus à dissimuler les fortes odeurs de rance qui se dégagent du corps ecclésiastique. Il est symptomatique que celui qui a le plus médité sur les Degrés de l’humilité et de l’orgueil (1127), Bernard de Clairvaux (1090-1153), soit l’incarnation la plus vivante de cet orgueil.






tutions de justice qui n’ont pas eu, au sein de leurs procé-
dures, des mesures pour limiter ce type d’enquête à qui tous sont soumis, et encore plus ceux qu’on se prendrait à considérer comme ayant eu la vie la plus sainte! Pour Jean Delumeau, cela relèverait de la «pastorale de la peur» qui s’est établie avec le Concile de Trente (1445-1563). Ce n’est là qu’un paroxysme qui s’est confondu avec la paranoïa occidentale depuis 1204-1453. Pour faire d’une histoire longue une histoire courte, rappelons que le quatrième concile du Latran (1215) (constitution 21) «avait statué que “tous les fidèles de l’un et l’autre sexes, parvenus à l’âge de discrétion” devaient confesser “tous leurs péchés […] au moins une fois par an”. Dans le document “doctrinal” sur la confession, les pères de Trente furent moins catégoriques. Ils ne rendirent obligatoire que l’aveu (au prêtre) de “tous les péchés mortels“. “Quant aux péchés véniels qui

sion en soit utile), ils peuvent être tus sans faute et expiés par de nombreux autres remèdes […]. Rien d’autre dans l’Église ne peut être exigé du pénitent […], sinon que chacun confesse les péchés par lesquels ils se souviendra d’avoir offensé mortellement son Dieu et Seigneur” (session XVI, chap. v). En revanche, le canon 8 déclara : “Si quelqu’un dit que la confession de tous les péchés, telle que l’Église l’observe, est impossible […], ou que les fidèles des deux sexes, tous et chacun, n’y sont pas tenus une fois l’an, selon la prescription du grand concile du Latran […], qu’il soit anathème» (J. Delumeau. L’aveu et le pardon, Paris, Fayard, rééd. Livre de poche, col. références # 2935, 1992, pp. 13-14).
«…les “Manuels de confession” sont … la plupart du temps susceptibles d’une double utilisation, par le prêtre et par le fidèle. De façon didactique, ils enseignent comment administrer et comment recevoir le sacrement de pénitence. Doctrine pénitentielle etformation spirituelle sont fournies à l’intérieur d’un cadre qui englobe les trois phases successives de l’acte sacramentel : la préparation du pénitent (accueil, exhortations), ses aveux, et enfin les conséquences de ceux-ci (satisfaction à enjoindre et absolution). Mais à l’intérieur de ce plan obligé l’interrogatoire (coté confesseur) et l’aveu (côté fidèle) retiennent particulièrement l’attention des auteurs. L’examen de conscience est conduit par référence aux sept péchés capitaux, aux dix commandements, aux cinq sens, parfois aussi aux douze articles du Credo. À quoi certains “Manuels" ajoutent encore, pour faire bonne mesure, d’autres paramètres : les huit Béatitudes, les six ou sept œuvres corporelles de miséricorde, les
quatre vertus cardinales, les trois vertus théologales, etc. Ainsi, à mesure que les ouvrages se multiplient, la réflexion pénitentielle accroît sa recherche des circonstances – souvent aggravantes – du péché et multiplie les points de vue selon lesquels envisager la faute. Saint Antonin, Pacifique de Novarre et, à leur suite, beaucoup de rédacteurs de “Manuels” anonymes intègrent à l’examen de conscience des considérations relatives au statut professionnel du pénitent et à ses devoirs d’état. Mais surtout la manie scolastique de la subdivision, sa propension à catégoriser, raffiner et compliquer conduisent, en particulier dans les “Manuels” anonymes, à une inflation prodigieuse du nombre des péchés. Cette évolution rencontre, confirme et accentue un mouvement plus large qui conduit une civilisation inquiète à se pencher sans cesse davantage sur la culpabilité. Dès lors, l’interrogatoire du pénitent ne sera jamais assez poussé, ni l’examen de conscience assez minutieux. On s’en rend compte à la lecture d’une Confession generalis, brevis et utilis qui énumère, par ordre de gravité croissante, les différentes fautes sexuelles – un sujet sur lequel l’Église a toujours voulu que les fidèles fussent très vigilants […]. Les seize catégories de péchés se présentent ainsi : 1) le baiser impur; 2) le toucher impur; 3) la fornication; 4) la débauche, souvent entendue comme la séduction d’une vierge; 5) l’adultère (lorsque les deux partenaires sont mariés); 7) le sacrilège volontaire (quand un des partenaires a prononcé des vœux religieux); 8) le
rapt et le viol d’une vierge; 9) le rapt et le viol d’une femme mariée (péché plus grave que le précédent puisqu’il se complique d’un adultère; 10) le rapt et le viol d’une nonne; 11) l’inceste; 12) la masturbation, premier des péchés contre nature; 13) les positions inconvenantes (même entre époux); 14) les relations sexuelles non naturelles; 15) la sodomie; 16) la bestialité» (J. Delumeau. Le péché et la peur, Paris, Fayard, 1983, pp. 225-226).


«La conversion de l’aristocratie au christianisme facilite l’apparition d’un nouveau mécénat. Ces largesses ne profitent pas exclusivement à la construction d’églises. Un certain Maximum invoque l’inspiration divine pour offrir des bains. Mais ce qui compte vraiment, ce sont les donations assez généreuses pour permettre la fondation d’une église : c’est-à-dire le terrain, la construction, le matériel liturgique et même l’entretien du culte et du clergé. En 401-402, Longinianus, un préfet de Rome en fonction, élève à ses frais un baptistère à côté de Sainte-Anastasie, au Vélabre. Un peu plus tôt, le préfet du prétoire Tétronius Probus a fait aménager son mausolée familial au chevet même dela basilique Saint-Pierre. Une matrone nommée Vestina a laissé au pape Innocent Ier (r. 401-417) un patrimoine où le pontife puise le nécessaire à la construction d’une église et de quoi assurer son entretien. Il y trouve aussi une boulangerie, des thermes, une maison, un bureau d’octroi, etc. Après 410, s’il y a encore des païens parmi les nobles romains, ils sont en minorité et deviennent bientôt l’exception. Une telle évolution en l’espace d’un demi-siècle conduit à une esquisse de rapprochement politique entre l’évêque et le sénat de Rome» (P. Simonnot. Les papes, l’Église et l’argent, Paris, Bayard, 2005, pp. 161-162).


leux de ses biens, et qui hausse les épaules par-des-
sus la tête et met les mains au côté, suivi d’une foule de serviteurs, vient à ce pauvre qui demeure assis cousant le cuir, ou faisant quelque autre chose de son état. Alors le riche divise avec lui et demeurant debout montre par sa présence que le métier du pauvre a un usage nécessaire”» (G. Water. Ibid. pp. 134-135). Telle est la vraie doctrine sociale de l’Église où l’envie et le mépris se complètent partagés par un sophisme vaseux. Il appartiendra à l’évêque de Nîmes, Fléchier, grand prédicateur à la cour de Louis XIV de dire ouvertement, sans faux semblants : «Dieu a créé le riche afin qu’il rachète ses péchés en secourant le pauvre; il a créé le pauvre afin qu’il s’humilie par le secours qu’il reçoit du riche» (Cité in P. Jaccard. Histoire sociale du travail, Paris, Payot, Col. Bibliothèque historique, 1960, p. 191).
«Les rapports de Salviati ne furent pas les premiers à informer le Saint-Siège. Le secrétaire de Mandelot avait envoyé un courrier à M. de Jou, commandeur de Saint-Antoine, qui avertit d’abord le cardinal de Lorraine. C’était le 2 septembre. Le Cardinal, hors de lui, courut chez le Pape en compagnie de l’ambassadeur Férals.
[…]
Le 8 septembre, Grégoire XIII, à Saint-Louis-des-Français, remercia solennellement le ciel “d’avoir délivré non seulement le roi de France, mais encore tout son royaume et le Saint-Siège du péril qui les menaçait si Coligny avait réalisé son dessein d’assassiner Charles IX, de se faire nommer roi, de soutenir les rebelles néerlandais et de marcher sur l’Italie pour détruire les États de l’Église et la métropole de Romoe”. Telles étaient les inventions du cardinal de Lorraine.
Jamais événement ne fut célébré à Rome avec tant d’éclat. Jubilé d’actions de grâces, médailles commémoratives, salves d’artillerie, Te Deum se répondant d’une église à l’autre, procession grandiose, commande au peintre Vasari d’une fresque murale qui perpétuerait les scènes du 24 août, rien ne manqua» (P. Erlanger. Le massacre de la Saint-Barthélemy, Paris, Gallimard, Col. Trente journées qui ont fait la France, # 12, 1960, pp. 200 et 201).

liard de téléspec-
tateurs assistent en direct à l’événe-
ment. Pendant une heure et demie, le pape impose ses thèmes : liberté religieuse en URSS, liberté de conscience (afin de permettre aux non-communistes de s’opposer à la dictature du Soviet Suprême), légalisation des uniates d’Ukraine. Gorbatchev, de son côté, «souligne que la “nouvelle pensée” est une vraie révolution pour l’URSS : “On ne saurait prétendre détenir la vérité absolue, ni tenter de l’imposer aux autres”, explique Gorbatchev, reniant ainsi, une fois pour toutes, la doctrine marxiste-léniniste. Mais le Soviétique a une idée derrière la tête. À écouter certains milieux à l’Ouest, dit-il, la “rénovation” du communisme devrait se faire “uniquement sur la base des valeurs occidentales”. Or, explique-t-il, c’est le meilleur moyen pour faire échouer la perestroïka! Les Américains ne pourraient-ils pas “respecter les intérêts et les traditions” de l’URSS et laisser aux Soviétiques “le choix de tel ou tel système politique”?» (B. Lecomte. Jean-Paul II, Paris, Gallimard, Col. Folio, # 4335, 2006, pp. 493-494). Évidemment, si Gorbatchev suppose que la vérité n’appartient pas au marxisme-léninisme, son vis-à-vis croit, au contraire, qu’elle appartient à l’Évangile dont il a le monopole de l'interprétation car, comme Jean-Paul II l'énoncera clairement, la vérité n’est pas démocratique. Il s’agit


batchev sera éjecté du pouvoir et remplacé par un alcoolique qui ouvrira les portes toutes grandes aux investisseurs occidentaux tandis que l’effondrement intérieur de la Russie ramènera une Église orthodoxe plus intraitable que jamais et un système mafieux issu tout droit de la décomposition de la bureaucratie soviétique, mais converti au capitalisme sauvage. On ne pouvait célébrer sa joie de façon aussi inepte.
«Les dictatures se sont durcies. Et les évêques du continent se sont profondément divisés. Il y a ceux qui défendent le clergé engagé, parfois les armes à la main, dans la voie de la théologie de la libération – l’expression a été popularisée par le théologien péruvienGustavo Gutiérrez – et ceux qui tentent d’endiguer ce qu’ils considèrent comme une dérive idéologique et politique, quitte à collaborer parfois avec des pouvoirs iniques et brutaux. Les uns et les autres attendent avec impatience ce que va dire le nouveau chef de l’Église catholique. La situation politique et sociale est si grave, dans toute l’Amérique latine, qu’il semble exclu de réconcilier les deux camps. À la Curie, on avait carrément recommandé au nouveau pape de ne pas se rendre sur place, mais Jean-Paul II a personnellement pris la décision de faire le voyage.
Le pape venu de l’Est sait ce qu’il va dire à tous ces prêtres généreux et populaires,plongés au cœur d’une injustice sociale flagrante, mais qui entraînent peu à peu leur Église sur une ligne politique marxiste et révolutionnaire. Fort de trente années de confrontation avec le communisme, l’ancien archevêque de Cracovie n’a pas l’intention de garder sa langue dans sa poche. Quelques semaines avant le voyage, l’archevêque mexicain Menez Arceo, de Cuernavaca, avait demandé audience au pape. Le cardinal Villot, secrétaire d’État, avait mis en garde Jean-Paul II sur son appartenance aux “Prêtres pour le socialisme”. Le Saint-Père avait répondu avec humeur : “Le socialisme, je connais!”
À Puebla, sans fioritures, Jean-Paul II condamne la vision familière et excessive d’un “Jésus politiquementengagé, combattant les puissants, partisan de la lutte des classes”. L’orateur ne mâche pas ses mots : “Cette notion d’un Christ politicien, révolutionnaire et dissident n’est pas conforme à l’enseignement de l’Église!” Dans un silence pesant, Jean-Paul II rappelle que le Christ condamnait le recours à la violence. La solution marxiste n’est pas la bonne, souligne-t-il, car elle réduit l’humanisme à un matérialisme “anthropologiquement erroné”. La doctrine sociale de l’Église, en revanche, fait de l’homme non pas un rouage des structures et des contradictions sociales, mais un artisan de son destin économique et politique. L’Église, en mettant la dignité humaine au-dessus de tout, n’a pas besoin de se référer à tel système ou telle idéologie pour prôner “la libération authentique” de l’homme. Qu’on se le dise» (B. Lecomte. Ibid. pp. 536-537).

«Il ne s’agit… pas, pour l’Église, de proposer un “modèle” préétabli, un projet de société, une “troisième voie”, qui se trouverait en concurrence idéologique avec d’autres régimes sociaux, le libéral ou le communiste, et par lequel une Église-chrétienté exercerait sa religion comme la forme déterminante de la civilisation. Consciemment ou non, les tenants et acteurs de la “doctrine sociale” sont pénétrés du mythe de la chrétienté. Bernanos dénonçait dans le christianisme social “l’alibi d’une faillite de la chrétienté”. Conception juridico-sociétaire qui n’est qu’un avatar de la potestas indirecta» (M. D. Chenu. Ibid. pp. 93-94).



«En arrivant à l’esplanade où il doit dire la messe devant quelque huit cent mille personnes, le pape découvre, tout comme le nonce Montezemolo au comble de la fureur, d’immenses portraits repeints à neuf de Marx, Lénine, Sandino et d’autres révolutionnaires mythiques. “Ne vous en faites pas, dit tranquillement le pape : quand je serai sur le podium, personne ne regardera ces panneaux”. L’organisateur du voyage, le père Tucci, s’aperçoit aussi avec inquiétude que le gouvernement a garni tous les premiers rangs de sympathisants sandinistes prêts à vociférer sur ordre de leur chef et que les fonctionnaires du Parti “tiennent” la sono. La suite n’est pas difficile à prévoir : pendant l’homélie, à l’instigation d’Ortega qui brandit lui-même le poing en criant des slogans révolutionnaires, tous ces militants dociles se mettent à couvrir la voix du pape :
- Poder popular! Poder popular!- Silencio! crie le Saint-Père, excédé, en direction des premiers rangs.
Sans succès. Son micro ne marche plus. Le pape brandit alors sa crosse au-dessus de sa tête pour saluer ostensiblement tous les fidèles relégués derrière cette meute braillarde. Et, pour la première fois, craignant une profanation des hosties, il décide de ne pas distribuer la communion à la foule. La messe s’achève par une dernière avanie : en guise de chant de sortie, les fidèles ont la surprise d’entendre les haut-parleurs diffuser à tue-tête l’hymne sandiniste» (B. Lecomte. Ibid. p. 541).

munion des fidèles. Mais en étant l’Église militante mêlée avec tous les autres types de status (propriétaire foncier, État, culture ethnocentrique), il a fallu tout au long de son histoire qu’elle négocie avec les autres puissances – rois, empereurs, peuples et même d’autres Églises – sa situation hiérarchique. De Constantin à Mussolini, on ne compte plus les «accords» ou «concordats» passés entre les sociétés civiles ou politiques et l’Église. Un épisode charnière de l'opposition des deux glaives, au XIe siècle, est la Querelle des investitures qui opposa l’empereur Henri IV Hohenstaufen au pape Grégoire VII Hildebrand (1015/1020-1085). Provenant de Cluny, Grégoire VII avait la volonté de faire de l’Europe une réplique grandeur universelle de l’abbaye bénédictine, le pape agissant comme Père Abbé de l’Europe. La Querelle des Investitures avait pour source l’ambition de l’empereur de désigner les évêques et archevêques de ses diocèses que le pape n’aurait plus qu’à approuver par la suite. À cela se mêlait également les revenus des propriétés ecclésiastiques qui iraient tout droit dans les coffres de l’Empire. Pour contrer cette infraction, Grégoire VII opposa le texte qui définit le plus la singularité de l’Église, le Dictatus Papæ en 1075.
«1. L’Église romaine a été fondée par le Seigneur seul.2. Seul, le pontife romain est dit à juste titre universel.3. Seul, il peut disposer ou absoudre les évêques.4. Son légat, dans un concile, est au-dessus de tous les évêques, même s’il leur est inférieur par l’ordination, et il peut prononcer contre eux une sentence de déposition.5. Le pape peut déposer les absents.6. On ne doit pas habiter sous le même toit que ceux qui sont excommuniés par lui.7. Seul il peut, selon l’opportunité, établir de nouvelles lois, comme de nouvelles communautés, transformer une collégiale en abbaye et vice versa, diviser un évêché riche ou unir des évêchés pauvres.8. Seul, il peut user des insignes impériaux.9. Le pape est le seul homme dont tous les princes baisent les pieds.11. Son nom est unique dans le monde.12. Il lui est permis de déposer les empereurs.13. Il lui est permis de transférer les évêques d’un siège à un autre selon la nécessité.14. Il peut ordonner un clerc de n’importe quelle église, où il veut.15. Celui qui a été ordonné par lui peut recevoir l’église d’un autre mais non faire la guerre; il ne doit pas recevoir d’un autre évêque d’un grade supérieur.16. Aucun synode ne doit être appelé général sans son ordre.17. Aucun texte canonique n’existe en dehors de son autorité.18. Sa sentence ne doit être réformée par personne et seul, il peut réformer la sentence de tous.19. Il ne doit être jugé par personne.20. Personne ne doit se risquer à condamner celui qui fait appel au siège apostolique.21.Les affaires graves concernant n’importe quelle église doivent être portées devant lui.22. L’Église romaine n’a jamais erré, comme l’atteste l’Écriture, et elle ne pourra jamais errer.23. Le pontife romain, s’il est canoniquement ordonné, est indubitablement, par les mérites de saint Pierre, établi dans la sainteté, au témoignage de saint Ennodius, évêque de Pavie, d’accord avec de nombreux Pères, comme on peut le voir dans le décret du bienheureux pape Symmaque.24. Sur l’ordre et avec l’autorisation du pape, il est permis à des sujets de porter une accusation25. Il peut, en dehors d’une assemblée synodale, déposer ou absoudre les évêques.26. Celui qui n’est pas en harmonie avec l’Église romaine ne doit pas être considéré comme catholique.27. Le pape peut délier du serment de fidélité les sujets d’un prince tombé dans l’impiété» (Cité in J. Loew et M. Meslin. Histoire de l’Église par elle-même, Paris, Fayard, 1978, pp. 242-243).

«1) Qu’il parle comme chef (tête) de l’Église universelle, car son infaillibilité est personnelle, en ce sens qu’elle appartient à tous et à chacun des pontifes romains, aucun d’entre eux n’étant exclu – distincte de l’impeccabilité et de la sainteté – appartenant en propre au pape, mais seulement en tant que pape, comme personne publique, dans l’accomplissement de son office de magistère dans l’Église universelle, en vertu de son office propre de pasteur et docteur de tous les chrétiens – donc incommunicable.
2) Que son enseignement porte sur une doctrine relative à la foi et aux mœurs. Cette formule, dans le langage théologique, est consacrée par l’usage qu’en a fait le Concile de Trente et qu’a repris le Concile du Vatican. Elle indique toute la doctrine chrétienne spéculative et pratique, c’est-à-dire la croyance et l’action humaines, selon les exigences de la révélation divine. En d’autres termes, l’objet de l’infaillibilité pontificale, ce sont toutes les vérités en quelque manière révélées et elles seules. Au pape appartient en propre le titre de “gardien et maître de la parole révélée” dans le même sens que cette expression est attribuée à l’Église.
3) Que, dans son enseignement sur lesdites matières (foi et mœurs) le pape entende prononcer un jugement définitif. Il faut qu’il emploie une forme d’où ressorte manifestement son intention de porter une sentence définitive sur telle doctrine, la proposant comme à retenir par l’Église universelle. “Le terme propre s’appelle définir : ‘definit’ qui a pour corrélative la formule ex cathedra. Donc le pape est infaillible quand il parle ex cathdra, quand il “définit”.
Ces trois conditions sur lesquelles le Concile a particulièrement insisté pour… dissiper toute crainte que le Concile ne veuille attribuer au pape la toute-puissance qui n’appartient qu’à Dieu; les effets de l’infaillibilité ne forment qu’une seule chose, de sorte que non seulement s’il en manque une, manquent aussi les deux autres, mais encore qu’aucune de ces conditions ne peut être réalisée sens plein sans les autres» (P. Fernessole. Pie IX, t. 2 : 1855-1878, Paris, Lethielleux, 1963, pp. 299-300).
Non seulement le dogme de l’Infaillibilité du pape refuse d’identifier la toute puissance divine avec l’auctoritas du Souverain Pontife, mais en plus il limite les cadres dans lesquels cette parole est désormais encadrée. Pour tous les chrétiens de la fin du XIXe siècle où la liberté de pensée était devenue valeur courante, la crainte d’un abus d’autorité d’un pape réactionnaire était bien réelle. De fait, la seule fois où un pape s’est prononcé par voie d’infaillibilité depuis 1870, c’est Pie XII lorsqu’en 1950, il promu le dogme de l’Assomption de la Vierge Marie, et ce, après consultation des évêques du monde entier. Jamais le pape ne s’est prononcé de manière infaillible sur les questions morales comme l’autorise la proclamation de Vatican I.

ment de l’Empire, à l’ouest, et les longs siècles de barbaries où l’institution apprit à survivre, voire à s’allier avec des rois guerriers puis le nouvel empereur d’Occident, la quantité de ses possessions terriennes, en particulier des abbayes où ne travaillaient pas que des moines mais aussi des serfs, fit converger vers Rome des richesses importantes. Une multinationale comme Cluny, qui érigeait des abbayes d’obédiences dans toute l’Europe, pouvait se permettre des constructions capables de rassembler des milliers d’individus à l’intérieur et autour. Mais le clergé régulier étant tenu à l’austérité et au dépouillement.

«Il est né de la volonté d’un homme, Suger. Ce moine qui n’était pas de haute noblesse, était l’ami d’enfance du roi. Cette amitié le poussa jusqu’au sommet de l’autorité politique. Abbé, il percevait mieux que personne les valeurs symboliques du monastère dont il avait pris la conduite. Il voyait sa charge comme un honneur, et le plus haut – par conséquent vouée au faste. Bénédictin, sa conception de la vocation monastique n’était pas de pauvreté ni de refus absolu du monde : Suger se tenait dans la voie clunisienne. Établie au faîte des hiérarchies terrestres, l’abbaye, pour lui comme pour Hugues de Cluny, devait fairerayonner les splendeurs pour la plus grande gloire de Dieu. “Que chacun suive sa propre opinion. Pour moi je déclare que ce qui m’a paru surtout juste, c’est que tout ce qu’il y a de plus précieux doit servir par-dessus tout à la célébration de la Sainte Eucharistie. Si les coupes d’or, si les fioles d’or, si les petits mortiers d’or servaient selon la parole de Dieu et l’ordre du Prophète à recueillir le sang des boucs, des veaux et d’une génisse rouge, combien davantage, pour recevoir le sang de Jésus-Christ, doit-on disposer les vases d’or, les pierres précieuses et tout ce que l’on tient pour précieux dans la création. Ceux qui nous critiquent objectant qu’en cette célébration doivent suffire une âme sainte, un esprit pur, une intention fidèle, et certes, nous l’admettons, c’est cela vraiment qui importe avant tout. Mais nous affirmons aussi que l’on doit servir par les ornements extérieurs des vases sacrés, et plus qu’en toute autre chose dans le service du saint sacrifice, en toute pureté intérieure, en toute noblesse extérieure”. Soucieux de cette noblesse extérieure, Suger consacra les richesses de son monastère à composer un cadre splendide pour le déroulement des liturgies. Entre 1135 et 1144, contre les tenants de la pauvreté totale qui l’attaquaient, il entreprit de reconstruire l’église abbatiale et de l’orner, travaillant pour l’honneur de Dieu, pour celui de saint Denis, mais aussi pour l’honneur des rois de France, les morts ses hôtes, le vivant son ami et son bienfaiteur» (G. Duby. Le Temps des cathédrales, Paris, Gallimard, Col. Bibliothèque des histoires, 1976, p. 122).
«Tout se passe comme si les seigneurs, ne pouvant plus se référer à l’ordre social ancien et aux anciennes valeurs qui lui étaient liées, étant encore mal assurés sinon toujours de leur pouvoir du moins de son bien-fondé, avaient ressenti une inquiétude, inquiétude sociale, inquiétude pour l’avenir sur terre ou dans le ciel, et cherchaient en favorisant les églises à en faire un outil idéologique à leur service, susceptible de justifier leur domination tant aux yeux du peuple qu’aux leurs mêmes. Par la suite, au cours des XIe et XIIe siècles, quand le système féodal se sera consolidé et aura élaboré ses valeurs et sa morale propres, les générosités des seigneurs envers l’Église se raréfieront laissant la place à des regrets et même à de l’animosité comme en témoigne cette menace proférée par un grand seigneur à l’encontre des gens d’Église dans la chanson de Garin le Lorain.
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Église romane de Saint-Robert (Auvergne) |
“En Gaule sont vingt mille chevaliers dont les clercs ont les fours et les moulins : qu’ils y pensent ou par le Seigneur Dieu, les choses prendront un autre tout”.
On retrouve un phénomène analogue à la fin du XIIe siècle quand les premiers bourgeois enrichis, mal assurés de leur nouveau pouvoir et soucieux de se justifier sur le plan idéologique, vont multiplier à leur tour les dons aux églises» (A. Scobeltzine. L’art féodal et son enjeu social, Paris, Gallimard, Col. Tel, # 134, 1973, pp. 193-194).

rent des contacts non seulement militaires, mais également d’ordre intellec-
tuel avec la civili-
sation syrienne musulmane. Les mathématiques, que les Arabes avaient importées de leur conquête du monde indien, bouleversaient non seulement les armes de jets, mais aussi les splendides constructions architecturales qu’on retrouvait du royaume de Grenade jusqu’à Jérusalem. Dans une Europe enrichie par l’activité méditerranéenne, le style roman ne pouvait satisfaire la nouvelle noblesse tributaire des joyaux de Constantinople, à défaut d’avoir pu s’établir durablement sur Jérusalem.

«En l’espace de trois siècles, de 1050 à 1350, la France a extrait plusieurs millions de tonnes de pierres pour édifier 80 cathédrales, 500 grandes églises et quelques dizaines de milliers d’églises paroissiales. La France a charrié plus de pierres en ces trois siècles que l’ancienne Égypte en n’importe quelle période de son histoire – bien que la Grande Pyramide, à elle seule, ait un volume de 2 500 000 m³.
Les fondations des grandes cathédrales s’enfoncent jusqu’à 10 mètres de profondeur – c’est le niveau moyen d’une station de métro parisien – et forment dans certains cas une masse de pierre aussi considérable que celle de la partie visible au-dessus du sol.
Il y avait au Moyen-Âge une église pour 200 habitants environ; la surface couverte par les édifices du culte était donc considérable par rapport aux dimensions modestes des villes; nous savons que dans les villes de Norwich, Lincoln et York, cités de 5 000 à 10 000 habitants, il y avait respectivement 50, 49 et 41 églises. De graves problèmes se sont toujours posés aux ambitieux qui voulaient reconstruire leur église sur une superficie plus vaste : il fallait souvent démolir une ou deux églises voisines et construire des logements modernes pour les habitants expropriés.
La surface de la cathédrale d’Amiens, qui couvrait 7 700 m², permettait à toute la population, soit environ 10 000 habitants, d’assister à la même cérémonie. Pour faire une comparaison à l’échelle de notre temps, il faut imaginer qu’aujourd’hui, dans une ville d’un million d’habitants, on élève, au cœur de la cité, un stade assez vaste pour accueillir un million de personnes. Or le plus grand stade du monde n’a que 180 000 places.
La hauteur des nefs, des tours et des flèches nous étonne. Dans le chœur de la cathédrale de Beauvais, un architecte pourrait élever un immeuble de 14 étages avant d’atteindre la voûte, à 48 mètres du sol. Pour égaler les hommes de Chartres qui, au XIIe siècle, lancèrent la flèche de leur cathédrale à 105 mètres, l’actuelle municipalité devrait édifier un gratte-ciel de 30 étages; et pour égaler les Strasbourgeois qui lancèrent leur flèche à 142 mètres, il faudrait construire un gratte-ciel de 40 étages» (J. Gimpel. Les bâtisseurs de cathédrales, Paris, Seuil, Col. Le temps qui court, # 11, 1958, pp. 3-4).


Arts, # 13, 1967, p. 185). Les églises de la Renais-
sance et de l’âge baroque verront se développer le raffinement, mais aussi la sensualité que la peinture peut apporter en sus à l’élévation mystique. L’âge baroque sera l’âge de l’ornementation la plus exquise mais aussi la plus maniérée. Avec la Révolution industrielle et la réaction anti-moderniste romaine, la vérité des intentions profondes de l’orgueil clérical se révélera au grand jour. À des églises construites sur des matériaux nouveaux comme l’acier, s’ajouteront des fausses colonnes, des voûtes strictement ornementales, des tableaux kitsch. Mais toujours en essayant d’imiter le grandiose gothique et cela dans des régions quasi désertes.





lation au Tout-Puis-
sant, régner sur un monde clos que sur un univers infini qu’il faudra toujours chercher à refermer d’une manière ou d’une autre. L’héliocentrisme ne fait que placer le soleil à la place de la Terre dans la hiérarchie des gravitations, mais la représentation de l’univers demeure compatible avec l’idée que les clercs s’en faisaient depuis toujours. Ce que l’idée d’un univers infini apporté, entre autres, par le cardinal Nicolas de Cues et sur lequel spécula Giordano Bruno, c’est la possibilité que dans un univers infini il y aurait d’autres mondes parallèles aux nôtres, à l’exemple de ces sociétés païennes découvertes par les grandes explorations du XVIe siècle. Nous passons ici de l’imaginaire du merveilleux (surnaturel) à l’anticipation fantastique (rationnel). En ouvrant l’univers, les élèves de Copernic ouvrent l’Imaginaire de la



nation : «…le 24 février 1616, la doctrine de Copernic est con-
damnée en bonne et due forme. À l’unanimité, les théologiens du Saint-Office déclarent “insensée et absurde en philosophie, formellement hérétique en tant qu’elle contredit expressément de nombreux passages de la Sainte Écriture, selon la propriété des mots et le sens des saints Péres et des docteurs théologiens”, la proposition suivante : “Le soleil est le centre du monde et par conséquent immobile de mouvement local”. La deuxième proposition, condamnée comme “au moins erronée dans la foi”, est “que la terre n’est pas le centre du monde, ni immobile, mais se meut sur elle-même tout entière par un mouvement diurne» (G. Minois. Ibid. p. 375).

verture implicite à tous les doutes qui entourent les énoncés de la Bible, ancien et nouveau Testaments confondus. Or, il y a un savant qui, par l’invention technique de la lunette, peut montrer le cours des planètes autour du soleil. Galileo Galilée. En mai 1612, il a publié, non pas en latin mais en italien, un Discorso dans lequel il prend partie pour le système de Copernic. En 1616, on lui impose le silence. Mais si Galilée est prudent, il est aussi susceptible, et il récidive avec le Saggiatore en 1622 qu’il dédie au nouveau pape, Urbain VIII :
«Mais la forme faisait passer une théorie scientifique qui n’avait rien d’anodin. Superficiellement, il s’agissait de l’explication des comètes. Trois d’entre elles étaient apparues à la fin de 1618 et au début de 1619, et le jésuite Grassi, à la suite de Tycho Brahé, avait montré qu’elles ne pouvaient pas avoir une orbite circulaire. En ridiculisantcette affirmation, Galilée soutenait indirectement le système de Copernic, dont il n’avait plus le droit de parler depuis 1616, et qui voit, à tort, des orbites circulaires partout. Plus profondément, le Saggiatore fondait sa théorie sur une explication corpusculaire de la lumière et de tous les phénomènes perceptibles, sauf le son. C’était le retour de l’atomisme contre la physique des qualités d’Aristote. Tous les vieux fantômes, Démocrite, Occam, Telesio, Bruno, remontaient à la surface; récemment, en 1621, le premier médecin et philosophe de l’université de Pise, Esteban Rodrigo de Castro, avait lui aussi soutenu cette théorie dans son De meteoris microcosmi libri quatuor. L’atome reprenait l’offensive, soutenu par la prestigieuse Académie dei Lincei dont le patron et mécène, le prince Cesi, avait de vastes projets éditoriaux d’une encyclopédie de la nouvelle science» (G. Minois. Ibid. p. 379).

tion d’un troisième ouvrage, le Dialogo, dans lequel Galilée revient sur le système de Copernic, mais en le considérant seulement comme pure hypothèse. Il présente le tout dans une satire entre trois personnages stéréotypés où le défenseur du système ptoléméen (donc l’Église) est montré de manière plutôt ridicule. Cette fois-ci, il va falloir que le savant se rétracte ouvertement et reconnaisse la fausseté de l’héliocentrisme et de ses hypothèses publiées dans son livre. Galilée pliera le genou, sera condamné à l’emprisonnement perpétuel commué aussitôt en résidence surveillée par le pape. La sensation causée par la condamnation de Galilée n’empêcha pas les astronomes protestants de poursuivre leur enquête sur l’héliocentrisme et les travaux de Kepler et de Newton d’aller encore plus loin, ceux-ci étant inatteignables

«Mais venons-en maintenant à la véritable dénonciation. On y déclare que si les atomes de Galilée sont substantiels, comme les “homéomeries” d’Anaxagore, la doctrine de Galilée n’est pas compatible avec l’existence des accidents eucharistiques établie par le second canon de la XIIIe session du concile de Trente.
Un grand principe “expérimental”, de valeur philosophique et théologique, était la permanence miraculeuse de la chaleur, de la couleur, de la saveur, de l’odeur et des autres accidents sensibles du pain et du vin après la Consécration, qui transformait toute leur substance en le corps et le sang de Jésus-Christ. Si nous interprétons ces accidents comme le veut le Saggiatore, c’est-à-dire avec les “particules minimes” de substance, alors, même après la Consécration, ce seront des particules de la substance du pain eucharistique qui produiront ces sensations. Il resterait ainsi, si nous adoptons les idées du Saggiatore en physique, des particules de substance du pain dans l’hostie consacrée, mais cela est une erreur frappée d’anathème par le concile de Trente» (P. Redondi. Galilée hérétique, Paris, Gallimard, Col. Bibliothèque des histoires, 1985, p. 182).
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«“L’apparition successive des animaux par voie d’évolution progressive, d’ascension d’une espèce inférieure à une autre espèce supérieure, de transformation enfin, a donc étéexposée et soutenue. C’est déjà beaucoup trop, mais ce n’est pas tout. Le système a été étendu jusqu’à l’espèce humaine inclusivement : l’opinion a été émise que le corps du premier homme aurait été élaboré, non par l’action immédiate des mains divines, mais par la série de ces transformations animales dont il serait le dernier terme; qu’il suffisait d’admettre la création initiale de la matière avec ses forces évolutionnelles, l’influence permanente de la Providence, et la création finale de l’âme pour rester dans les limites d’une irréprochable orthodoxie. Dieu, cependant, d’après cette hypothèse, aurait saisi dans sa formation même le fruit de quelque génération simienne pour lui infuser la première âme spirituelle, et une femelle animale aurait enfanté, nourri, élevé un homme véritable, notre ancêtre et celui de Jésus-Christ. Ce n’est ni le lieu, ni le moment d’examiner ce que valent scientifiquement ces fictions répugnantes”.
Rien de très scientifique dans tout cela. La réaction du père de Scoraille est un haut-le-cœur à la pensée qu’une femelle animale ait pu engendrer un homme et que la généalogie du Christ puisse donc comporter des singes. Ce sont ces arguments de décence, combinés avec l’accusation de sacrilège que l’on retrouve le plus souvent : l’homme a été fait “à l’image de Dieu”, ce qui exclut a priori une origine animale; la Bible le déclare formellement : il y a eu un couple initial entièrement humain, créé directement, sans aucun intermédiaire animal, et ce premier couple est responsable du péché originel. Quant à ceux qui cherchent des arguments scientifiques à opposer à l’évolutionnisme, ils s’appuient essentiellement sur le fait que les chaînons manquants n’existent pas, que l’on constate une stabilité générale des espèces, sur de très longues périodes : comme à l’époque de Copernic et de Galilée, on oppose le sens commun, l’expérience quotidienne, le “bon sens” à la nouvelle théorie. Le père de Scoraille publiait une lettre d’un abbé montrant que le transformisme était en contradiction avec les faits, et déclarant que dans dix ans cette théorie aurait disparu. Le père Vigouroux accumulait dans ses cinq volumes des Livres saints et la critique rationaliste tous les faits qui semblaient contredire l’évolutionnisme» (G. Minois. L’Église et la science, t. 2 : De Galilée à Jean-Paul II, Paris, Fayard, 1991, pp. 228-229).

tes empi-
riques qui confir-
maient un aspect ou l’autre de la théorie et leur foi envers le message biblique. Jamais Darwin ne voulut exclure Dieu du processus de la création, mais cela relevait de la théologie et non des sciences naturelles qui le concernaient; un siècle plus tard, Richard Dawkins, dans la tradition de l’évolutionnisme, pourra intituler l’un de ses ouvrages Pour en finir avec Dieu.

«Le vote de cette loi faisait partie intégrante d’une vaste mobilisation anti-évolutionniste engagée depuis cinq années déjà. On avait ainsi vu en 1921 le pasteur baptiste J. W. Porter faire campagne contre l’enseignement de la théorie de l’évolution à l’Université de l’État du Kentucky. Une proposition de loi visant à l’interdire avait été déposée l’année suivante à la Chambre et au Sénat, lequel l’avait rejetée, mais de justesse puisque par une seule voix de majorité. De même, en 1923, une proposition du même type avait été déposée en Alabama, puis au Texas; la Chambre des représentants de Floride adoptant au même moment une résolution déclarant “inconvenant et subversif… d’enseigner l’athéisme, l’agnosticisme, le darwinisme ou toute autre hypothèse qui présuppose un lien consanguin entre l’homme et une autre espèce”. En juillet 1924, la Chambre de Géorgie avait été saisie à son tour, mais elle avait rejeté le projet de loi; en janvier 1925, c’était au tour de la Chambre de Caroline du Nord…
À cette pression législative organisée, il faut ajouter une série de décisions qui donnent une idée de l’intensité de cette campagne. En avril 1923, cinq professeurs du Kentucky Wesleyan College (méthodiste) avaient été licenciés pour avoir défendu devant leurs élèves une formule de compromis selon laquelle l’évolution ne contredisait pas la Bible. En juin, le gouverneur de l’Oklahoma avait avalisé l’interdiction faite à l’État d’acheter des manuels scolaires jugés coupables d’évolutionnisme. De même, en janvier 1924, le gouverneur de la Caroline du Nord avait interdit l’usage de deux manuels de biologie qui enseignaient l’un que l’homme “descendait du singe”, l’autre qu’homme et singe étaient “cousins”» (D. Lecourt. Ibid. p. 22).

prendre les reporters du Nord, lesquels s’atten-
daient à ne rencon-
trer à Dayton que des masses paysannes incultes et fanatisées. L’humour même se mit de la partie, puisqu’on fit des affaires en vendant, dit-on, des quantités respectables de singes en peluche!» (D. Lecourt. Ibid. p. 23). Ce fut, en effet, un véritable show. D’un côté, l’impeccable Bryan, orateur démagogique, enfant du Bible Belt, et Clarence Darrow, non moins médiatique, reconnu pour avoir défendu deux psychopathes d’origine juive dans une histoire de pédophilie et de meurtre, Richard Loeb et Nathan Leopold à qui il parvint d’éviter la peine capitale.
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Clarence Darrow (gauche) et W. J. Bryan (droite) |
calités, Bryan fit une décla-
ration fort explicite des buts de la poursui-
te : «notre seul but, c’est de faire valoir le droit des parents à protéger la religion de leurs enfants contre les efforts entrepris au nom de la science pour ébranler leur foi en une religion surnaturelle. On ne s’attaque pas à la liberté d’expression, ni à la liberté de pensée, ni à la liberté de presse, ni au libre échange des idées. Mais les parents ont sûrement le droit de sauvegarder la santé religieuse de leurs enfants» (Cité in G. Golding. Le procès du singe, Bruxelles, Éditions Complexe, Col. Mémoire du Siècle, # MS 17, 1982, pp. 62-63). Le pape n’aurait pas dit autrement. Darrow, lui, s’amusa avec les témoins, citant des extraits contradictoires qu’ils puisaient dans la Bible. La scène la plus pathétique fut lorsque Darrow eut l’audace de faire comparaître Bryan comme témoin! Comme le juge Raulston refusait d’examiner les arguments

«“Mon ami le procureur dit que John Scopes sait bien pourquoi il est là aujourd’hui”, fitDarrow, toujours l’air détendu. “Oui, je sais pourquoi il est là”, et sa voix changea brusquement de registre, pour devenir agressive et mordante, “il est là parce que les fondamentalistes en veulent à tous ceux qui pensent. Je sais qu’il est là parce que l’ignorance et la bigoterie sévissent partout, et à elles deux, Votre Honneur, elles représentent une force terrible”. Puis l’orage d’indignation passée, la décontraction souriante refit surface. “Permettez-moi de vous montrer un véritable acte d’accusation, messieurs, au cas où vous auriez besoin d’en dresser un autre. Une petite plaisanterie, si vous le voulez bien”.
Darrow les tenait maintenant; c’était bien fini les petits sommes, l’ennui et les sorties furtives pour “voir ce qui se passe sur place”. Certain d’avoir captivé l’attention de l’assistance entière, Darrow reprit son plaidoyer en faveur de la tolérance. Tout le monde sait, dit-il, “qu’il n’y a pas deux machines humaines pareilles ni deux êtres humains qui aient eu les mêmes expériences, et leurs idées de la vie et de la philosophie émergent de leur perception des expériences rencontrées sur le chemin de la vie. Si vous voulez maintenir un état de liberté, il est impossible de façonner les opinions d’une personne à partir des opinions d’une autre – seule la tyrannie peut faire cela”.
"Cette loi”, s’indigna Darrow, “fait de la Bible la mesure de l’intelligence et del’instruction de quelqu’un. Vos mathématiques sont-elles bonnes? Voyez, I Élie, ii. Votre philosophie est-elle bonne? Voyez I Samuel, iii. Votre astronomie est-elle bonne? Voyez Genèse, chapitre II, verset 7. Votre chimie est-elle bonne? Voyez, eh bien, chimie, voyez Deutéronome, iii, 6 ou tout autre chapitre qui parle de soufre”. Les citations étaient improvisées, bien entendu – il n’y a pas de livre d’Élie – mais Darrow se fit comprendre. En érigeant la Bible en autorité universelle, compétente en toute chose, la loi Butler était devenue “un travestissement de la langue, de la justice et de la Constitution”.
Se tournant vers le juge Raulston, l’avocat leva les bras et dit : “Votre Honneur sait que l’on a allumé des feux en Amérique, afin d’enflammer la bigoterie et la haine…”» (G. Golding. Ibid. pp. 67-68)





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monies ne sont pas innocen-
tes au succès mé-
diatique remporté par Jean-Paul II qui a un sens aigu de la propagande hérité des pays communistes. Il essaie constamment de convertir la jeunesse du monde à soutenir l’Église : «Je veux m’adresser aux jeunes : vous êtes l’avenir du monde, l’espérance de l’Église, vous êtes mon espérance!» (Cité in B. Lecomte. Ibid. p. 832) et, pour ce faire, les cérémonies dans les stades ou

«Aucun de ces échanges n’est gratuit pour le Saint-Père. À preuve cette anecdote qu’il rappellera à André Frossard : au Parc des Princes, alors que les questions étaient plus ou moins prévues à l’avance, voilà qu’un jeune homme monte à la tribune, un papier à lamain, se déclare athée et pose une question au pape : “Saint-Père, en qui croyez-vous? Pourquoi croyez-vous? Qu’est-ce qui vaut le don de notre vie? Quel est ce Dieu que vous adorez?” Mais, dans le tumulte de cette soirée, le pape, qui écoute déjà parmi bien d’autres la question posée par une jeune handicapée, oublie de répondre au jeune homme. De retour à Rome, il y repense, s’en repent, et il écrit au cardinal Marty pour qu’il retrouve le jeune homme et lui transmette ses excuses. Des mois plus tard, il s’en veut encore. Et en parle longuement à Frossard : “Sa question ne figurait pas sur la liste qui m’avait été remise. Or le problème qu’il soulevait était fondamental”» (B. Lecomte. Ibid. p. 836).
Bref, comme dans une soirée Rock, rien n’est laissé à l’improvisation. L’émotionnalisme à l’américaine remplace la pensée critique qui dominait les lendemains de Vatican II. Le pape sait que ses nouveaux adversaires ne sont plus les dogmatiques, froids et antipathiques porteurs de la doxa marxiste-léniniste, mais le télé-évangélisme protestant qui gagne de la ferveur auprès des foules, partout dans le monde.


L’exemplarité de Tertullien nous conduit aux deux derniers degrés de l’orgueil. Celui de la liberté du péché, le onzième, car ayant fait sécession avec le monde et avec l’Histoire, l’orgueilleux rebelle n’a ni supérieur à redouter, ni frères à respecter. Il peut donc se livrer à tous ses désirs, avec d’autant plus de liberté qu’il jouit d’une sécurité plus entière, ce que la honte et la crainte l’empêcheraient de faire, comme suppose Bernard de Clairvaux. Cet égocentrisme sans limite repose bien sur des fondements pervers où le sado-masochisme est le terreau le plus fertile : "Chez Tertullien apparaît… un accent mis sur le péché, cette attitude allait marquer l’Occident. Il parle du vicium originis (péché originel), qu’il assimile à la sexualité. Ce faisant, il inaugure une tendance qui se perpétuera dans le christianisme romain : le mépris du sexe et l’idée que le péché se cache partout" (P. Tillich. Histoire de la pensée chrétienne, Paris, Payot, Col. Bibliothèque historique, 1970, p. 119). La hantise de la faute suppose la commission irrépressible du

leux jusqu’à assumer la liberté de pécher à sa guise, que Tertullien fantasme si bien, si voluptueusement pourrait-on dire, le tourment du pécheur! «Tertullien, toujours sévère, excessif même parfois insista sur les rites de cette pénitence. Des mots ne suffisent plus. Le pénitent devrait se prosterner, s’humilier, se coucher sous la cendre, s’envelopper le corps de haillons, abandonner son âme à la tristesse. "Le pénitent gémit, pleure, mugit jour et nuit vers le ciel, se roule aux pieds des prêtres". La seconde entrée dans l’Église [après le baptême] était moins glorieuse, plus douloureuse que la première. Saint Ambroise (349-397), évêque de Milan, put dire que l’Église proposait l’eau et les armes : l’eau du baptême et les larmes de la pénitence» (G. Bechtel. La chair, le diable et le confesseur, Paris, Plon, Col. Pluriel, 1996, pp. 67-68).
Au douzième degré, le péché est devenu une habitude, sinon la qualité même de l’orgueilleux. Son plaisir est dans la souffrance comme pour l’hédoniste dans la sexualité, la nourriture, les beaux vêtements. Il finirait par dire Dieu n’existe pas s’il ne s’était pas déjà assimilé à Sa Volonté. La façon dont Bernard de Clairvaux

que le sort de l’Église chré-
tienne qu’il com-
prend si bien à travers ce «moine» dont il suit la trajectoire depuis le tout début. Ce dernier est maintenant hors de l’Église et, hors de l’Église point de salut. Il est devenu «l’impie». «Le douzième degré peut donc s’appeler l’habitude du péché, qui ôte la crainte de Dieu et nous en inspire le mépris». Nous voilà revenu à l’Ennemi, au Satan de Milton. À celui qui, aux yeux de Tertullien, mérite toutes les souffrances que les martyrs – les Témoins – ont souffert depuis le Christ.

La rhétorique du martyre sert de reflet aux supplices des pécheurs, des modérés et des couards. Un Luther, dans ses Conversations de table, aura la même médisance cruelle contre les Juifs que Tertullien contre les comédiens qui s’agitent dans les flammes de l’Enfer : «En lui, a écrit K. Hall, c’est l’esprit occidental qui s’exprime clairement pour la première fois» (Cité in H. von Campenhaussen. Les Pères latins, s.v., Ed.

nalité extrémiste. Dans son traité de 197, De l’Apologétique, il écrit : «Qui ne désire pas souffrir, afin d’obtenir de Dieu son pardon complet en échange de son sang? Car cet échange procure le pardon de son sang?» (Cité in T. Reik. op. cit. p. 315); dans son Épitre (25), il écrit encore : «Que peut-il arriver de plus glorieux, de plus béni… que de confesser sa croyance en Dieu sous la menace de la mort, devant le bourreau? De confesser le Christ…, avec un esprit encore libre quoique sur le point de s’envoler, parmi les tortures féroces, variées et raffinées des puissances de ce monde, quand le corps est roué et coupé en morceaux? Que de monter au Ciel en laissant le monde derrière soi?» (Cité in T. Reik. ibid, pp. 315-316). Ou dans sa lettre à Scapula (1), où il affirme que «nous assurant de par notre accord même, la condamnation nous donne plus de plaisir que l’acquittement»! (Cité in T. Reik. ibid. p. 316). De L’Apologétique (197) à De Corona (211), la pensée de Tertullien ne cessera d’affirmer l’orgueil de son masochisme par une négation constante de la réalité sociale romaine, se conformant ainsi aux reproches de Celse : «"Rien ne nous est plus étranger que l’intérêt public; nous ne reconnaissons qu’une république commune à tous : le monde"; "la seule chose qui importe aux

lités de vengean-
ce que les chrétiens pourraient utiliser s’il leur était permis de rendre le mal pour le mal : une désertion en masse des soldats chrétiens, une nuit d’incendie pour laquelle "quelques torches suffiraient". Aux yeux des autorités, de tels passage justifiaient toutes les méfiances. Dans son autre traité (Ad Nationes), que l’on date de la même année (197), il va plus loin. "Il nous faut, disait-il, lutter contre les institutions des ancêtres, l’autorité des traditions, les lois des maîtres du monde, les argumentations des jurisconsultes, contre le temps, la coutume, la nécessité, contre les exemples, les prodiges, les miracles qui ont fortifié cette foi bâtarde". Le polythéisme imprégnait toute la vie sociale : la refuser, c’était lutter contre la société païenne, et Tertullien allait jusqu’au bout de ce raisonnement. Son intransigeance allait croissant, jusqu’à


rie, et quelle jouissan-
ce, pour moi, d’aper-
cevoir cette foule de rois, qu’on disait avoir été reçus dans le ciel et que voici condamnés à gémir, en compagnie de Jupiter et de ses soi-disant témoins de ces événements, dans les abîmes des ténèbres! - Mais j’aperçois aussi les gouverneurs, ceux qui ont persécuté le nom du Seigneur, les voici en train de fondre dans les flammes plus cruelles que celles naguère joyeusement employées à sévir contre les chrétiens! À qui le tour? Nous les voyons, ces sages philosophes, qui savaient si bien nous raconter que Dieu ne s’occupe pas du monde, que l’âme n’existe certainement pas, ou que, du moins, elle ne


cuteurs de tout temps! Un tel spectacle, il n’est sur terre ni préteur, ni consul, ni prêtre capable de le monter, et pourtant, d’une certaine façon, nous l’avons déjà, en esprit, sous les yeux, sans attendre que commence enfin dans l’éternel royaume de Dieu, "ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu" (I Co. 2, 9). Et voilà, je pense, qui nous donnera une autre qualité de plaisir que le cirque et le théâtre!» (Cité in H. von Campenhaussen. Op. cit. p. 38).

nir sérieu-
sement, même au nom de la morale de la justice, de la charité et de l’amour. Toutes les autres institu-
tions occiden-
tales qui ont suivi au cours des siècles l’ont imitée : l’État, l’Empire, les Cités, les gouvernements, les corporations, les partis et les syndicats. Partout l’orgueil de l’institution l’emporte sur les fondements nécessaire pour le vivre-ensemble qui en sont ses seules justifications. Pendant dix ans, le pape Jean-Paul II a revisité l'Histoire de l'Église pour dénicher toutes les victimes qui avaient eu à souffrir d'une manière ou d'une autre de l'Épouse du Chriat. À la fin de l'exercice, il n'en avait omis qu'un; le plus important de tous : l’orgueil⌛
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