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Le Bal des Ardents, 28 janvier 1393 |


1285). Comme Louis XVI, bien des siècles plus tard, Philippe n’était pas prévu pour succéder à son père, le roi Louis IX (saint Louis). Accédant au pouvoir à quinze ans, Philippe est décrit comme un être faible, présentant beaucoup moins d'aptitudes que son frère, étant de caractère doux, soumis, timide et versatile, presque écrasé par la forte personnalité de ses parents. À un prince fort va succéder un prince faible. Accompagnant son père à la croisade, il est atteint de la même fièvre que celle qui devait emporter le roi. Il continue toutefois de combattre les Sarrasins. Sans grande personnalité ni volonté claire, c’est un homme pieux, mais bon cavalier et sa vaillance au combat pare avec toutes ses faiblesses, d’où son surnom du Hardi. Mais il est incapable de commander les troupes et c’est son oncle, Charles Ier d’Anjou, qui négociera la paix avec le sultan hafside de Tunis.





toire? Encore là, les érudits ne s’en-
tendent pas. Grangier croit que Malaspina est au Purgatoire parce que s’occupant de l’administration de ses états, il avait différé sa pénitence. Toutefois, lorsque Dante lui fait dire : «J’épuise ici l’amour que je portais aux miens» pourrait laisser croire à une certaine faiblesse face au népotisme. Il n’y a pas qu’envers Dante que les Malespina se seraient montrés généreux! Faiblesse toute naturelle en période de féodalité ou de tyrannie comme on en trouvait tant dans l’Italie de l’époque. Mais faiblesse quand même. Quoi qu’il en soit, dans la suite du Purgatoire, Virgile et Dante seront désormais accompagnés de Sordello, le troubadour rencontré plus tôt, Nino de Pise et Conrad (Corrado) de Malaspina.



«Si, au contraire, deux princes se succèdent, également remarquables par leur caractère et leur valeur, on les voit opérer les plus grandes choses, et porter leur nom jusqu’au ciel.Saint Louis fut sans doute un roi fort, mais Philippe III n’était hardi qu’au combat, non à la gouvernance de l’État. Il apparaît donc normal que Philippe le Bel ait été un roi décadent. Mais l’Idéologique perturbe ici le bon jugement du Dante, car Philippe le Bel sera plutôt doté de l'ambition de son aïeul plus que de la combativité deDavid fut sans contredit un homme très recommandable, et par son courage et par ses connaissances et par son jugement. Après avoir vaincu, dompté tous ses voisins, il laissa à son fils Salomon un royaume paisible, qu’il put conserver en y entretenant les arts de la paix et non de la guerre, en jouissant sans peine des talents et des travaux de son père; mais il ne put le transmettre ainsi à Roboam son fils. Celui-ci n’avait ni la valeur de son aïeul, ni la fortune de son père; aussi ce ne fut qu’avec peine qu’il resta héritier de la sixième parti de leur États» (N. Machiavel. Ibid. p. 82).




cession par trois rois qui apporte-
ront l’expan-
sion à la France : Louis XI, Charles VIII et Louis XII. De même, après la destitution puis l’assas-
sinat du faible Edward II en Angleterre, son fils, Edward III, parvint à dominer les intrigues de sa mère, «la louve de France», et de son amant, Mortimer, pour ensuite défier ouvertement son suzerain, le roi de France, Philippe VI de Valois qui assurait la succession de la dynastie des Capétiens après la mort du dernier fils de Philippe le Bel. C’est lui qui, par son long règne de vingt-deux ans (1328-1350), allait donner à l’Angleterre sa puissance au point de dominer militairement et politiquement une France divisée par des querelles dynastiques. Son fils aura cependant moins de chance.

vendiquer la légitimité du trône de France, Edward étant le petit-fils par la mère de Philippe le Bel. Edward et son frère avaient mené la première partie de la guerre de Cent Ans, défaisant les Français, entre 1337 et 1364. Les grandes batailles de l’Écluse, Crécy et Poitiers ont toutes eu lieu sous son règne. Mais aussi l’intervalle de la Grande Peste de 1348, qui a dépeuplé les deux royaumes et forcé un temps d’arrêt aux armées. Le Prince Noir meurt le premier, puis le roi Édouard en 1377. Richard se méritera le titre d’être le dernier des Plantagenêts. Un an plus tard expira la trêve plusieurs fois reportée entre les deux partis. Cette fois-ci, la France se trouvait dominée par un puissant roi, Charles V le Sage. Trois ans plus tard, ce roi mourut à son tour, laissant un enfant faible sur le trône, Charles VI le Bien Aimé. Richard II et Charles VI apparaissent presque en même temps, illustrant la thèse de Machiavel de la succession par des princes faibles.

«Les premières révoltes, qui étaient au début le fait d’artisans, de serfs, de tenanciers, furent à l’occasion guidées, dans leur développement, par des petits nobles, des prêtres, tel le célèbre John Ball, et aussi par des bourgeois riches, avides de revanche sur des adversaires politiques : plusieurs aldermen de la Cité de Londres furent ainsi accusés justement d’avoir favorisé les insurgés. Les chefs les plus connus sont des humbles : Wat Tyler, placé le 7 juin à la tête des révoltés du Kent, est d’origine obscure, peut-être un ancien valet d’armes; Jack Straw, son émule, est encore moins bien connu; dans le Norfolk le teinturier Georffrey Lister, chef incontesté des rebelles qui s’emparèrent de Norwich, était très pauvre. Rares sont, au contraire, les knights qui se mirent à la tête des révoltés; on citera Roger Bacon, l’un des principaux lieutenants de Lister et porte-parole des rebelles à Yarmouth.
Au départ, les violences essentielles sont exercées sur les juges royaux, les sheriffs, les asséeurs de l’impôt. Comme lors de la Grande Peur de 1789, on livre assaut aux abbayes, aux châteaux, on brûle les archives, on détruit les rôles des impositions, on exige des chartes d’affranchissement, la concession d’avantages variés. On pille les maisons de riches détestés, on s’attaque de préférence aux établissements religieux.
De la jacquerie et des révoltes localisées, on glisse vers la révolution véritable. À partir du 11 juin, des milliers de rebelles, certains chroniqueurs parlent de 60 000, venus de l’Essex et du Kent, marchent sur Londres. Au soir du 12, ils campent sur la colline de Blackheath, à proximité immédiate de la capitale, et John Ball les fanatise par ses sermons. Le lendemain, Richard II, venu à leur demande négocier avec eux se retire rapidement sur le conseil de son entourage. À partir du 13, Londres est envahie par des bandes furieuses : des palais, des établissements religieux, les maisons des Flamands sont pillés, leurs occupants parfois massacrés, et la plèbe de Londres assiste les envahisseurs. Le 14 juin, deux événements contradictoires se produisent : Richard II se rend à une nouvelle entrevue avec ses sujets rebelles et, à Mile-End, réussit à les convaincre de sa bonne volonté et leur promet un prompt relèvement de leur situation; pendant ce temps, à Londres, on massacre le chancelier Sudbury, le trésorier Hales et d’autres conseillers du roi, vainement réfugiés dans la Tour. Le 15 juin, Wat Tyler, qui juge insuffisantes les concessions de Richard II et rêve peut-être d’une révolution plus globale, d’un véritable changement de régime, provoque l’entrevue de Smithfield : il y est tué par l’escorte du roi, alors qu’il s’était imprudemment exposé. C’est le signal de la revanche des hommes d’ordre : inquiets, les bourgeois de Londres s’arment contre les insurgés et, avec leur aide, Richard II n’a aucune peine à disperser ces derniers, en évitant d’ailleurs de verser inutilement le sang» (R. Marx. L’Angleterre des révolutions, Paris, Armand Colin, Col. U prisme # 12, 1971, pp. 56-58).


semble-
ment public et chargea Tresilian, le nouveau Chief-Justice, de parcourir les comtés pour juger les rebelles. John Ball, Jack Straw, Grindcob et presque tous les chefs des paysans, environ cent, furent pris, déclarés coupables, et pendus, chargés de chaînes, pour servir d’exemple aux autres». (F. York Powell & T. F. Tout. Histoire d’Angleterre, Paris, Payot, Col. Bibliothèque historique, 1932, p. 297). Même si Richard essaya de limiter le sang versé, la répression fut quand même brutale et le sang répandu de Wat Tyler ne pouvait suffire à épancher la soif des nobles qui se sentaient pris à revers par leurs propre paysannerie.
Richard avait à peine repris son pouvoir qu’une nouvelle ère de troubles s’ouvrait avec la diffusion du «lollardisme», ces réformateurs chrétiens inspirés de la pensée de John Wycliffe, maître d’école d’Oxford.

pandaient parmi le peuple et commen-cèrent une pré-
dication qui devait atteindre son paroxysme sous le règne des Tudor. Pendant ce temps, la guerre en France avait repris. Richard ne guerroie pas comme son père ou son oncle. Il envoie des expéditions menées par des généraux ou des amiraux en Flandres (Despenser) et en Castille (Jean de Gaunt) qui demeurent indécises. Des troubles dynastiques, plus graves, venaient le contrarier. Le duc de Gloucester, son jeune oncle, s’oppose au roi et à ses proches. Gloucester contrôle le Parlement et entend décider de l’entourage du roi. Ce dernier résiste. Gloucester et Arundel menacent de le déposer s’il ne gouvernait pas selon les vœux du Parlement. Richard s’incline :
«il céda, envoya les sceaux à l’évêque d’Ely et permit aux Lords, de juger Suffolk et de le condamner pour détournement des fonds publics; il consentit, sous réserve de ses droits, à la nomination d’un Conseil de onze membres qui collaborerait avec les ministres et qui siégerait un an pour surveiller les serviteurs et les trésors du roi et réformer tous les actes non prévus par le droit coutumier ou ecclésiastique ni par les lois forestières. Mais, dès que l’assemblée se fut séparée, Richard relâcha Suffolk et parcourut à cheval le pays avec ses amis pour essayer de se gagner des partisans au prochain parlement. Les juges lui donnèrent leur avis; à savoir que le nouveau Conseil était illégal, que le roi aussi avait le droit de choisir et de renvoyer ses ministres et que ceux qui l’avaient menacé et qui avaient établi le Conseil avaient agi en traîtres. Le roi rendit cette déclaration publique…» (F. York Powell & T. F. Tout. Ibid. p. 302-303).


ment…» (F. York Powell & T. F. Tout. Ibid. p. 309). Le roi fit arrêter Gloucester et chargea un groupe de nobles de l’accuser de trahison devant le Parlement. Arundel fut décapité et Gloucester étouffé dans une auberge de Calais sur ordre de Nottingham. Tous les ennemis de Richard étaient ainsi proscrits ou éliminés. Rien de tout cela ne fut fait avec ouverture et courage, mais par traîtrise et abus de pouvoirs. Richard en sorti plus faible que fort :
«Richard gouverna au moyen des hommes qui avaient dirigé pour lui les Communes : le président Bushy, Scrope, Bagot et Green et intimida ses ennemis par ses gardes du Cheschire, qui l’aimaient du fond du cœur et avaient coutume de lui dire : “Dors en paix, mon petit Richard, nous prendrons soin de toi, et si tu avais épousé la fille de Sir Perkin de Lee, tu aurais pu braver tous les seigneurs d’Angleterre”. Pourtant, il n’avait pas l’esprit tranquille, il regrettait la mortd’Arundel et avait toujours peur de quelque nouveau complot contre lui; il savait bien que les Londoniens (avec qui il s’était querellé en 1392, parce qu’ils ne voulaient pas lui prêter d’argent) ne l’aimaient pas et que nombre de seigneurs se méfiaient de lui. Aussi essaya-t-il de raffermir son pouvoir; il fit des emprunts forcés, obligea Londres et dix-sept comtés à se rançonner eux-mêmes pour lui verser des sommes élevées, appelées “Plaisance”, et persuada de nombreux marchands et gentilshommes de signer en blanc des chartes qu’il remplissait à son gré, de promesses de fidélité. De plus, il chercha à se gagner des amis en leur donnant son insigne : un cerf blanc en argent, qu’ils portaient sur le bras ou au cou, comme marque de sa faveur spéciale et de sa protection. Comme il était riche et bien gardé, qu’il était homme à risquer beaucoup pour gagner les bonnes grâces de tous, il aurait pu, avec le temps, triompher de la haine qu’on avait pour lui et gouverner longtemps et équitablement s’il ne s’était mis à dos la puissante maison de Lancastre par son manque de loyauté» (F. York Powell & T. F. Tout. Ibid. p. 310).

«Richard envoya Salisbury rassembler des troupes à Conway, promettant de le suivre tout de suite; pourtant trois semaines s’écoulèrent avant qu’il débarquât à Beaumaris. Ses propres soldats s’enfuirent et il tomba dans le désespoir, maudissant la déloyauté de l’Angleterre en disant : “Hélas! Quelle foi y a-t-il en ce monde trompeur?” Au lieu d’aller à Bordeaux, où on l’aurait accueilli et aidé, il abandonna son trésor et s’enfuit à Conway sous un déguisement. Il n’y trouva aucun secours, car les soldats de Salisbury étaient rentrés chez eux, fatigués de l’attendre. Avant qu’il eût conçu de nouveaux plans, trompé par un faux serment de Northumberland, il quitta sa citadelle et fut amené à Flint. “Sot que j’étais!” s’écrie-t-il quand il se vit trahi. “J’ai sauvé la vie decet Henry de Lancastre trois fois, oui, je l’ai épargné, même quand son propre père aurait voulu sa mort, pour crime de trahison! Le proverbe est bien vrai qui dit : ton pire ennemi est celui que tu sauves de la potence”. Quand il vit Lancastre, il sourit et s’écria : “Soyez le bienvenu, beau cousin!” – “Je suis rentré en Angleterre avant l’époque fixée, sire, répondit Lancastre en s’inclinant, parce que votre peuple se plaint de ce que vous l’avez gouverné durement depuis vingt ans ou plus; mais maintenant, s’il plaît à Dieu, je vous aiderai à mieux exercer le pouvoir”. – “Votre volonté est la nôtre”, répliqua Richard. Et ils partirent pour Londres. À Liehfield, le roi essaya de s’échapper, mais on le reprit et à partir de ce moment on le garda de près. Les Londoniens accueillirent Henry avec joie; toutefois, ils crièrent et murmurèrent quand on mena le roi à la Tour. Avant que le parlement convoqué eût pu se réunir, Richard, ne voyant pas d’autre issue pour l’instant, consentit à signer une renonciation à la couronne. On adressa de nouvelles lettres de convocation pour la réunion d’un parlement dans les six jours. Pendant la séance, la renonciation fut lue en anglais et en latin et acceptée. Puis on donna lecture de trente-trois actes d’accusation contre Richard.
On le chargeait : a) d’avoir mal agi envers l’archevêque Arundel et les “accusateurs”; b) d’avoir rempli le Parlement de partisans, par l’entremise des sheriffs, et de l’avoir amené à lui abandonner ses droits légitimes; c) d’avoir humilié la couronne libre d’Angleterre en demandant au pape d’approuver les actes du Parlement; d) d’avoir perçu, contrairement à la loi, des impôts, emprunts pourvoirie et rançons; e) d’avoir violé les lois concernant les sheriffs, les officiers royaux et les juges; f) d’avoir fait un testament inique; g) d’avoir dit et soutenu que la loi était son bon plaisir, qu’il pouvait la changer à son gré et que la vie, les terres et les biens de tous étaient à sa merci, sans jugement. Un vote du Parlement décréta que ces accusations étaient justifiées et suffisaient pour déposer le roi; on envoya sept commissaires pour le lui annoncer…» (F. York Powell & T. F. Tout. Ibid. pp. 311 à 313).
«Dès que le trône fut déclaré vacant, le duc de Lancastre se leva et, se signant, déclara : “Au nom de Dieu, moi, Henry de Lancastre, je réclame ce royaume et la couronne, avec toutes ses possessions et dépendances, et j’entends en tant que descendant légitime du roi Henry et par le pouvoir que Dieu m’a donné, avec l’aide de mes parents et amis, recouvrer ledit royaume, que le manque de gouvernement et l’oubli des lois allaient perdre”. Et il montra le sceau que Richard lui avait donné à Flint. Là-dessus, les Trois États, séparément d’abord, puis ensemble, acceptèrent de le reconnaître pour roi. Henry s’agenouilla et pria quelque temps au milieu d’eux; puis deux archevêques le conduisirent au trône. […] Le lendemain, 1er octobre, Sir William Thirning, président des sept commissaires, se rendit à la Tour pour dire à Richard : “Sire, vous vous rappelez bien que vous avez résigné et abjuré le titre de roi et de maître avec toutes les dignités qui en découlent”. – “Oui”, dit Richard, “mais je n’ai pas renoncé à l’honneur religieux du sacre royal que je ne peux ni résigner, ni abjurer”. – Thirning répondit que les États et le peuple avaient définitivement accepté et ratifié son abandon et sa renonciation, “et d’ailleurs, Sire”, dit-il, “à la demande des États et du peuple, certaines fautes commises par votre gouvernement ont été lues au Parlement, entendues et comprises par tous lesdits États, qui les ont jugées si évidentes et si manifestes que, pour ces deux raisons et pour d’autres encore, tenant compte de vos propres paroles d’abandon et renonciation, où vous reconnaissiez ouvertement que vos démérites vous rendaient indigne et incapable de gouverner (comme il est dit plus longuement ici), ils ont jugé qu’il était juste et raisonnable de vous déposer”. – “Non, non, s’écria Richard, ce n’est pas à cause de mon incapacité, mais parce que mon gouvernement ne plaisait pas au peuple”. – “Je ne fais qu’employer votre expression, Sire, répondit Thirning”. – “Bien, répliqua Richard en souriant, je ne chercherai pas plus loin; après tout, j’espère que mon cousin sera un bon maître pour moi”. Ce sont les dernières paroles que prononça librement le roi emprisonné. Le 27 octobre, les Lords et le conseil le condamnèrent à la prison perpétuelle et, deux jours après, l’envoyèrent de la Tour à Pomfret. La fin de sa vie est restée jusqu’ici ignorée» (F. York Powell & T. F. Tout. Ibid. pp. 313-314).
Évidemment, plus personne ne doute que Richard mourut peu après dans sa prison, sans doute assassiné. Henry de Lancastre était devenu Henry IV d’Angleterre et allait reprendre la guerre en France. Pour F. York Powell & T. F. Tout, le caractère de Richard II ressemble à celui des rois faibles, dont Henry III tel que projeté au Purgatoire par le Dante :
«Richard fut perdu, comme le disait William Langland, par manque de bons conseils. Il n’était pas oisif et frivole comme Édouard II, dépensier et sans ressources comme HenriIII; c’était un homme fort, bien doué, beau, brave, généreux, intelligent, pitoyable, capable d’agir courageusement et vivement quand il le voulait. Son règne ne fut jamais exempt de difficultés et de dangers: querelles de famille, hostilité à l’étranger, mécontentement en Angleterre : tel est l’héritage de troubles que lui apporta la couronne; mais il était sur le point de retrouver la sécurité, quand deux ou trois faux-pas, faits dans l’intérêt de ses amis plutôt que dans le sien ou dans celui de son peuple, le perdirent. Il fut mal avisé quand, par désir de paix, il laissa sans punition les méfaits irritants de ses frères, de ses officiers et de ses gardes; mal avisé quand, par amour pour les arts, la magnificence et la vie somptueuse, il entretint une vaste cour et patronna poètes, peintres et architectes, alors qu’il savait que son peuple n’aimait dépenser de l’argent que pour la guerre; mal avisé quand, impatienté par les incessants complots et trahisons de ses parents, il employa un langage hautain et mit ses prérogatives de roi au-dessus de la loi ; encore plus mal avisé quand il essaya de bien gouverner sans consulter les volontés du peuple qu’il devait diriger, quand il exila ses favoris, abolit ses privilèges, se moqua de ses plus chères croyances et piétina les droits auxquels il tenait. Toutefois, Richard n’était pas un tyran brutal et cruel; si sa chance ne l’avait pas abandonné, il aurait pu renier les sottises et réparer les fautes où sa jeunesse et celle de ses conseillers l’avaient entraîné; il eut régné alors plus heureusement que celui qui le supplanta. Pourtant, une occasion de se rattraper lui fut offerte; il n’en profita pas, et le peuple anglais, peut-être avec raison, ne voulut pas lui en fournir une autre; mais il avait quelques bons amis qui ne purent oublier son beau visage et sa générosité et qui déplorèrent son sort» (F. York Powell & T. F. Tout. Ibid. pp. 314-315).


Charles meurt seulement trois ans après Edward III, en 1380. Charles VI (1368-1422) n’a que douze ans. Un conseil de régence établi par son père, le défunt roi, est la cause d’une première instabilité. Alors que le Valois semble si faible, toutes les maisons vassales sentent le moment propice pour s’emparer du trône. Là

«Loin de rester distant comme l’aurait souhaité Philippe de Mézières, l’adolescent est à l’aise avec tous et curieux de tout. Il regarde les faucheurs faner ses prés du château de Compiègne, où, peut-être fier de montrer sa force comme on peut l’être à treize ans, il donne un coup de main aux maçons. Il va voir les charpentiers qui travaillent à la Bastille Saint-Antoine, rend visite aux verriers de la forêt de Chevreuse et les regarde faire le verre. De telles occupations ne sont pas simple amusement, mais encore un aspect de l’office royal.
Roi des Français et pas seulement des princes et des clercs, Charles doit laisser venir à lui tous ses sujets et même aller à eux, en les visitant dans leurs travaux.
C’est ainsi que Charles apprend le métier de roi. C’est ainsi qu’il devient un guerrier adroit et fort, un prince courtois dans une cour fastueuse, un chevalier dévoué à la Croix. Ni le duc de Bourgogne qui avait guidé son adolescence, ni ses sujets n’étaient déçus.Pourquoi alors les critiques de Christine de Pizan et du Religieux de Saint-Denis, pourquoi les regrets du “Vieil Pèlerin”? C’est qu’il y avait deux modèles du prince idéal, celui des clercs, longuement décrit dans les livres et que Charles V, roi des avocats et des intellectuels, avait admirablement incarné, et celui des chevaliers qui guidait le jeune Charles VI. Ce prince-là est beau et preux, il est un roi généreux et seigneur fidèle. Il ressemble aux héros de romans de chevalerie.
C’est au prince des chevaliers qu’allait la préférence des peuples. Ne l’ont-ils pas montré par les surnoms qu’ils ont donnés de leur vivant aux rois et aux ducs, à Philippe le Bel et à Philippe le Hardi, à Jean le Bon, c’est-à-dire le Brave, et à Jean sans Peur?» (F. Autrand. Charles VI, Paris, Fayard, 1986, pp. 31-32.
«Des relations entre Charles VI et sa mère, nous ne savons rien. Mais il faut retenir qu’en 1373, à trente-cinq ans, elle avait souffert d’une maladie mentale. Charles avait alors cinq ans : “La reine de France fut malade par un caraut ou empoisonnement, si qu’elle en perdit son bons sens et son bon mémoire. Le roi qui moult l’aimait en fit mainte pèlerinage, et, la merci Notre-Seigneur, elle revint en bonne santé et en bon sens”. Quand elle mourut, le dauphin avait dix ans.
Le jeune prince eut à souffrir de la rigueur d’une seule personne : Jean de La Grange,cardinal d’Amiens. Le fait a dû frapper les contemporains, car il nous est parvenu de deux côtés différents. Conseiller très écouté de Charles V, évêque d’Amiens, Jean de La Grange, devenu cardinal, résidait à la cour pontificale d’Avignon d’où il revenait souvent à Paris pour voir le roi. Lors d’une de ses visites, le dauphin, alors âgé de dix ans, se tenait auprès de son père. À la vue du prélat, l’enfant se mit à se signer en criant à son père : “Chassez ce diable! Fuyez ce diable!” Des gens de la cour, en effet, lui avaient fait croire que le cardinal avait “un diable privé qui lui disait les choses passées et à venir”. Courroucé et mécontent, Jean de La Grange pria le roi de faire dire au dauphin qui lui avait raconté cette fable : “Monseigneur le dauphin répondit : ‘Tout le monde le dit’ et ‘que, pour Dieu, le roi n’approchât point de lui!” Onques n’en voulut dire autre chose. Ni pour beau parler, ni pour menace ne voulut onques dire qui lui avait dit”» (F. Autrand. Ibid. p. 35).

«Charles est grand, larges d’épaules. Il a le teint clair, les yeux vifs, les cheveux blonds. Il est robuste et sportif, bon tireur et bon cavalier. Cinq campagnes militaires l’ont entraîné à la vie de plein air. Il ne craint ni le mauvais temps ni la mer. Froissart raconte qu’il a le pied marin et qu’il s’en vantait auprès de Clisson, au camp de l’Écluse : “Connétable, j’ai déjà monté en mon vaisseau, je m’y plais beaucoup et crois que je serai bon marinier : la mer ne me fait pas mal”. Au moral, le Religieux de Saint-Denis remarque qu’il est affable et de contact facile. Il a la mémoire des visages et des noms. Il a aussi celle du bien et du mal qu’on lui fait. Il se met rarement en colère, parle avec douceur et modération. Le Religieux déplore l’intérêt trop vif qu’il porte aux femmes mais ajoute que, dans ses aventures, le roi n’apporta jamais le scandale ni l’injure.
[…]
Le portrait de Charles qui se dessine entre les pages du Songe du Vieil Pèlerin que Philippe de Mézières écrivit en cette année 1388-1389 où le roi avait vingt ans, apporte d’autres détails. Charles a “belle forme humaine, sain, bel, fort, droit et léger”. Il est bien pourvu de mémoire et d’intelligence. Il ne jure pas, mais laisse trop ses familiers jurer en sa présence “sans rein et sans vergogne”. Cela c’est pour le connétable. Il ne s’intéresseguère à l’astrologie, la sorcellerie, la magie, mais doit bien s’en garder. Cela, c’est pour Louis, le frère du roi. Son défaut c’est de passer la nuit à la fête et à la danse, après sa dure journée de travail et de manquer de sommeil. Déjà, il souffre d’insomnies. Et puis il y a les femmes. Philippe a beau lui recommander de “boire l’eau de sa propre citerne” et de “s’enivrer saintement des belles mamelles” d’Isabeau, Charles aime trop la compagnie des autres, “des belles femmes estranges” et le vieux maître doit lui répéter que, dans cette délicate affaire, “on ne peut mieux avoir la victoire que fuir”.
Mais Charles est jeune. Tel qu’il est, il plaît aux Français. Sa prise de pouvoir les a réjouis. Beaucoup plus qu’au jour de son avènement, ils sont, le jour de ses vingt ans, prêts à crier : “Nouveau roi, nouvelle loi, nouvelle joie!”» (F. Autrand. Ibid. pp. 177-178).
«La crise de la forêt du Mans…, le bal des Ardents, la rechute, suivie par l’alternance de crises et de rémissions, ainsi commencent, en 1392, pour Charles VI, trente années d’une vie de souffrance et, pour la France, trente années de difficultés politiques. Entre le malheur du roi et celui du royaume, le lien a paru évident aux contemporains comme aux historiens. Pourtant les uns et les autres ne voient pas les choses d’un même regard» (F. Autrand. Ibid. p. 289).

«Les gens du Moyen Âge liaient bien autrement la folie du roi et la crise du royaume. Les malheurs qui les frappaient n’épargnaient pas leur souverain. Éprouvés par la misère et par la guerre, ils se reconnaissaient dans leur roi souffrant, et, dans ses traits douloureux, ils voyaient le visage du Christ de la Passion. Jamais ils ne l’appelèrent autrement que Charles le Bien Aimé. Et si l’on voulait être fidèle à leurs pensées, il faudrait intituler ce récit non pas “la folie du roi”, mais “la Passion du roi Charles, le Bien Aimé”. Ce ne sont là, dira-t-on, que de ces bons sentiments avec lesquels on fait de la mauvaise politique. Reste à savoir si la France, parvenue à ce moment de son Histoire, avait besoin d’un souverain à poigne ou d’une nation incarnée dans la personne de son roi.
Tel est, à long terme, l’enjeu de l’histoire de Charles VI et de sa folie. Mais avant d’en arriver à ces conclusions, il faut répondre aux questions qui se posent à nous comme aux hommes du XIVe siècle, questions médicales : quelle est la maladie du roi? Quelles en sont les causes? les remèdes? Questions politiques : qui va gouverner et, les structures politiques étant ce qu’elles sont, quelles seront les conséquences, pour le royaume et la monarchie, de la maladie du roi?» (F. Autrand. Ibid. pp. 289-290).
«C’était le milieu de l’été, les jours brûlants, les lourdes chaleurs d’août. Le roi étaitenterré dans un habit de velours noir, la tête chargée d’un chaperon écarlate, aussi de velours. Les princes traînaient derrière sournoisement et le laissaient seul, afin, disaient-ils, de lui faire moins de poussière. Seul, il traversait les ennuyeuses forêts du Maine, de méchants bois pauvres d’ombrage, les chaleurs étouffées des clairières, les mirages éblouissants du sable à midi.
Comme il traversait ainsi la forêt, un homme de mauvaise mine, sans autre vêtement qu’une cotte blanche, se jette tout à coup à la bride du cheval du roi, criant d’une voix terrible : “Arrête, noble roi, ne passe outre, tu es trahi!”
Il était midi, et le roi sortait de la forêt pour entrer dans une plaine de sable où le soleil frappait d’aplomb. Tout le monde souffrait de la chaleur. Un page qui portait la lance royale s’endormit sur son cheval, et la lance, tombant, alla frapper le casque que portait un autre page. À ce bruit d’acier, à cette lueur, le roi tressaille, tire l’épée, et, piquant des deux, il crie : “Sus, sus aux traîtres? ils veulent me livrer!” Il courait ainsi l’épée nue sur le duc d’Orléans. Le duc échappa, mais le roi eut le temps de tuer quatre hommes avant qu’on pût l’arrêter. Il fallut attendre qu’il se fût lassé; alors un de ses chevaliers vint le saisir par-derrière. On le désarma, on le descendit de cheval, on le coucha doucement par terre. Les yeux lui roulaient étrangement dans la tête, il ne reconnaissait personne et ne disait mot» (Michelet, cité in F. Autrand. Ibid. pp. 290-291).

queur du temps, Froissart. Tous s’en-
tendent sur l’aver-
tissement de l’appa-
rition.
«Que cette rencontre soit à l’origine de la crise, tous s’accordent à le dire, même si chacun donne son explication. Pour le Religieux, elle agit comme un choc psychologique : “Elle lui causa une forte terreur”… “L’homme qu’on ne put écarter par les menaces ni par la terreur… clamait d’une voix terrible”. Un effet de terreur sur une “imagination troublée”. Aux yeux de Froissart, c’est une machination politique qui tourne mal : “Cette parole entra en la tête du roi qui était faible…, son esprit frémit et se sang mêla tout”. Avec le chroniqueur des Quatre premiers Valois, on quitte le domaine du rationnel pour entrer en pleine magie. “Le roi se voulut délivrer du fol” en le frappant de son épée… En dépit de l’avertissement, il a franchi la limite interdite, il est entré dans la forêt où tout peut arriver…» (F. Autrand. Ibid. pp. 292-293).
«La crise? “Un accès de manie aiguë”, disent les savants, une crise de “fureur” (le Religieux), de “frénésie” (Juvénal des Ursins). Le roi “perdit l’esprit” (le Religieux), “se desvoya”, “se marvoya ou désespéra” (Chronique des Quatre premiers Valois). “Son esprit frémit et se sang mêla tout” (Froissart). “Le cerveau lui a tourné” (l’Italien d’Avignon). Chacun a son mot pour désigner la crise, mais, attentifs au discours du malade qui criait : “On veut me livrer à mes ennemis!” “Je suis trahi” (l’Italien d’Avignon), tous sont unanimes sur le contenu du délire maniaque : Charles se voit encerclé d’ennemis qui veulent le tuer. Il attaque pour se défendre. Il frappe. Il tue» (F. Autrand. Ibid. pp. 293-294).

tration a succédé à l’excitation délirante. Il reste sans connaissance, sans mouvement, comme mort. Ses médecins avaient bien reconnu, avant qu’il ne parte en campagne pour recouvrer la Bretagne, qu’il était mal en point. Le roi s’est surmené au cours des années précédentes. Du coup, tout s’effondre au niveau politique :
«Le lendemain, il faut prendre des décisions, donner des ordres. L’armée est licenciée. Les soldes sont payées largement. Ordre est donné aux gens d’armes de retourner “chacun en son hôtel doucement et courtoisement, sans faire nulle violence sur le pays”. Puis, par crainte des troubles que la nouvelle peut faire éclater dans le pays, des chevaucheurs sont envoyés à toutes les bonnes villes pour leur recommander de monter une garde vigilante. Le roi, leur fait-on dire sans plus, “n’est pas bien disposé”» (F. Autrand. Ibid. p. 295).


«Crise aiguë, perte de connaissance, confusion mentale, cette succession d’états paraît inexplicable. Les médecins ont beau dire que c’est un épanchement de bile noire qui a troublé la raison du roi, on ne peut croire qu’une telle maladie a des causes naturelles. Le roi n’a pas été empoisonné, soit, mais alors, c’est pire encore, il a été ensorcelé, “entaraudé”. Ainsi parlent les seigneurs et le peuple.
Pour d’autres, l’origine du malheur, à coup sûr, est surnaturelle. Qu’avait donc fait le royaume pour s’attirer un tel châtiment de Dieu? Et après cette première punition, de quelles autres “verges cruelles” n’allait-il pas le frapper? Quel fléau allait-il survenir? Quelle peste? Quelle guerre? Dieu n’aime plus la France.
Devant la folie du roi, pris d’angoisse, les Français n’épargnent rien pour apaiser la colère divine. Les villes organisent des prières publiques. “À Paris, à Rouen, écrit le chroniqueur des Quatre premiers Valois, on fit des processions en grande dévotion, le peuple tout nu-pieds. Et l’on fit chanter des messes pour prier pour le roi. Et semblablement fut fait ainsi par les autres bonnes villes et en plat pays”. Paris, Rouen, c’étaient les villes qui dix ans plus tôt s’étaient mises en révolte ouverte contre le roi. Déjà en ce temps-là, un conseiller du roi avait semé l’inquiétude dans les esprits en évoquant “les dangers où le peuple se mettait de faire de telles commotions”, dangers vagues, bien pires qu’une lourde amende ou la décapitation de quelques gros bourgeois. Après la colère du roi, celle de Dieu n’allait-elle pas s’abattre sur la ville? N’est-ce pas cette peur confuse, soufflée par certains, qui poussait les citadins, nu-pieds, dans les rues, à prier pour le roi?» (F. Autrand. Ibid. p. 298).
«Aux premiers froids, le roi, rétabli, s’est installé à Paris, à l’Hôtel Saint-Pol, avec la reine. On s’amuse à Saint-Pol, pendant les longues soirées d’hiver, on danse, on carole.
Ce jour-là, le mardi 28 janvier 1393, on fête les noces d’une dame d’honneur de la reine. Isabeau aimait beaucoup cette Catherine qui était allemande et parlait allemand avec elle. Pour cette amie, deux fois veuve, elle avait trouvé un troisième mari et invité aux noces toute la cour. La journée passe en fêtes et en banquets. Vient le soir et l’heure du bal. Les musiciens s’avancent. Trompettes, flûtes, tambourins et chalumeaux se mettent à jouer et la danse commence.
Tout à coup six sauvages font irruption au milieu des danseurs, six hommes poilus comme des bêtes, vêtus de costumes collants couverts d’étoupe, le visage caché par un masque velu. Ils arrivent en file, attachés l’un à l’autre, “à la queue le leu”, comme marchent, dit-on, les loups et les bêtes sauvages. Ils se jettent dans le bal en poussant des grognements, courent et sautent, en faisant des gestes obscènes, hurlent comme des loups. Puis comme il convient à des sauvages, ils se mettent à danser la sarrasine.
On se doutait que le roi faisait partie de ces joyeux drilles. Qui étaient les autres? On le sut vite : le comte de Joigny et le sire de Nantouillet, Yvain de Foix, bâtard de Gaston Fébus, Charles de Poitiers, fils du comte de Valentinois, et un chevalier du duc de Bourbon, Hugues de Guisay. Mais comment reconnaître l’un de l’autre sous cet identique affublement? Surtout qu’on n’y voit pas très clair. Yvain de Foix, craignant le feu, a demandé au roi de faire écarter les torches. “En nom Dieu, Yvain, vous parlez bien et sagement et ce sera fait”, répond Charles qui appelle l’huissier d’armes qui gardait la porte : `Va-t-en en la chambre où les dames sont et commande de par le roi que toutes les torches se retirent à part et que nul ne se boute entre six hommes sauvages qui doivent là venir”. Les torches sont donc rangées le long des murs et les sauvages font leur sarabande dans l’ombre.
Et le duc d’Orléans? Où est-il?Le voici qui arrive accompagné de quatre chevaliers et de dix porteurs de torches. Il arrache une torche à son valet, l’approche d’un des masques. Le costume tout fait de poix, de touffes de lin, d’étoupe, s’embrase. Le feu passe de l’un à l’autre, en un instant. Les flammes brûlent ensemble le vêtement collant et la peau des malheureux. Le feu prend si vite qu’Yvain de Foix ne peut atteindre la porte où deux de ses valets guettent en tenant des draps mouillés. Plus heureux, Nantouillet court à la cuisine voisine et se jette dans le cuveau de la vaisselle. L’horreur du spectacle met en délire l’imagination du Religieux de Saint-Denis : “Le feu pénétra leurs parties intérieures, jusqu’à l’intérieur du nombril. Leurs organes génitaux avec leurs verges viriles qui tombaient par morceaux ensanglantaient le pavé de la salle”.
La reine, épouvantée aux premiers cris, s’était enfuie avec ses dames dans une salle retirée. Le roi allait-il donc mourir? Était-il mort? Elle savait qu’il était l’un des sixsauvages et que c’était pour Catherine, son Allemande, qu’on avait mené un tel train. Isabeau tombe à terre, à moitié morte de peur. Elle ne retrouve ses sens que lorsqu’elle voit le roi, sauf et rhabillé accouru pour la rassurer. Charles devait à une femme d’avoir échappé au feu. La duchesse de Berry, en effet, l’avait sauvé en le roulant dans le drap épais de sa longue traîne. Savait-elle qu’elle sauvait le roi? Froissart dit que non : “Qui êtes-vous? Il est heure que vous vous nommiez! Demande-t-elle au chevalier qu’elle retient dans ses bras. – Je suis le roi!”. Même si elle n’avait pas reconnu Charles, la duchesse, qui faisait partie de la bande des jeunes princes, était dans le secret du divertissement prévu. Comme Isabeau, donc, elle savait le roi en péril de mort et aussitôt après l’avoir protégé des flammes, elle l’envoie rassurer la reine. Charles, alors, s’en va dans sa chambre, se fait ôter son déguisement et revêtir son vêtement du jour. Inquiet d’Isabeau et de l’enfant qu’elle porte – la reine finit un troisième mois de grossesse -, il court auprès de sa femme qu’il accompagne jusqu’à sa chambre pour la réconforter» (F. Autrand. Ibid. pp. 299-300).

«Le roi a perdu la raison. Et cette fois pour longtemps. La crise commence à la mi-juin 1393. Elle dure jusqu’en janvier 1394. Charles guérit, puis rechute. À chaque rémission l’espoir renaît, mais peu à peu l’évidence s’impose : le roi est malade. Dès 1396, le Religieux de Saint-Denis, résigné, parle de la “maladie habituelle” du roi. Les crises reviennent périodiquement. Elles durent quelques jours, quelques semaines, au pire quelques mois. En un clin d’œil, Charles perd la raison. Il ne sait plus qui il est, ne reconnaît pas ses proches. Pris de fureur, il frappe, il brise, il court, il hurle. Puis c’est la prostration. Abattu, Charles refuse de manger, de dormir, de se laver. Abîmé dans ses songeries confuses, il perd le contact du présent et de la réalité, est incapable de raisonner, d’agir. Enfin le mal disparaît aussi mystérieusement qu’il est venu. Charles, comme s’il s’éveillait d’un cauchemar, retrouve son bon sens et sa droite volonté et aussi sa personnalité de simple chevalier au cœur bon. Bien conscient de sa maladie, Charles, après la crise, garde le souvenir des affreuses souffrances qu’il vient d’endurer et se désespère quand il sent revenir l’accès» (F. Autrand. Ibid. p. 304).
On devine dans quel état d’esprit le roi de France est appelé à finir ses jours. À lire les récits des différentes crises, la maladie évolue nettement au fil des années. Toujours, les crises de paranoïa désigne son frère, le duc d’Orléans, comme voulant l’assassiner. Mais cela n’est qu’un prétexte :
«En 1407, Louis mourut et Charles ne guérit pas. Désormais sans objet, la violence destructrice du pauvre roi se tourna contre lui-même. Au reste, depuis quelque temps déjà, la maladie avait évolué dans ce sens. Les crises de furie – les accès maniaques -, moins fréquentes, sont remplacées par un état de prostration – les accès mélancoliques. Quand il est en crise, Charles, prenant en haine son propre corps, refuse de se laver, de se changer, de se laisser couper les cheveux et faire la barbe. Refusant le monde extérieur, il repousse ceux qui l’approchent. Il vit hors du temps, ne connaissant pas le jour et la nuit ni les heures qui rythment la journée. Il repousse ses repas, mais quand à la longue il a faim, il se jette goulûment sur la nourriture.
[…]
Vers la fin novembre 1405, Charles était plongé dans un état de dépression profonde qui durait depuis quatre mois. Impossible de le laver et même de lui faire quitter sesvêtements pour se mettre au lit ou se changer, ni de gré ni de force. Il était, dit Juvénal des Ursins, “tout plein de poux, de vermine et d’ordure”. De plus, il avait, sans qu’on le sache, un morceau de fer “au plus près de la chair… qui lui avait tout pourri la pauvre chair". Avait-il brisé une lame en se donnant un coup de couteau sans que le voient ceux qui le gardaient? Nul ne le sait. Le médecin prévint les ducs du danger que courait Charles à rester dans un tel état. Mais que faire? Impossible de le prendre de force. Charles tuera ceux qui voudront le toucher. Il faut une ruse. À la nuit tombante, dix compagnons, déguisés, une cuirasse sous leur vêtement de crainte des blessures, le visage noirci, pénètrent dans la chambre du roi. Ébahi, Charles les voit venir à lui, le prendre, sans écouter ses paroles, le déshabiller et le changer. Ainsi les hommes noirs réussirent-ils à “changer sa chemise et ses draps, à lui faire prendre des bains, à se laisser raser la barbe, enfin à manger et à dormir à des heures réglées” (F. Autrand. Ibid. pp. 316-317).

«Au bout de plusieurs années, les accès répétés de mélancolie eurent raison de la personnalité de Charles, tandis que les désastres du royaume brisaient les derniers ressorts de son énergie. Azincourt marque un tournant. C’est après la défaite qui a détruit son armée, le 25 octobre 1415, et dépeuplé sa cour que Charles perd tout contact avec la réalité, même en dehors des crises. À la fin de l’année 1415, en plein désastre, Charles voulait encore organiser des tournois et prenait très mal les reproches que lui valait cette initiative déplacée. Sa lucidité, sa volonté, qu’il avait conservées si longtemps pendant les périodes de rémission, sont alors abolies. En 1418 quand le duc de Bourgogne prend Paris, en 1420 quand on discute le traité de Troyes, Charles est indifférent. Pierre de Fénin qui était proche de lui en ces dernières années le dit dans ses Chroniques : “Le roi était de tout content, et de Bourguignons et d’Armagnacs, et peu lui chaloit comme tout allait”. À la fin, dans Paris occupé par les Anglais, son propre fils chassé, sa fille mariée à son adversaire devenu régent du royaume de France, Charles joue aux échecs, joue à la paume au bois de Vincennes, avec ses pages Tassin, Robinet et Cerise» (F. Autrand. Ibid. p. 317).
Dans ce contexte, Charles finit par sombrer dans la folie en 1414 jusqu’à sa mort, le 21 octobre 1422. La faiblesse de Richard II résidait dans son caractère; celle de Charles VI dans sa santé mentale. Dans les deux cas, l’effet publique du drame fut le même : crises sociales depuis longtemps en attente d’éclater; rivalités

François Ier était un roi puissant mais malheureux. Son adversaire, Charles-Quint disposait de richesses pour dominer l’Europe que le roi de France ne possédait pas. Son fils, futur Henri II, le détestait pour la liberté de qui, lui et son frère aîné, avaient été échangés étant enfants, lorsque le roi fut capturé à la bataille de Pavie. De 1526 à 1530, soit durant quatre ans, ils resteront les «invités» du roi d’Espagne, Charles-Quint. Henri en reviendra traumatisé et marquera toujours une hypocondrie. Son règne parachève la Renaissance française

ne avait été le choix de François, d’où qu’Henri n’en était pas amoureux. Sa maîtresse, la célèbre Diane de Poitiers, se comportait en reine virtuelle. À la mort d’Henri, le grand problème du Royaume est l’expansion de la religion réformée. Fidèle catholique, Henri s’engage dans la lutte contre les Huguenots et des protestants commencent à monter les marches du bûcher. Pour cette raison, Henri avait confié la régence, survenant sa mort, à la famille de Guise, championne du catholicisme et alliée de l’Espagne : «Les Guise gouvernent désormais au nom du jeune François II. Ils poursuivent une politique répressive contre les réformés. Les protestants parisiens essaient en vain d’intervenir auprès de la reine Catherine afin qu’elle fasse arrêter le procès d’Anne du Bourg : sinon Dieu qui a châtié le feu roi par une mort inattendue pourrait étendre sa vengeance sur elle et ses enfants. Mais Catherine n’a guère de crédit sur l’entourage de son jeune fils. Le cardinal de Lorraine [frère de

«François II est malade, dès le début de son règne il est marqué pour une mort précoce. Ce pâle adolescent au visage rond et bouffi vous regarde avec des yeux anxieux, lourds et las, les yeux d’un individu réveillé en sursaut; une croissance soudaine et anormale vient encore affaiblir davantage sa résistance. Les médecinsveillent constamment sur sa santé et lui recommandent vivement de se ménager; mais ce jeune homme est possédé d’un orgueil insensé, il ne veut pas être inférieur à sa femme qui, svelte et nerveuse, se livre avec passion à la chasse et aux sports. Il se force à accomplir de rudes chevauchées et de nombreux efforts physiques afin de se donner l’illusion de la santé et de la virilité; mais on ne trompe pas la nature. Son sang, funeste héritage de son grand-père François Ier, demeure irrémédiablement pauvre et vicié, il a sans cesse des accès de fièvre, quand le temps est mauvais il faut qu’il garde la chambre, ombre lamentable qu’entourent de soins une foule de docteurs. Un aussi triste sire inspire à sa cour plus de pitié que de respect; dans le peuple au contraire, de fâcheux bruits circulent : il serait atteint de la lèpre et pour guérir il se baignerait dans le sang de petits enfants fraîchement égorgés; les paysans jettent de sombres regards à ce garçon blême et chétif lorsqu’il passe lentement à cheval devant eux. Les courtisans, gens prévoyants, ne tardent pas à se grouper autour de la reine mère et de Charles, l’héritier du trône. On ne peut pas tenir longtemps les rênes du pouvoir avec des mains aussi débiles; de temps à autre l’enfant-roi, de son écriture raide et maladroite, appose bien un “François” au bas de documents et de décrets, mais en réalité ce sont les parents de Marie Stuart, les Guises qui gouvernent à sa place; François II est suffisamment occupé par la lutte qu’il mène pour conserver aussi longtemps que possible le peu de force et de vie qui est en lui» (S. Zweig. Marie Stuart, Paris, Grasset, rééd. Livre de poche, Col. historique, # 337-338, s.d., pp. 47-48). Enfin, «François II s’affaiblit de jour en jour, le sang vicié qui coule dans ses veines lui martèle douloureusement les tempes et bourdonne dans ses oreilles. Il ne peut plus monter à cheval, il ne peut plus marcher et il faut le transporter d’un endroit à l’autre. Finalement l’humeur lui jaillit de l’oreille, les médecins se déclarent impuissants et le 6 décembre 1560 le malheureux garçon a fini de souffrir» (S. Zweig. Ibid. p. 50).


«Le roi Charles IX est un adolescent timide de quatorze ans, de mœurs très pures,paraissant aimer surtout les armes et le cheval. Il était assez grand, mais maigre et pâle de teint. Déjà au début de son règne, l’ambassadeur vénitien Jean Michel disait qu’il était un enfant admirable, avec de très beaux yeux, grâcieux de gestes, mais peu robuste. Il était porté sur les exercices physiques, trop violents pour lui, car il avait la respiration courte. Suriano, le successeur de Michel, confirme cette faiblesse de complexion et s’inquiète de la prédiction de Nostradamus qui a dit à la reine qu’elle verrait tous ses enfants sur le trône. Le devin semblait condamner le jeune roi à mourir prématurément» (I. Cloulas. Ibid. pp. 189-190).

mé l’enfant séduisant, aimable et doux, qui avait conquis ses sujets lors du grand voyage de la Cour à travers le royaume, en un adolescent, puis un homme, irritable, emporté, capable, comme tous les faibles, des pires violences. Et plus le mal gagne, plus s’accentuent les vices qu’il engendre. Si Charles IX aime la chasse, la paume, le manège, les exercices violents, s’il se plaît à forger des armes, s’il boit et mange comme un guerrier, et blasphème comme un soudard, c’est parce qu’il souffre de se sentir physiquement diminué. Mais la vie qu’il mène, les fatigues qu’il s’impose, les excès auxquels il se livre, ne font qu’aggraver encore son état – et, du même coup, développent ses complexes» (H. Noguères. La Saint-Barthélemy, Paris, Robert Laffont, Col. Ce jour-là, 1959, pp. 38-39). De plus, comme Charles VI était jaloux de son jeune frère Louis d’Orléans, Charles IX partage le même complexe envers son puîné, le duc d’Anjou, futur Henri III.


paux chefs aristocra-
tiques sont invités à Paris pour assister au mariage de Henri de Navarre avec la sœur du roi, Marguerite (la Reine Margot). Les Guise travaillent à un coup de force : enfermer les protestants et profiter des noces – les noces vermeilles – pour les massacrer alors que les portes de la capitale seront fermées. Il est vrai qu’au début de l’affaire, il s’agissait d’un simple attentat contre la vie de Coligny, mais, non seulement l’attentat échoue et Coligny en sort-il blessé – et grandi – dans l’esprit des gens, mais le roi accourt à son appel : «Si la blessure est pour vous, la douleur est pour moi…». Coligny en profite pour chauffer la vanité du roi.
«- L’Amiral rassemble des armes en sa maison! s’écrie la Reine Mère.
- L’Amiral vous hait, vous et votre maison, moi, Monsieur et les autres!
Morvillier, pleurant abondamment, déclare que, si tout cela est vrai, il faut suivre l’avis de la Reine.
Les nerfs de Charles ne tiennent plus, sa raison vacille. Retz, le connaissant bien, étourdit son imagination par la grandeur théâtrale d’un acte qui frappera l’univers, la postérité, l’histoire de stupeur et d’admiration. Catherine fait jouer de nouveau le ressort sentimental. Le Roi n’ose agir? Il a peur des huguenots? Eh bien! elle le quitte…
Dans le cerveau malade de Charles les instincts sanguinaires brusquement éveillés se mêlent à la sauvage jalousie fraternelle et aux vieux sentiments chevaleresques qui s’insurgent contre la trahison envers Coligny.
Eh bien! par la mort Dieu, soit! lui crie son fils, mais qu’on les tue tous pour qu’il n’en reste pas un pour me le reprocher après!
La route du crime mène à la folie et – pis encore en politique – à l’absurdité» (P. Erlanger. Op. cit. p.151)
Charles IX qui, au cours de sa misérable existence, a tant traqué de bêtes aux abois, est, à son tour, forcé, épuisé. Depuis deux heures, ses nerfs malades ont été soumis à la plus effroyable des épreuves. Sa mère, son frère, ces conseillers qui l’entourent, le serrent, le harcèlent, tous ont pesé habilement – impitoyablement aussi – sur les ressorts qui pouvaient déclencher en son cerveau taré la fureur homicide. Le voici qui se dresse, il ne parle pas, il crie, il hurle à tue-tête, comme s’il lui fallait, enfin, après toutes les autres, entendre le son de sa propre voix :
- Tuez-les, par la mort-Dieu, mais tuez-les tous, qu’il n’en survive aucun pour me le reprocher! Allez, donnez-y ordre promptement…» (H. Noguères. Op. cit. p. 109).
«Charles IX, comme l’on sait, n’avait plus que deux ans à vivre. Encore ces deux années furent-elles marquées par d’effroyables souffrances physiques et morales. Et quand enfin, le 30 mai 1574, le roi entra en agonie “après une dernière sueur de sang”, il avait eu le temps d’expier l’effroyable crime auquel sa mère et son frère l’avaient poussé» (H. Noguères. Ibid. p. 282).
«Conspirations et guerres civiles ne tardèrent pas à reprendre, Charles IX, sorti de sonhorrible ivresse, restait accablé sous le poids de ses crimes. Emporté par la phtisie, il mourut à vingt-quatre ans, baigné de sueurs sanglantes qui, comme l’accident fatal de son père, parurent aux protestants un signe de la colère céleste. Ses derniers mots furent : - Eh! ma mère!» (P. Erlanger. Op. cit. p. 224).
«Charles IX n’avait pas encore vingt-quatre ans (il est né le 27 juin 1550) lorsqu’ils’éteignit le 30 mai 1574, jour de Pentecôte, miné par la tuberculose qui avait déjà emporté son frère aîné François en décembre 1560. Les contemporains furent très impressionnés par les spectaculaires hémorragies dont il fut victime avant l’issue fatale. Sa vie durant, il avait souffert de fréquents saignements de nez; puis, sous l’effet de la maladie, il se mit à cracher le sang, parfois abondamment : à la fin d’avril, il faillit être étouffé par des vomissements sanglants.
Pour les hommes de ce temps, la manière dont on mourait était le révélateur de la qualité d’une vie; elle constituait la preuve ultime, celle qui ne peut tromper. Les protestants et les catholiques les plus militants voulurent donc mettre en évidence dans la mort du monarque les indices permettant de démontrer la réprobation divine qui pesait sur sa personne ou au contraire son élection. L’événement est ainsi devenu un enjeu polémique majeur» (A. Jouanna. La Saint-Barthélemy, Paris, Gallimard, Col. Les journées qui ont fait la France, 2007, p.283).

«Ce qui prédomine, chez le nouveau roi, dont on s’accorde à louer la bravoure, l’intelligence, la culture, l’art de bien dire, le bel et agréable aspect, les manières douces et affables, est une frivolité sans pareille. Les événements révéleront que l’extraordinaire et déconcertant personnage, qui régnera sur la France quinze ans, se libérant, de plus en plus, de la tutelle de sa mère, n’est pas moins fait pour justifier certains éloges de Du Perrier, que les portraits sans indulgence des Vénitiens, et même les caricatures des libellistes, les récits singuliers des chroniqueurs.
Protéiforme, dégénéré supérieur, étonnant mélange de grandeur royale et de personnelle indignité, Henri III échappe à l’historien, pour ne relever que du psychologue et du psychologue curieux de pathologie mentale. Tout en contrastes, son ambivalence offre le pire et le meilleur, aussi bien l’un après l’autre qu’en même temps. Légiste et danseur, etnon moins furieusement acharné au bal qu’à sa table de travail, selon ses humeurs; homme de guerre, et joueur de bilboquet; éleveur de guenuches, de petits chiens, et fondateur d’académie, car immense est sa culture; aussi passionné pour la beauté des femmes que pour celle des hommes; mari exemplaire, autant qu’infidèle; passant du moine, qui se flagelle, au politique, subtil et profond. Étudié à travers les nuances, perpétuellement changeantes, et d’une infinie complexité, de son esprit, de son caractère, de son tempérament, tels que permettent de les apercevoir ses lettres, ses discours, confrontés aux témoignages les plus divers, Henri III relève, avant tout, de la clinique. Ses contemporains ne pouvaient vraiment rien comprendre à ce prince. Henri III semble sorti de l’imagination d’un romancier pervers (tel que Péladan et Proust, s’ils avaient été historiens, l’eussent pris pour héros de prédilection), autant que du génie de sa mère, aussi digne d’être admiré par les historiens admirateurs de Machiavel et de Guichardin, que flétri par les successeurs des satiristes de L’Île des Hermaphrodites. L’Henri III de Paul de Saint-Victor, et sa “double orgie sacrée et profane”, l’Héliogabale de la Renaissance, est presque aussi conforme à la réalité que celui de Pierre Champion, qui “demeure calme, légifère, réorganise son conseil, travaille avec ses serviteurs” de Pierre Lafue, et de M. Philippe Erlanger, saluant justement le roi mort pour la France» (J. Héritier. Op. cit. pp. 415-416).


tre l’essence» (P. Erlanger. Henri III, Gallimard, rééd. Livre de poche, Col historique, # 3257, 1948, p. 205. Contrairement au violent Charles IX, Henri III «se détourn[ait] autant des exercices physiques. “Il n’aime aucune espèce d’amusements et d’exercices fatigants, constatait Michiele en 1575, tels que la chasse, le jeu de paume, le manège; par conséquent, il n’a aucun goût pour les joutes, les tournois et autres choses semblables” (P. Chevallier. Henri III, Paris, Fayard, 1985, p. 409). Ce qui est plutôt inquiétant pour une période aussi troublée. Pourtant, Henri s’est montré fier combattant et a marqué des succès dans les guerres de religions. Mais il préférerait de loin la paix. «Élégant, délicat et raffiné, il était rebuté par la vie aux armées». On l’imagine mal parler, à la manière de son frère, avec moult jurons et blasphèmes! Il aime les fêtes, les beaux vêtements, les bijoux, les petits chiens, la


lante, s’était raffermie vers la seizième année, sans pourtant lui laisser une pleine indépendance. Miron lui imposait des horaires rigoureux, une parfaite régularité de vie. Point d’excès de table : deux repas seulement et de l’eau rougie pour boisson. Les saisons le gouvernaient. Épanoui par l’éclosion des beaux jours, il souffrait de la brume, des frimas, devenait irascible. Plus tard, il devait avoir une plaie au pied que les médecins ne surent comment fermer. On lui fit une fois plonger la jambe en la gueule d’un bœuf fraîchement égorgé! Il gardait aussi son abcès de fixation au bras, sa fistule à l’œil» (P. Erlanger. Op. cit. 1948, p. 206). C’était sans compter les interminables conflits religieux. Voulant écarter définitivement le danger que représentait la Ligue, Henri III invita dans son château de Blois, Henri de Guise où sa garde personnelle, les Quarante-Cinq, le poignarda à mort. Un étage au-dessus, la vieille régente, Catherine de
nir avec son dernier adversaire, Henri de Navarre, chef de la faction protestante, quand il fut assassiné d’un coup de poignard porté au bas-ventre par un moine qu’il recevait en audience sur sa chaise percée. Condamné, Henri fit venir l’autre Henri et lui passa la succession, n’ayant aucun héritier en vue. Et c’est dans cette circonstance tragi-comique que le roi de Navarre devint Henri IV et que la famille des Bourbons succéda à celle des Valois sur le trône de France.


XVIIIe-
XIXe siècle, mais avant, les Habs-
bourg eux-
mêmes connurent des épisodes navrants. Pendant que Catherine de Médicis gouvernait ses fils, de l’autre côté des Pyrénées, Philippe II était pris avec son fils, don Carlos, qui devait devenir le sujet de la tragédie de Schiller puis de l’opéra de Verdi et dont le destin ne fut sans doute pas étranger à la création de l’une des pièces les plus connues du répertoire théâtral espagnol : La vie est un songe de Calderòn (1635).
«Dès ses premières années l’infant révéla des instincts singuliers. Non seulement il mordait, mais encore il mangeait, dit le texte espagnol [Relazioni d’Alberi, faite au Sénat de Venise le 19 janvier 1563], les seins de ses nourrices : trois d’entre elles faillirent être les victimes de la boulimie de ce petit ogre.
Jusqu’à l’âge de trois ans, on ne l’entendit pas prononcer une seule parole, à ce point qu’on le crut muet; le premier mot qui sortit de sa bouche fut non! On s’empressa d’en donner connaissance à son grand’père [Charles-Quint], qui en plaisanta. Don Carlos avait 21 quand on lui coupa le filet de la langue; on a retrouvé le compte de la somme qui fut payée à l’opérateur.
Longtemps il garda le parler difficile et lent; il ne s’exprimait qu’en termes tronqués et saccadés.
Nous connaissons son régime de vie à douze ans; il est parfaitement réglé. Il se livre déjà aux sports en faveur : il joue au truc et au palet, fait un peu d’escrime; quelquefois il monte à cheval, mais comme “il est trop évaporé pour pouvoir le faire sans danger”, on ne lui permet que rarement cet exercice.
Malgré ce régime, son état n’était guère satisfaisant. Quelqu’un qui le dépeint de visu fait ressortir son teint blême, qu’il attribue à un excès de bile, dont les médecins, selon lui, ne se préoccupent pas assez» (Docteur Cabanès. Le mal héréditaire : Les descendants de Charles-Quint, Paris, Albin Michel, s.d., pp. 246-247).

prentis-
sage du gouverne-
ment, restait un inconnu pour les courtisans. Aussi, com-
prend-t-on facilement l’effet qu’il eut lors de ses premières apparitions officielles, comme le rapporte Federico Baardoero au Sénat de Venise :
«Le prince a une grosse tête, hors de proportions avec son corps. Ses cheveux sont noirs et il est faible de constitution. Il témoigne d’une âme cruelle et, parmi les faits probants qu’on en pourrait citer, il y en a un, répété et significatif : c’est que parfois, au cours de ses chasses, quand on lui apporte un lièvre ou un animal de ce genre, il prend plaisir à les faire rôtir vivants. Et, comme on lui avait offert un long serpent, qui le mordit au doigt, il lui coupa la tête d’un coup de dents. Tout indique qu’il sera audacieux, et il semble avoir pour les femmes un goût excessif. Il donne des signes d’un grand orgueil, puisqu’il ne peut se présenter devant son père le béret à la main et qu’il appelle son père mon frère et son aïeul mon père; et il est irascible au suprême degré et passionné dans ses opinions. Il se complait à dire tant de choses originales que son professeur les a recueillies dans un petit livre qu’il a envoyé à l’Empereur» (Cité in O. Ferrara. Philippe II, Paris, Albin Michel, 1961, p. 125).

«L’ambassadeur Soranzo nous dépeint don Carlos, alors âgé de 19 ans, “d’une nature si colère, qu’il est des plus difficiles à se laisser gouverner. Il n’écoute personne et ne tient compte de rien… Il estime fort peu aussi le roi, lequel dissimule et feint de ne pas trop s’apercevoir de ses actions. Cependant, lorsqu’il lui manifeste son ressentiment, aussitôtSon Altesse se précipite au lit avec une fièvre ardente, conséquence immédiate de la colère à laquelle il est sujet”. Le narrateur ajoute qu’“il est cruel. Il porte une haine particulière à ceux qui le servent et, n’était la crainte du roi, il en changerait continuellement (de serviteur). Fort peu ont su le prendre et conquérir sa bonne grâce”. Le jeune prince nous est encore montré “capricieux de choses singulières : ainsi de se faire faire des vêtements à l’infini, d’acheter des joyaux sans vouloir qu’ils soient estimés, de faire graver son portrait dans des rubis et des diamants; puis, a-t-il porté l’anneau huit jours, il ne se soucie plus de le voir… Il affecte de prendre en dédain toutes les choses qui plaisent au roi… Le roi l’a fait entrer dans le Conseil d’État, il l’a accompagné en personne et l’a fait asseoir; mais, à peine assis, le prince est sorti soudainement”. Les ministres se refusaient-ils à exécuter ses volontés, il les accablait d’outrages» (Docteur Cabanès. Op. cit. p. 254-255).
«Le représentant de l’Empereur d’Autriche à Madrid, chargé de renseigner son maître sur son futur gendre, en trace un portrait des moins flatteurs : “Le prince n’est pas large des épaules, ni d’une grande taille; l’une de ses épaules est un peu plus haute que l’autre. Sa poitrine rentre. Il a une petite bosse à la hauteur de l’estomac. Sa jambe gauche est beaucoup plus longue que la droite, et il se sert moins facilement du côté droit que du côté gauche. Il a les cuisses assez fortes, mais mal proportionnées, et il est faible des jambes. Sa voix est grêle et aiguë, il éprouve de la gêne quand il commence à parler et les mots sortent difficilement de sa bouche…”» (Docteur Cabanès. Ibid. pp. 255-256).
«En matière de religion, cette exaltation confinait à l’angoisse, au délire du scrupule. Il n’y avait rien qu’il n’imaginât pour apaiser les inquiétudes de sa conscience. Voyant s’approcher l’époque du jubilé, il appréhendait de donner au peuple un mauvais exemple, en s’abstenant de la communion. Au lieu de prendre une détermination toute simple, en accord avec ses sentiments religieux, il jugea nécessaire d’assembler un grand nombre de frères au monastère de Saint-Jérôme, et de leur demander “si, ayant dans l’âme une haine justifiée d’ailleurs, on pouvait communier. Il lui fut répondu que non; alors, s’interrogeant de nouveau, il voulut savoir si, du moins, on pouvait communier avec une hostie non consacrée, pour que le peuple crût qu’on communiait. Les religieux répondirent encore que non, et que ce serait commettre un grand sacrilège; et ainsi le prince ne se présenta pas à la communion”» (Docteur Cabanès. Ibid. p. 257).

«Il n’est pas moins de six tentatives de meurtre qui n’aient été imputées à don Carlos, et la plupart, il faut bien le dire, sur des preuves irrécusables. On cite de ce prince des traits de brutalité qui sont d’un extravagant : des petites filles battues par ses ordres, et dont on fut ensuite obligé d’indemniser les parents; des traitements barbares infligés à des chevaux.
Était-il mécontent d’un de ses serviteurs, il le rouait de coups, ou menaçait de le jeter par la fenêtre; il osa même frapper du poing un gentilhomme de la chambre, qui n’avait pas craint de lui présenter des remontrances parce qu’il écoutait aux portes. Mais voici plus fort. Certain jour, on lui avait apporté des bottines qu’il trouva trop étroites; son majordome, qui les avait commandées, était à portée de main, il le souffleta, puis il sonna le gentilhomme de service. Celui-ci ayant un peu tardé à venir, l’infant se jeta sur lui quand il se présenta et voulut le précipiter dans les fossés du château; aux cris, les domestiques accoururent; alors, le prince leur ordonna de couper en morceaux les bottines du malheureux, de les faire cuire, et ceci dépasse toute imagination, il voulut contraindre l’infortuné cordonnier à les manger! “Il les fit mettre en petites pièces et fricasser comme tripes de bœuf, et les lui fit manger toutes devant lui, en sa chambre, de cette façon”» (Docteur Cabanès. Ibid. pp. 260-261).
«Dans la nuit du 18 au 19 janvier (1568), entre onze heures et minuit, exactement, le roi sortait, sans gardes, de son cabinet, vêtu de son costume ordinaire; il était précédé d’un homme portant un flambeau et suivi de quatre autres, munis de clous et de marteaux. Dans cet appareil, tous ces personnages pénétrèrent dans la chambre de don Carlos, dont la porte était entr’ouverte. Philippe II, avant d’être vu de son fils, qui lui tournait le dos, s’emparait de l’épée et du poignard, suspendus au chevet du lit sur lequel était étendu l’infant. Puis, le roi donna l’ordre d’enlever tous les objets de fer ou d’acier qui se trouvaient dans la pièce, jusqu’aux chenets de la cheminée, tandis que deux de ses affidés enclouaient toutes les fenêtres; l’héritier de la monarchie espagnole était désormais prisonnier d’État» (Docteur Cabanès. Ibid. p. 266).

«…étant enfant, non seulement il mordit, mais encore il mangea les seins de trois nourrices, qui en moururent. Il ne parla pas avant cinq ans, et le premier mot qu’il prononça, ce fut “Non”, ce qui ravit son grand-père Charles-Quint, lequel – en plaisantant – fit remarquer que cette spontanéité était utile pour renvoyer tous les solliciteurs. En grandissant, il n’a voulu ni étudier, ni s’adonner aux exercices physiques, mais seulement faire du mal aux autres : c’est ainsi que, lorsqu’on lui présente des gens de peu d’importance, il leur fait souffrir le martyre, et il y en a même un qu’il a voulu châtrer… Il n’aime personne, que l’on sache, et il déteste un grand nombre de gens… Il est brutal et entêté dans ses opinions; son élocution est pénible et lente, et il emploie des mots déformés et tronqués… Il ne comprend rien aux choses du monde» (Cité in O. Ferrara. Op. cit. p.126).

«Son comportement devient de plus en plus inquiétant. Il y a d’abord une affaire obscure sur laquelle nous sommes mal renseignés : pour parer à un éventuel soulèvement des morisques du royaume de Grenade, Philippe II aurait décidé de lever une milice de quarante mille hommes; or don Carlos se serait mis en rapport avec les officiers chargés du recrutement; le roi, informé, aurait arrêté la mise en place de la milice, de peur de fournir à son fils une armée qu’il aurait pu retourner contre lui. Plus sérieuse paraît une autre péripétie. Don Carlos n’a pas renoncéà partir pour les Pays-Bas. On lui prête même l’intention de prendre la tête des rebelles qui, selon lui, auraient des raisons de se plaindre de Philippe II. Il écrit aux Grands pour leur demander de l’argent afin de l’aider à quitter l’Espagne et à se rendre en Allemagne épouser sa cousine Anne. Deux jours avant la Noël 1567, cherchant à mettre ce plan à exécution, don Carlos prie don Juan d’Autriche de lui trouver un bateau. Naturellement, don Juan se rend immédiatement à l’Escorial pour informer le roi… C’est alors que Philippe II prend la décision d’agir à la fois dans l’intérêt du prince et pour le salut public. Il consulte des juristes et des théologiens : Gallo, Melchor Cano, le docteur navarrais, Martin de Azpilcueta …Les avis sont formels : le désaccord entre le roi et son fils représente une menace grave; on ne peut prendre le risque de créer des divisions dans le royaume; il faut donc empêcher le prince de quitter l’Espagne» (J. Pérez. L’Espagne de Philippe II, Paris, Fayard, 1999, pp. 290-291)
«On affirme que le prince est dans les fers, qu’il a essayé à plusieurs reprises de se suicider, qu’il est protestant, qu’il a comploté de tuer le roi. On dit qu’il est fou furieux, ou que c’est un martyr qui souffre injustement. Ses gardiens lui imposent un régime étrange. Il est tantôt gavé de nourriture, tantôt soumis à un jeûne sévère. Ils l’exposentalternativement au froid et à la chaleur. C’est du moins ce qu’on imagine. Philippe, en tout cas, fait instruire un procès de trahison dont il confie la direction à Ruy Gómez, mais cette instruction est peut-être le seul document d’État du règne de Philippe II qui ne soit pas conservé au château fort de Simancas, où le roi fait déposer ses archives» (I. Cloulas. Philippe II, Paris, Fayard, 1992, p. 243).
«Don Carlos meurt le 24 juillet 1568 à l’alcazar de Madrid. A-t-il été assassiné? Rien ne permet de l’affirmer. Notre source principale est un témoin qu’on ne saurait récuser : l’ambassadeur de France Fourquevaulx; il n’a aucune raison de ménager l’Espagne et Philippe II; ses rapports sont confidentiels; il peut s’exprimer librement et éventuellement faire état de rumeurs. Or, à aucun moment Fourquevaulx ne laisse entendre que don Carlos a été exécuté ou assassiné; celui-ci aurait provoqué lui-même sa mort par ses habitudes alimentaires. Depuis quelque temps, le prince faisait une sorte de grève de lafaim; pendant trois ou quatre jours, il cessait de s’alimenter, puis se mettait à manger comme un ogre. En même temps, il absorbait des quantités d’eau glacée. Cabrera de Córdoba ajoute que le prince se roulait tout nu sur les carreaux de sa chambre, puis se couchait dans des draps imbibés d’eau glacée. Ces scènes se passaient à Madrid, au mois de juillet, en pleine canicule… Vers le 15 juillet, don Carlos commence une nouvelle grève de la faim; il ne mange plus que des prunes crues, tout en continuant à boire glacé. Telle serait, selon l’ambassadeur de France, la cause de sa mort, version confirmée par Cabrera de Córdoba : pareil régime aurait provoqué de la fièvre, des vomissements, de la diarrhée. Les médecins le purgent, mais sans grand effet. On avertit le roi qui se rend aussitôt auprès de son fils, mais sans se laisser voir de peur d’exciter sa colère; il lui donne discrètement sa bénédiction avant de se retirer. Cabrera de Córdoba évoque, dans une formule saisissante, ce qu’ont dû être les sentiments de Philippe II quand il a su que son fils allait mourir : la douleur du père, le soulagement du roi apprenant que don Carlos ne ferait plus courir de danger à la monarchie… Le prince a le temps de faire son testament et de recevoir les derniers sacrements. Il meurt le 24 juillet, à quatre heures du matin» (J. Pérez. Op. cit. p.p. 292-293).
«La détention fut rendue de jour en jour plus sévère. La Maison du Prince fut totalement dissoute. Don Carlos dut abandonner jusqu’aux murs entre lesquels il avait habité : une tour lui fut donnée comme unique résidence. L’ambassadeur Cavalli, dans ses dépêches à la Sérénissime, donne les nouvelles les plus précises sur le prisonnier : l’amélioration de sa santé à un certain moment, sa grève de la faim, pour laquelle Philippe II déclina toute responsabilité en ces termes : `Quand il aura faim, il mangera”. Le Roi alla jusqu’à établir un formulaire pour un Prince en disgrâce, en fixant la façon dont il devait être servi. Puis il l’autorisa à se confesser et à communier, ce que don Carlos fit avec beaucoup de soin et de foi, ce pendant que le père expliquait que cette autorisation nesignifiait pas qu’on le considérât comme jouissant de toutes ses facultés. De temps en temps, l’incertitude désespérait le prisonnier. À un certain moment, il tenta de se suicider en avalant un diamant, mais sans y réussir. Il expulsa la pierre… Ainsi le temps passait.
Le 15 juillet, après avoir mangé abondamment, - selon la version officielle, - le Prince ne se sentit pas bien. Le repas pantagruélique, ajoute-t-on, s’était terminé par un pâté de quatre perdrix fort épicé; après quoi il avait bu de l’eau froide en abondance. Une indigestion s’ensuivit, avec vomissements et violentes coliques, sans que le médecin pût agir, en raison de l’opposition du malade, qui refusa tous les médicaments. Cette même version consigne d’autre part que don Carlos était, depuis peu, devenu plus sain d’esprit; en effet, l’Ambassadeur Cavalli eut la phrase la plus pathétique pour décrire cette heure : “Le bon sens qui lui avait manqué pendant la vie, Dieu notre Seigneur le lui octroya à la fin en surabondance”. Il se confessa et dicta un nouveau testament. Mais il fut condamné par les médecins, et cela cinq jours après être tombé malade et huit jours avant sa mort. Il mourut le 28 juillet; voici la version de sa fin : le jeune moribond avait demandé quelques heures de vie encore, pour pouvoir fêter le jour de Saint-Jacques, et le Tout-Puissant (toujours selon la version officielle) les lui accorda. Finalement, il put achever son existence avec sérénité, en prononçant la phrase de Charles Quint : “Il est temps, mon Père, aidez-moi!”» (O. Ferrara. Op. cit. pp. 136-137).
Les historiens de la droite traditionaliste, inspirés de la pensée de Bainville, savent que les régences sont des moments de faiblesses dans la succession au trône; pour les historiens de gauche, elles sont des occasions pour laisser les éruptions populaires se manifester. L’immaturité ou la jeunesse du roi laissent aux John Ball et Wat Tyler, aux jacqueries, aux frondes, aux partis de protestants et de catholiques, la voie large ouverte pour faire avancer leurs intérêts de groupes. La réaction devient automatique : la répression. Celles qui marquèrent aussi bien le règne de Richard II que celui de Charles IX. La faiblesse des rois conduit à la mauvaise éducation de leurs propres fils et agace les dents de leurs petits-fils. À des saint Louis, Edward III, Charles V, François Ier et Charles-Quint, on trouve, deux générations plus tard, les trois fils de Philippe le Bel – les

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