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Pisanello. Fresque de l'église Sant'Anastasia à Vérone. |




ciation, torturé au Châtelet et révèle la par-
ticipation de Villon à l’affaire. Forcé de fuir Paris, il arrive au tournant de 1458 à la cour du duc d’Orléans, à Blois. C’est là qu’on y retrouve le prisonnier-poète, Charles d’Orléans, petit-fils de Charles V, âgé alors de 63 ans. C’est lui qui était demeuré vingt-cinq ans prisonnier des Anglais et dont la poésie avait distrait son ennui et l’avait fait reconnaître par tous le poète du temps. Aussi, sa cour est-elle le rendez-vous de musiciens et de fins rimeurs. On y vient de loin et tous sont sûrs d’être bien accueillis. Villon y trouvera là un gîte agréable. Mais ces beaux jours seront suivis de malheurs, surtout lorsqu’il atterrira à Meung-sur-Loire où il est emprisonné durant l’été 1461 dans la basse

léans, qu’il appelle Taque Thibaut : «Froissart nous a gardé le souvenir de ce Thibaut qui s’appelait Jacques pour son curé et Taque pour le peuple méprisant. Ce n’était pas un évêque. Fort inconnu comme chaussetier, Taque était célèbre dans le Paris de Charles VI comme l’un des mignons du duc Jean de Berry. Le mécénat du prince coûtait cher au contribuable et son goût pour les garçons suscitait les haussements d’épaule. […] Le nom de Taque Thibaut est-il passé en exemple de mœurs ou de dilapidation? Le poète ne donne pas là dans l’allusion facile, et la référence vaut d’être prise pour sérieuse : il accuse bel et bien Thibaut d’Auxigny d’être un mignon, ou d’être un voleur, ou les deux. Lui, François Villon, est un homme fini. Il sait qui remercier.




ticulier après cette dernière affaire de Ferrebouc. Si «l’humanité» dans l’application de la peine de mort a été poursuivie par les institutions judiciaires jusqu’à sa complète abolition, tard au XXe siècle, il n’en demeure pas moins que le ressentiment des individus des classes moyennes ou pauvres est encore assez fort pour en fantasmer le retour. La force de l’Épitaphe Villon réside dans le fait que le poète a donné une voix à toutes ces confessions qui sont restées sans témoins ni papiers au cours des siècles. L’Ancien Régime, qui pratiquait des modes différents d’exécution selon l’ordre auquel appartenait le condamné – décapité à l’épée si le condamné était noble; pendu s’il était roturier – a été remplacé par l’argent avec la Révolution française, dont l’un des premiers projets de loi soumis par Robespierre consistait précisément à l’abolition de la peine de mort pour des délits politiques. Mais,

ges. Comme les exécutions n’ont lieu que le lendemain du prononcé de la sentence par le Tribunal révolutionnaire, «l’usage voulait qu’un excellent repas leur [les condamnés] fût servi, et que le vin coulât à volonté… dans la mesure de leurs moyens. Mais il ne s’agissait là que d’une mesure d’exception ne concernant que les plus fortunés, tels le duc d’Orléans ou le duc de Biron à qui furent servis des huîtres et du vin blanc. Pour les autres, ces derniers instants étaient misérables…» (O. Blanc. La dernière lettre, Paris, Robert Laffont, Col. Pluriel, # 8465, 1984, p. 91).


cution. La séance étant publi-
que depuis la mort du roi Louis XVI (21 janvier 1793), cette longue marche à la mort reprenait un calvaire sous la huée des «tricoteuses» et des sans-culottes peu compatissants : «Des incidents ont lieu. Quelques excités lancent de la boue sur les condamnés. Parfois, ce sont les insultes qui pleuvent sur les malheureuses victimes entassées dans la “bière des vivants” ou le “carrosse aux trente-six portières”, particulièrement lorsque celles-ci sont d’un calme imperturbable. Quelquefois, la foule reste muette, surprise par exemple par le “Sauvez-moi, mes amis,

teurs ne supportent pas toujours un tel spectacle. Certains s’évanouissent. Beaucoup évitent le passage des charrettes. Même la presse, si prompte aujourd’hui à couvrir les anecdotes morbides, reste très pudique devant ces fournées de guillotinés. Ce sont les rapports de police qui sont les plus bavards sur les derniers instants des condamnés. Ainsi, lorsque le 31 octobre 1793 on exécute les principaux membres du parti des Girondins :
«…Il me reste à vous confier encore mes dernières pensées. J’aurais voulu les écrire dès le commencement du procès; mais outre qu’on me laissoit pas écrire, la marche en a été sirapide, que je n’en aurois réellement pas eu le temps. Je meurs dans la religion catholique, apostolique et romaine, dans celle où j’ai été élevée, et que j’ai toujours professée, n’ayant aucune consolation spirituelle à attendre, ne sachant pas s’il existe encore ici des prêtres de cette religion, et même le lieu où je suis les exposeroit trop s’ils y entroient une fois. Je demande sincèrement pardon à Dieu de toutes les fautes que j’ai pu commettre depuis que j’existe. J’espère que, dans sa bonté, il voudra bien recevoir mes derniers vœux, ainsi que ceux que je fais depuis longtemps pour qu’il veuille bien recevoir mon âme dans sa miséricorde et sa bonté. Je demande pardon à tout (sic!) ceux que je connais et à vous, ma sœur, en particulier, de toutes les peines que, sans le vouloir, j’aurois pu vous causer. Je pardonne à tous mes ennemis le mal qu’ils m’ont fait. Je dis ici adieu à mes tantes et [ce dernier mot est rayé] et à tous mes frères et sœurs. J’avais des amis, l’idée d’en être séparée pour jamais et leurs peines sont un de mes plus grands regrets que j’emporte en mourant, qu’ils sachent au moins que, jusqu’à mon dernier moment, j’ai pensé à eux.
Adieu, ma bonne et tendre sœur; puisse cette lettre vous arriver! Pensez toujours à moi, je vous embrasse de tout mon cœur, ainsi que ces pauvres et chers enfants : mon Dieu! Qu’ils est déchirant de les quitter pour toujours! Adieu, adieu! Je ne vais plus m’occuper que de mes devoirs spirituels. Comme je ne suis pas libre dans mes actions, on m’amènera peut-être un prêtre, mais je proteste ici que je ne lui dirai pas un mot, et que je le traiterai comme un être absolument étranger.
Marie-Antoinette» (Citée in O. Blanc. Ibid. pp. 164-165)
«Mes chers parents, je m'acquitte de mes derniers devoirs. Vous savez à quoi la loi m'a jugée, ils ont trouvé le crime dans l'innocence, et c'est ainsi qu'elle m'ordonne de mourir. J'espère que vous voudrez bien vous consoler, c'est la dernière grâce que je vous demande. Je meurs avec la pureté de l'âme que j'ai reçue et vois la mort avec joie. Adieu, recevez mes derniers embrassements. C'est de la fille la plus tendre et la sœur la plus attachée. Je trouve ce jour-ci comme le plus beau que j’ai reçu de l’Être suprême. Vivez et ne pensez à moi que pour vous réjouir du bonheur qui m’attend. J’embrasse mes amis et suis reconnaissante de ceux qui ont bien voulu parler à mon avantage.
Adieu pour la dernière fois, que nos enfants soient heureux, c’est mon dernier souhait.
Coutelet (Citée in O. Blanc. ibid. p. 170)
«A, M. de Corday d’Armont, rue du Bègle, à Argentan.
Pardonnez-moi, mon cher papa, d’avoir disposé de mon existence sans votre permission. J’ai vengé bien d’innocentes victimes, j’ai prévenu bien d’autres désastres. Le peuple, unjour désabusé, se réjouira d’être délivré d’un tyran. Si j’ai cherché à vous persuader que je passais en Angleterre, c’est que j’espérais garder l’incognito; mais j’en ai reconnu l’impossibilité, j’espère que vous ne serez point tourmenté. En tout cas, je crois que vous aurez des défenseurs à Caen. J’ai pris pour défenseur Gustave Doulcet de Pontécoulant. Un tel attentat ne permet nulle défense. C’est pour la forme.
Adieu, mon cher papa, je vous prie de m’oublier, ou plutôt de vous réjouir de mon sort, la cause en est belle. J’embrasse ma sœur que j’aime de tout mon cœur ainsi que tous mes parents. N’oubliez pas ce vers de Corneille : "Le crime fait la honte et non pas l’échafaud"» (Cité in O. Blanc. ibid. p. 36. Il ne faut pas oublier que Charlotte Corday était arrière petite nièce de Corneille)
«Il faut te quitter… Je t’envoie mes cheveux dans cette lettre. La citoyenne… promet de te remettre l’un et l’autre. Témoigne-lui-en ma reconnaissance.
C’en est fait, ma pauvre Delphine, je t’embrasse pour la dernière fois. Je ne puis pas tevoir; et si même je le pouvais, la séparation serait trop difficile, et ce n’est pas le moment de s’attendrir. Que dis-je, s’attendrir?… Comment pourrais-je m’en défendre à ton image? Il n’en est qu’un moyen… celui de la repousser avec une barbarie déchirante mais nécessaire. Ma réputation sera ce qu’elle doit être; et pour la vie, c’est chose fragile par sa nature. Des regrets sont les seules affections qui viennent troubler par moments ma tranquillité parfaite. Charge-toi de les exprimer, toi qui connais bien mes sentiments et détourne ta pensée des plus douloureux de tous car ils s’adressent à toi.
Je ne pense pas avoir jamais fait à dessein du mal à personne. J’ai quelquefois senti le désir vif de faire le bien. Je voudrais en avoir fait davantage; mais je ne sens pas le poids incommode du remords. Pourquoi donc éprouverais-je aucun trouble? Mourir est nécessaire, et tout aussi simple de naître.
Ton sort m’afflige. Puisse-t-il s’adoucir! Puisse-t-il même devenir heureux un jour! C’est un de mes vœux les plus chers et les plus vrais. Apprends à ton fils à bien connaître son père. Que des soins éclairés écartent loin de lui le vice; et quant au malheur, qu’une âme énergique et pure lui donne la force de le supporter.
Adieu! je n’érige point en axiomes les espérances de mon imagination et de mon cœur; mais crois que je ne te quitte pas sans désirer de te revoir un jour.
J’ai pardonné au petit nombre de ceux qui ont paru se réjouir de mon arrêt. Toi, donne une récompense à qui te remettra cette lettre» (Cité in O. Blanc. ibid. p. 190).


«Les jurés, mon ami, vont aller aux voix pour prononcer sur ton sort et sur le mien. Suivant tout ce que j’aperçois, tu en échapperas et non moi. Si ma femme te remet cette lettre, elle y joindra celle que je t’écrivais le 26 messidor de l’an passé, que je n’ai pas eu l’occasion, comme je l’avais cru d’abord, de te faire parvenir, et que je conserverai jusqu’à ce moment. Je ne puis aujourd’hui te rien ajouter de plus que ce qui y est contenu. D’ailleurs, l’approche du moment fatal ferme mon esprit et peut-être mon cœurà toute expression de sentiment que j’eusse pu quelques jours plus tôt développer. Je ne sais, mais je ne croyais pas qu’il m’en coûterait autant pour voir la dissolution de mon être. On a beau dire, la nature est toujours forte. La philosophie prête quelques armes pour la vaincre, mais il faut toujours lui payer tribut. J’espère pourtant conserver assez de force pour soutenir, comme je le dois, ma dernière heure, mais il ne faut pas m’en demander davantage.
Je me sens un trouble, une indifférence ou un vide d’idée que je ne peux expliquer; il me semble que je voudrais sentir quelque chose pour ma femme, pour mes enfants et que je ne sens plus rien. Je ne trouve rien à te dire pour eux. J’ignore encore si ce n’est point à cause du pressentiment affreux de l’inutilité de tout soin de ma part envers eux, lorsque l’affreuse contre-révolution doit proscrire tout ce qui appartient aux divisions républicaines. Et puis, cette longue existence dans l’état de malheur émousse sans doute le sentiment de sensibilité trop exercé d’abord, et il est une mesure que la nature humaine ne dépasse pas. Peut-être aussi prends-je pour de l’insouciance ce qui n’en est pas, car je rougis d’une telle disposition d’âme. Peut-être ne crois-je sentir rien pour trop sentir. Pardonne ce désordre de mes idées; devine tout ce que je voudrais te dire ici, et fais ce qu’attend de toi celui qui imagine t’avoir tout dit en t’assurant qu’il croit déposer ses paroles dernières dans le sein de son meilleur ami.
Je crois avoir à me consoler de la manière dont je me suis conduit dans le procès. Malgré le trouble qui m’agite, je sens que, jusqu’à ma dernière minute, je ne ferai encore rien dont n’ait à se louer la mémoire d’un honnête homme. Adieu» (Cité in O. Blanc. ibid. pp. 241-242)

manti-
ques, ad-
mirateurs des figures révolu-
tionnaires et mettre toute sa foi dans le progrès, le peuple, la nation, mais on peut tout aussi bien conserver l’esprit du christianisme dans ce qu’il a de plus généreux et de plus compatissant. C’est ce que nous retrouvons dans la dernière lettre de François-Marie-Thomas (Chevalier) de Lorimier (1808-1839). Ce rebelle du Bas-Canada de 1838, capturé, jugé et condamné «pour l’exemple» par le tribunal répressif du gouvernement colonial anglais a écrit une superbe lettre à sa femme la veille de son exécution, en février 1839, alors qu’il était à peine âge de 35 ans :
«Prison de Montréal, 14 février 1839, à 11 heures du soir.
Le public et mes amis en particulier, attendent, peut-être, une déclaration sincère de mes sentiments; à l’heure fatale qui doit nous séparer de la terre, les opinons sont toujours regardées et reçues avec plus d’impartialité. L’homme chrétien se dépouille en ce moment du voile qui a obscurci beaucoup de ses actions, pour se laisser voir en plein jour. Pour ma part, à la veille de rendre mon esprit à son créateur, je désire faire connaître ce que je ressens en ce que je pense. Je ne prendrais pas ce parti, si je ne craignais qu’on ne représentât mes sentiments sous un faux jour; on sait que le mort ne parle plus, et la même raison d’état qui me fait expier sur l’échafaud ma conduite politique pourrait bien forger des contes à mon sujet. J’ai le temps et le désir de prévenir de telles fabrications et je le fais d’une manière vraie et solennelle à mon heure dernière, non pas sur l’échafaud, environné d’une foule stupide et insatiable de sang, mais dans le silence et les réflexions du cachot. Je meurs sans remords, je ne désirais que le bien de mon pays dans l’insurrection et l’indépendance, mes vues et mes actions étaient sincères et n’ont été entachées d’aucun des crimes qui déshonorent l’humanité, et qui ne sont que trop communs dans l’effervescence de passions déchaînées. Depuis 17 à 18 ans, j’ai pris une part active dans presque tous les mouvements populaires, et toujours avec conviction et sincérité. Mes efforts ont été pour l’indépendance de mes compatriotes; nous avons été malheureux jusqu’à ce jour. La mort a déjà décimé plusieurs de mes collaborateurs. Beaucoup gémissent dans les fers, un plus grand nombre sur la terre d’exil avec leurs propriétés détruites, leurs familles abandonnées sans ressources aux rigueurs d’un hiver canadien. Malgré tant d’infortune, mon cœur entretient encore du courage et des espérances pour l’avenir, mes amis et mes enfants verront de meilleurs jours, ils seront libres, un pressentiment certain, ma conscience tranquille me l’assurent. Voilà ce qui me remplit de joie, quant tout est désolation et douleur autour de moi. Les plaies de monpays se cicatriseront après les malheurs de l’anarchie et d’une révolution sanglante. Le paisible canadien verra renaître le bonheur et la liberté sur le Saint-Laurent; tout concourt à ce but, les exécutions mêmes, le sang et les larmes versés sur l’autel de la liberté arrosent aujourd’hui les racines de l’arbre qui fera flotter le drapeau marqué de deux étoiles des Canadiens. Je laisse des enfants qui n’ont pour héritage que le souvenir de mes malheurs. Pauvres orphelins, c’est vous que je plains, c’est vous que la main ensanglantée et arbitraire de la loi martiale frappe par ma mort. Vous n,aurez pas connu les douceurs et les avantages d’embrasser votre père aux jours d’allégresse, aux jours de fêtes! Quand votre raison vous permettra de réfléchir, vous verrez votre père qui a expié sur le gibet des actions qui ont immortalisé d’autres hommes plus heureux. Le crime de votre père est dans l’irréussite, si le succès eût accompagné ses tentatives, on eut honoré ses actions d’une mention honorable. "Le crime et non pas l’échafaud fait la honte". Des hommes, d’un mérite supérieur au mien, m’ont battu la triste voie qui me reste à parcourir de la prison obscure au gibet. Pauvres enfants! vous n’aurez plus qu’une mère tendre et désolée pour soutien; si ma mort et mes sacrifices vous réduisent à l’indigence, demandez quelque fois en mon nom, je ne fus jamais insensible aux malheurs de mes semblables. Quant à vous, mes compatriotes, mon exécution et celle de mes compatriotes d’échafaud vous seront utiles. Puissent-elles vous démontrer ce que vous devez attendre du gouvernement anglais!… Je n’ai plus que quelques heures à vivre, et j’ai voulu partager ce temps précieux entre mes devoirs religieux et ceux dus à mes compatriotes; pour eux je meurs sur le gibet de la mort infâme du meurtrier, pour eux je me sépare de mes jeunes enfants et de mon épouse sans autre appui, et pour eux je meurs en m’écriant : Vive la liberté, vive l’indépendance
Chevalier de Lorimier » (Cité in J. Hare (éd.) Les Patriotes 1830-1839, Les Éditions Libération, 1971, pp. 217-219.
«Tous les messages dont il s'agit furent écrits la veille de l'exécution. Parmi leurs auteurs, il y a des cultivateurs, des employés, un lycéen, un étudiant, un entrepreneur de maçonnerie, un instituteur, un mécanicien, un apprenti mécanicien, etc., donc des gens de métiers divers. Le plus jeune d'entre eux avait seize ans, les autres respectivement dix-sept, dix-huit (trois), vingt, vingt et un (deux), vingt-deux, vingt-trois (deux), vingt-quatre, vingt-six, vingt-neuf, trente-cinq ans. Tous furent emprisonnés et exécutés à cause de leurs activités de Résistance.
Ce sont de simples et émouvantes lettres d'adieu, des paroles d'assurance et des vœux suprêmes; les constatations d’ordre idéologique sont liées à des motifs intimes : Je suis mort en véritable Français et en véritable chrétien. - Vive la France. - Je meurs pour que vive la France. - Je meurs avec l’espoir que mes idées resteront personnifiées et que vous aurez le courage nécessaire pour les suivre jusqu’au bout. - "Pardonnez-moi de vous causer cette dernière peine, mais si je meurs, c’est pour la France". - Mort pour la Patrie (au-dessous de la signature). - Adieu et que vive la France. - Sachez que ma dernière pensée fut pour vous, pour ma Patrie, pour Dieu, pour la Vierge. - Je meurs pour ma Patrie. Je veux une France libre et des Français heureux. Non pas une France orgueilleuse, première nation du monde, mais une France travailleuse, laborieuse et honnête.
Le motif de la foi religieuse s’exprime à travers les mentions répétées : "Je me suis confessé hier et j’ai reçu la communion." - "J’ai vu le curé hier; je mourrai en chrétien." - "Sache que c’est en chrétien, en Français que je meurs." - "Cela ne m’effraie pas outre mesure, car j’ai Dieu avec moi." Plusieurs d’entre eux expriment l’espoir de revoir leurs proches au ciel.» (M. Borwicz. Écrits des condamnés à mort sous l’occupation nazie, Paris, Gallimard, Col. Idées # 293, 1973, pp. 178-179)Nous voici donc devant des témoignages de patriotisme, de foi chrétienne et de confiance dans la Libération à venir. Comme les condamnés de la Révolution française, nous retrouvons dans ces lettres d’abondantes effluves émotives envers la famille, les parents, les amis… on y retrouve également de l’humour parfois, et des citations à la Plutarque. Borwicz retient dans tous ces témoignages que «Les

sent donc parfaite-
ment les rôles sociaux de leurs auteurs. Ils parlent en maris, en fils, en fiancés, en pères. Ils s’adressent aux personnes proches, ayant connaissance aussi bien de l’expéditeur que de l’affaire : "Je sais, écrit un de ces condamnés dans une lettre parfaitement concise, que nous ne serons pas oubliés de vous tous (…). Enfin, vous savez pourquoi et vous savez ce que j’ai fait." Cette dernière phrase résume l’essentiel» (M. Borwicz. ibid. p. 181). Voici comment se sentaient un très grand nombre de Résistants appelés à être exécutés moins de 24 heures après la rédaction de leurs lettres.
Différent est le caractère des lettres de prisonniers incertains de leur sort, en transit vers les camps de concentration ou d’extermination. Il y a à travers ces lettres la trace d’une évolution tragique qui n’était pas possible dans le premier cas où la mort était certaine une fois capturé :
Les talents de l’auteur suffisent à rassembler toute la vague des sentiments qui anime l’âme des condamnés à mort. Pour Crémieux, la mort est au bout du chemin, au camp de Buchenwald, aussi certainement que les Résistants capturés, mais cette mort est différée, ouvrant un temps où la souffrance est entretenue par un tas«C’est, entre autres, le cas de l’écrivain français Benjamin Crémieux, dans ses lettres expédiées du camp de Drancy, c’est-à-dire avant qu’il fût déporté en Allemagne. "Dès cet instant, note G. Audisio en marge de ces lettres, sa mort était inscrite dans les astres qu’il avait tant aimés. Il ne pouvait pas ne pas l’y avoir vue." Mais pour parler sans métaphore : Crémieux avait-il effectivement connu à l’époque le sort qui allait lui être réservé? Reconstituons sa situation : il avait déjà été martyrisé et mutilé. Bien qu’il mentionne les bruits au sujet d’une évacuation de Drancy, d’un groupement ou d’une libération des conjoints d’aryens, il ajoute : "Mais Drancy est le lieu où courent le plus de bobards." Il ne faut pas se tromper : ces phrases suivent immédiatement celles où, tout en utilisant un euphémisme, il parle des déportations : "Il y a eu un départ mercredi. Peut-être y en aura-t-il un autre la semaine qui vient." Et cet aphorisme encore : "Tout est bien qui ne finit pas plus mal." Les deux lettres (l’une du 29 mai 1943, la seconde du 26 juin 43) sont imprégnées d’une belle humeur… manifestement voulue. La source n’en est pas difficile à déchiffrer. C’est l’écrivain qui parle et qui est conscient de son rôle social : Cette aventure s’incorpore admirablement à ma biographie. - L’ambiance du camp a de quoi tenter un romancier unanimiste, c’est assez inouï. Vraiment, il faut avoir vu ça. Simultanément, c’est le mari et le père : "L’ennui c’est l’angoisse de ceux qui nous aiment. J’ai hâte de savoir ce que font ma femme et mon fils, ce qu’ils ont fait." - "Il n’est torturé que par la pensée de sa femme, il se sent impardonnable pour les soucis qu’il lui donne." C’est le motif qui explique pourquoi les détails concernant son infirmité sont suivis de : "J’ajoute tout de suite : n’ayez aucune inquiétude. J’ai un moral étonnant, une confiance maintenant justifiée expérimentalement quant à la résistance de ma constitution et quant à mon cran." S’il y a quelques allusions à son arrestation, ce n’est que pour suggérer aux destinataires une version à donner le change. Quant au reste, il pourrait répéter la phrase d’un des condamnés de Besançon : "Enfin, vous savez pourquoi et vous savez ce que j’ai fait." Ses proches restent parmi les vivants, et ils ne l’oublieront pas. Voilà, la réalité objective qui détermine spontanément l’orientation intérieure de l’auteur» (M. Borwicz. ibid. pp. 183 à 185).

miliation tout le temps. Un jour viendra un train qui l’em-
portera plus loin vers l’Est et dès lors le condamné n’aura plus d’illusions à se faire. C’est d’autant plus vrai pour Crémieux qu’en plus d’être Français, il est d’origine juive. Ces gens parqués dans des convois et qui ont réussi à obtenir quelque bout de papier et un morceau de crayon lancent leur message comme des bouteilles à la mer. Ainsi, cette lettre trouvée par une femme polonaise sur la chaussée de Grodno qui mène à Ponary où se situe un camp d’extermination (Vilno) :
«Une prière à nos frères et sœurs juifs
Chers Frères et Sœurs,
Nous avons une grande prière à vous adresser.
D’abord, pardonnez-nous si nous vous avons jamais fait du mal. Nous ne savons pas pourquoi une telle punition tombe sur nous. Que l’on nous enlève la vie, ce n’est rien. Nos enfants aussi ont été bestialement torturés. On obligeait (… … …)
Après on déshabillait les mères, on les collait toutes nues contre un mur, on attachait leurs mains très haut et on arrachait les poils de leur corps. On transperçait leurs langues avec des aiguilles et on les souillait ensuite. On barbouillait leurs yeux d’excréments. Aux hommes (… … …)
…Ils nous coupaient les doigts des mains et des pieds. Il nous était défendu de panser les blessures et le sang s’écoulait sans arrêt (…)
…Je jette la lettre en allant à Ponary, afin que des hommes bons la remettent, après le retour à la liberté, à des Juifs. J’écris la lettre en polonais parce que si quelqu’un trouve une lettre en yiddish, il la brûlera; mais une lettre en polonais, quelqu’un de bon et d’honnête la lira et la remettra après à des Juifs.
Nous vous faisons nos adieux, nous faisons nos adieux au monde, en criant : Vengeance!
As et Gurvitch l’écrivent le 26 juin 1944. (Cité in M. Borwicz. ibid. p. 186).
Écoute Tamara […]. Notre mère est allée à Treblinka. (À vrai dire, je n’avais pas fait tout ce qu’il était possible pour la sauver.) Elle serait donc tombée quand même le lendemain, dans une semaine, dans un mois (…). Ce n’est pas cela qui est l’essentiel. Ils emportaient chaque jour des milliers de mères, de pères, de femmes, d’enfants. Pourquoi notre mère aurait-elle fait exception? Elle est donc partie. Et moi - je suis parti pour préparer une contre-action. (Hela dit en sanglotant qu’ils avaient pris notre maman si brusquement, sans bas, sans manteau. Je n’ai pas voulu la "consoler" en lui disant que dans quelques heures tout cela lui serait inutile. Wsio ravno (qui veut dire "Qu’importe") (… …) C’est ainsi qu’a péri notre mère. Voudrais-tu connaître la date de l’anniversaire? Sans importance. Moi-même, je ne me la rappelle pas. (…) Et maintenant - Tema [une autre sœur de l’auteur] c’est une longue histoire. Elle est devenue Wanda Majewska [Nom d’emprunt] (…). Le 11 janvier, elle est allée à Varsovie (…) . Le ghetto était déjà cerné. Elle y pénétra. Le 19 janvier commença la seconde "action". La défense du ghetto. Le bloc de notre Kibboutz dans la rue Zamenhof se défendit deux jours. Il fut détruit par une explosion (…). Toutes les lettres, tous les télégrammes adressés aux amis de Wanda (Tem) restèrent sans réponse. Un silence absolu. Cela voulait dire qu’elle n’était plus. Dans quelques jours (ou semaines) je serai avec elle. Sa mort est celle de nous tous. Est-ce que quelqu’un connaîtra un jour l’histoire de notre lutte héroïque? Saura-t-on comment nous avons vécu sous l’oppression hitlérienne? (…) Nous disparaîtrons tous, sans laisser de traces. Itzhak n’est plus. Zywia et Franka de même. Ainsi qu’aucun des Schomers. (Je crois que ton Rosch Hagdoude ["Jeune Garde"] s’appelait Schmouël - nous avions incendié ensemble une maison dans la rue Leszno - il a été fusillé un mois plus tard.) Oui, le dernier (…).
(…) Attends, attends, ce n’est pas tout. Encore un est parti. S’il était resté, lui au moins Itzhak Kacenelson. Tu en as certainement entendu parler. Son activité d’avant-guerre n’a pas d’importance. Il ne m’intéressait pas à l’époque. Mais le Kacenelson du ghetto de Varsovie, celui qui travaillait et créait avec nous, celui qui maudissait et appelait à la vengeance, est devenu notre frère… Tout ce que nous pensions, sentions, imaginions, il l’écrivait. Il maudissait, prévoyait, haïssait mieux que Bialik. Nous lui fournissions les débris de nos misères, et il les éternisait, les chantait, c’était notre bien commun. Il n’est plus (…). J’ai caché ses vers à Varsovie, Dieu sait si tu les liras un jour (…).
Advienne que pourra.
Et toi, tu ne pleureras pas, n’est-ce pas? Cela n’aide à rien. J’en ai la pratique (…).
Bialystok. Fin du mois de février 1943. Mordechai (Cité in M. Borwicz. ibid. pp. 187-188).En Allemagne, pendant ce temps, un groupe d’étudiants dirigé par un professeur d’économie politique, Kurt

«Les gardiens nous dirent :
"Ils se sont conduits avec un courage extraordinaire. Toute la prison en était bouleversée. Aussi avons-nous pris le risque - si cela s’était su, il nous en aurait coûté, - de les réunir tous trois avant l’exécution. Nous voulions qu’ils puissent encore fumer une cigarette ensemble. Ce ne furent que quelques instants, mais je crois que cela comptait beaucoup pour eux. - Je ne savais pas que ce fût aussi facile de mourir, dit Christl Probst. Et il ajouta : - Dans quelques minutes, nous nous reverrons dans l’éternité.
Alors, on les emmena, d’abord la jeune fille. Elle marcha dans un calme absolu. Nous ne pouvions pas comprendre que cela fût possible. Le bourreau avoua qu’il n’avait encorevu personne mourir ainsi".
Et Hans, avant de poser la tête sur le billot, cria, d’une voix si forte qu’on l’entendit dans toute la prison "Vive la liberté!"
D’abord il sembla que tout fût terminé avec la mort de ces trois victimes. Ils disparurent sans bruit dans la terre du cimetière de Perlach, tandis qu’à l’horizon, un soleil de printemps se couchait.
"Personne n’a de plus grand amour que celui qui donne sa vie pour ses amis", dit l’aumônier de la prison. Il nous serra la main et ajouta, en montrant le soleil couchant : "Il y aura une aurore…"
Bientôt pourtant, d’autres arrestations suivirent. Au cours d’un second procès, la Cour de Justice Populaire prononça un grand nombre de peines d’emprisonnement, et trois condamnations à mort, celles de Willi Graf, du professeur Huber et d’Alexander Schmorell» (I. Scholl. La Rose Blanche, Paris, Éditions de Minuit, Col. Documents, 1955, pp. 112-113)Le professeur Huber profita de son incarcération pour rédiger un ouvrage d’économie. Son dernier écrit traduit une certaine révolte contre la modernité qui a conduit aussi bien au consumérisme qu’à la dictature totalitaire :
«J’ai atteint le but que je me proposais, de lancer cet avertissement, par delà un petit groupe d’intellectuels devant la plus haute instance judiciaire. Je mets ma vie en jeu sur cette déclaration, sur cette demande pressante d’un retour à la morale. J’exige que laliberté soit rendue à notre peuple. Nous ne voulons pas entraver notre vie dans les chaînes de l’esclavage, même celles, dorées, d’une surabondance matérielle.
Vous m’avez déchu du rang et des privilèges de professeur, vous m’avez comparé au plus bas criminel. Aucun procès en haute trahison ne peut m’enlever ma dignité intérieure de professeur d’École Supérieure, d’homme qui dit clairement, sans faiblesse, sa conception du monde et de la vie politique. Ce que j’ai fait, ce que j’ai voulu, le cours de l’histoire le justifiera; j’en suis absolument certain. J’espère, par Dieu, que les forces spirituelles qui me rendront justice, pourront naître à temps de l’Allemagne. J’ai agi comme ma conscience me commandait de le faire. J’en accepte toutes les conséquences, selon ce que dit Gottlieb Fichte :
Et tu dois te conduireL’abolition de la peine de mort est devenue une nécessité après les années de gouvernements totalitaires
comme si de toi et de ton acte seul
dépendait le destin de ton peuple,
et que toute responsabilité te soit impartie (Cité in I. Scholl. ibid. pp. 116-117).

De sang-froid raconte le meurtre sordide d’une famille au Kansas, en 1959. Le père, Herbert Clutter, un fermier, sa femme et deux de leurs quatre enfants sont abattus sans motifs apparents par deux voyous, Richard "Dick" Hickock et Perry Smith. L'affaire aurait eu pour origine un compagnon de cellule de

quent la peine de mort aux États-Unis, le délai entre le prononcé de la sentence et sa mise à exécution dure généralement 7 ans. Sept années au cours desquels peuvent se révéler des pièces nouvelles qui forceraient à rouvrir le dossier ou à la justice divine de faire son œuvre. Dans le cas des deux accusés, une nouvelle espérance s’est manifestée à travers deux avocats exceptionnellement habiles de Kansas City, Joseph P. Jenkins et Robert Bingham. «Désignés par un juge fédéral et travaillant bénévolement (mais poussés par la conviction très ferme que les accusés avaient été victimes d’un "inéquitable procès de cauchemar"), Jenkins et Bingham introduisirent de nombreuses procédures d’appel dans le cadre du système des Cours fédérales, évitant de la sorte trois dates d’exécution : le 25 octobre 1962, le 8 août 1963 et le 18 février 1965. Les avocats soutenaient que leurs clients avaient été condamnés injustement parce qu’on ne leur avait désigné un défenseur qu’après qu’ils eurent avoué et renoncé à une audience préliminaire; parce qu’ils n’avaient pas été convenablement représentés à leur procès et qu’ils avaient été condamnés sur le vu de pièces à conviction saisies sans mandat de perquisition (le fusil et le couteau

Malgré les siècles, malgré les avancées de la civilité, les exécutions par pendaison restaient toujours parmi les plus angoissantes, tout comme au temps de Villon. Si le concept de «doutes raisonnables» avait prévalu à l’époque, il est probable que les deux accusés auraient bénéficié de meilleures chances de survie. Le procès avait été bâclé et les preuves insuffisantes. Encore aujourd’hui, des chercheurs tentent de montrer qu’ils n’étaient pas coupables du double meurtre. Mais pour la Justice qui s’effaçait devant l’esprit de vengeance au milieu des années 60, Hickock et Smith étaient les vrais coupables. Alvin Dewey, qui avait été les chercher à Las Vegas où ils avaient été arrêté, a été témoin de leur mort :
«Dewey les avait regardés mourir, car il avait été parmi les quelque vingt témoins invités à la cérémonie. Il n’avait jamais assisté à une exécution et, lorsqu’il pénétra dans l’entrepôt glacial, après minuit, le décor le surprit : il s’était attendu à un cadre d’une dignité appropriée, pas à cette caverne tristement illuminée et encombrée de bois decharpente et d’autres débris. Mais l’échafaud en soi, avec ses deux cordes pâles attachées à une traverse, était assez imposant; et, de façon inattendue, il en était de même du bourreau qui projetait une ombre immense de son perchoir sur la plate-forme en haut des treize marches de bois. L’exécuteur des hautes œuvres, gentleman anonyme à la peau tannée comme du cuir et que l’on avait fait venir du Missouri pour l'événement qui lui rapportait six cents dollars, était attifé d’un vieux complet à rayures et à veste croisée, trop ample pour l’étroite silhouette qu’il renfermait : le veston lui tombait presque sur les genoux : et il avait sur la tête un chapeau de cow-boy qui avait peut-être été d’un vert éclatant à l’époque de son achat, mais qui était maintenant une excentricité tachée de sueur et usée.
Dewey fut également déconcerté par la conversation factice et désinvolte des autres témoins qui attendaient le début de ce que l’un d’entre eux appela les "festivités".
"J’ai entendu dire qu’ils voulaient les laisser tirer à la courte paille pour savoir qui allait y passer le premier. Ou jouer à pile ou face. Mais Smith a dit pourquoi pas par ordre alphabétique. J’imagine que c’est parce que S vient après H. Ah!"
"T’as lu dans le journal de cet après-midi ce qu’ils ont commandé pour leur dernier repas? Ils ont commandé le même menu. Crevettes. Frites. Pain à l’ail. Glaces, fraises et crème fouettée. Paraît que Smith a à peine touché au sien".
"Ce Hickock a un sens de l’humour. On me racontait qu’il y a une heure, un des gardiens lui a dit : ’Ça doit être la nuit la plus longue de votre vie’. Et Hickock a ri; il a répondu : ’Non, La plus courte’."
"T’as entendu parler des yeux de Hickock? Il les a laissés à un oculiste. Aussitôt qu’ils vont les détacher, ce médecin va lui arracher les yeux et les planter dans la tête d’un autre type. J’peux pas dire que j’voudrais être ce type-là. Je me sentirais tout drôle avec ces yeux-là dans la tête".
"Nom de Dieu. Dis-moi pas qu’il pleut. Toutes les glaces grandes ouvertes! Ma nouvelle Chevrolet. Nom de Dieu!"
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S cène du film de Richard Brooks. In Cold Blood, 1967 |
La pluie subite vint frapper le toit élevé de l’entrepôt. Le bruit qui évoquait assez bien le rataplan des tambours d’un défilé annonça l’arrivée de Hickock. Accompagné de six gardiens et d’un aumônier qui murmurait des prières, il pénétra sur les lieux de sa mort, menottes aux mains et portant un hideux harnais de courroies de cuir qui lui fixaient les bras au torse. Au pied de l’échafaud, le directeur lui donna lecture de l’ordre officiel d’exécution, un document de deux pages; et tandis que le directeur lisait, les yeux de Hickock, affaiblis par cinq ans de ténèbres cellulaires, parcoururent la petite assemblée jusqu’au moment où, ne voyant pas ce qu’il cherchait, il demanda au gardien le plus proche, à voix basse, si un des membres de la famille Clutter était présent. Recevant une réponse négative, le prisonnier sembla déçu, comme s’il pensait que le protocole entourant ce rituel de vengeance n’était pas observé comme il faut.
Comme à l’accoutumée, après avoir fini sa lecture, le directeur demanda au condamné s’il avait une dernière déclaration à faire. Hickock fit un signe de tête. "Je veux simplement dire que je ne tiens rancune à personne. Vous m’envoyez dans un monde meilleur que celui-ci ne l’a jamais été": puis, comme pour accentuer ce qu’il venait de dire, il échangea une poignée de main avec les quatre hommes principalement responsables de sa capture et de sa condamnation et qui avaient tous demandé la permission d’assister aux exécutions : les agents du K.B.I. Roy Church, Clarence Duntz, Harold Nye et Dewey en personne. "Heureux de vous voir", dit Hickock avec son sourire le plus séduisant : c’était comme s’il accueillait des invités à ses propres funérailles.
Le bourreau toussa - il souleva son chapeau de cow-boy d’un air impatient et le remit en place, geste évoquant un urubu qui se gonfle et qui lisse ensuite les plumes de son cou -et Hickock, poussé par un gardien, gravit les marches de l’échafaud. "Le Seigneur a donné, le Seigneur reprend. Loué soit le nom du Seigneur", entonna l’aumônier, tandis que la pluie se mettait à tomber de plus belle, que la corde était ajustée et qu’un léger bandeau noir était placé devant les yeux du prisonnier. "Puisse le Seigneur avoir pitié de ton âme". La trappe s’ouvrit et Hickock balança au bout de la corde devant tout le monde pendant une bonne vingtaine de minutes avant que le médecin de la prison ne dise enfin : "Je déclare cet homme mort". Un corbillard dont les phares étincelants étaient perlés de gouttes de pluie s’avança dans l’entrepôt; placé sur une civière et caché sous une couverture, le corps fut porté jusqu’au corbillard et emporté dans la nuit…» (T. Capote. ibid. pp. 497-500).

sexuels, entraînés dans la vie marginale qui les avait conduits un jour à la ferme isolée des Clutter. Le caractère de Perry Smith était tout différent de celui d'Hickock. Cela se vit lorsque vint le tour pour lui de se balancer au bout de la corde :
«Comme on le faisait entrer dans l’entrepôt, Smith reconnut son vieil ennemi, Dewey; il cessa de mâcher un bout de chewing-gum Doublemint qu’il avait dans la bouche, il fit un sourire et un clin d’œil à l’intention de Dewey, désinvolte et malicieux. Mais, après que le directeur de la prisonlui eut demandé s’il avait quelque chose à dire, son expression devint sérieuse. Ses yeux sensibles contemplèrent gravement les visages qui l’entouraient, dévièrent dans la direction du bourreau baigné d’ombre, puis retombèrent sur ses propres mains entravées de menottes. Il regarda ses doigts qui étaient tachés d’encre et de peinture car il avait passé ses trois dernières années dans l’Allée de la Mort à peindre des autoportraits et des visages d’enfants, généralement les enfants des prisonniers qui lui apportaient des photographies d’une progéniture rarement entrevue. "Je pense, dit-il, que c’est une chose épouvantable de mettre quelqu’un à mort de cette façon. Je ne crois pas à la peine capitale, ni moralement, ni légalement. J’avais peut-être quelque chose à apporter, quelque chose…" Il perdit son assurance; la timidité troubla sa voix qui devint presque inaudible. "Ce n’aurait pas de sens de m’excuser pour ce que j’ai fait. Ce serait même déplacé. Mais je le fais. Je m’excuse".
Manches, corde, bandeau; mais, avant que le bandeau ne soit ajusté, le prisonnier cracha son chewing-gum dans la paume de la main tendue de l’aumônier. Dewey ferma les yeux. Il les tint fermés jusqu’à ce qu’il entende le bruit sourd qui annonce un cou brisé par une corde. Comme la plupart des officiers de police américains, Dewey est certain que la peine capitale exerce son effet préventif sur les crimes violents, et il avait le sentiment que si jamais ce châtiment avait été mérité, c’était bien dans le cas présent. L’exécution précédente ne l’avait pas troublé, il n’avait jamais pensé grand bien de Hickock qui lui semblait "un petit escroc sans envergure qui était allé trop loin, un type vide et sans valeur". Mais, bien qu’il fût le vrai meurtrier, Smith provoquait une autre réaction, car il possédait une qualité que le détective ne pouvait négliger, l’aura d’un animal exilé, une créature qui se traînait avec ses blessures. Dewey se souvint de la première fois qu’il avait rencontré Perry dans la salle d’interrogatoire du quartier général de la police de Las Vegas : l’homme-enfant, le nabot assis sur la chaise métallique, ses petits pieds chaussés de bottes n’arrivant pas jusqu’au plancher. Et lorsque Dewey rouvrit les yeux à présent, c’est ce qu’il vit : les mêmes pieds d’enfant qui pendaient et se balançaient» (T. Capote. ibid. pp. 501-502).La peine capitale a été abolie au Canada en 1976. L’une des dernières exécutions a avoir eu lieu fut celle d’un prospecteur de mines québécois Wilbert Coffin (1915-1956). L'affaire commença le 6 juin 1953 lorsque

cains, Eugene Lindsay un petit usurier de 45 ans, son fils Richard (17 ans) et un ami de celui-ci, Frederick Claar (19 ans) - un colosse - quittent Hollydayburg, en Pennsylvanie, pour se rendre à la chasse à l'ours en Gaspésie. Leur camionnette Ford est remplie de tout un équipement de camping complet, de carabines et de provisions. Lindsay, qui a en poche la somme de $ 650, parcourt la distance en une seule traite. En cours de route, plusieurs péripéties les ralentissement. La camionnette s'embourbe dans un ruisseau dont les eaux gonflés ont emporté le ponceau; remis sur la route avec l'aide d'un garagiste, ils aboutissent à Gaspé où ils s'engagent sur une route déserte quand ils s'arrêtent près du camp 21.
Au même moment, Wilbert Coffin quittait Gaspé à son tour. Coffin est un vétéran de la Seconde Guerre mondiale, un ancien prospecteur de la Gaspé Copper Mines, à Murdochville, devenu prospecteur dans

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tifiera le squelette, couvert ça et là de chair pourrie comme étant les restes d'Eugene Lindsay. Trois milles plus loin, près du camp 24, deux autres squelettes gisent à quelques pas l'un de l'autre, dans le même état que celui d'Eugene Lindsay, sauf que le crâne est resté attaché au dos. Le tout est méconnaissable : ce sont les vêtements, un soulier, de menus objets qui permettront l'identification de Richard Lindsay et de Frederick Claar. Les trois cadavres ont, de toute évidence, servi de pâture aux ours qui abondent dans les montagnes avoisinantes» (D. Dansereau. Causes célèbres du Québec, Montréal, Léméac, 1974, p. 185). Plus qu'un triple meurtre crapuleux, l'affaire semble recouvert d'un voile de mystères.
L'état dans lequel ont été retrouvé les restes permettent peu aux médecins légistes de définir la cause de la mort. Cependant, des résidus de poudre sur les vêtements permettent de penser qu'ils ont été victimes de balles. La mort remonterait au 17 juin, et le vol serait le motif du crime. «C'est peu de jours après la

Coffin n'était pas encore arrêté que des pressions s'exerçaient sur le gouvernement du Québec. La Pennsylvania Federation of Sportsmen's Clubs (200 000 membres) exigent que la Gendarmerie Royale du


rience. Face à eux, le solliciteur général désigne deux procureurs de la Couronne, Me Noël Dorion et Me Paul Miquelon, assistés de Me Georges-Étienne Blanchard procureur de la Couronne de Chandler. Pour le journaliste Jacques Hébert, ils seront complices des policiers dans le camouflage des preuves. Pendant ce temps, les preuves s'accumulent. On trouve chez la compagne de Coffin des articles que les proches des victimes identifient comme appartenant aux leurs. Les deux Américains désignés par Coffin sont retracés, mais qui affirment être partis de Gaspésie le 5 juin. Ce n'est donc pas leur jeep que Coffin prétend avoir vu.
À l'enquête bâclée va suivre un procès orienté. Il faut condamner Coffin. Une première enquête du coroner avait pourtant innocenté Coffin, mais l'acquittement est refusé par Dorion. La mise en accusation officielle


sis, qui veut en finir le plus vite, vitupère que l'affaire est de champ strictement provincial, ce en quoi la Cour Suprême le déboute, mais refuse à Coffin un nouveau procès. Malgré de nouvelles preuves permettant d'innocenter Coffin, le solliciteur général du Canada refuse un nouveau procès de même que la commutation de la peine de mort en sentence à vie. Afin d'ajouter l'insulte à l'outrage, Duplessis refuse que Coffin épouse Marion Petrie afin de légitimer le fils qu'ils ont eu ensemble.

«Quiconque pourra prendre connaissance sans frémir de cette conversation que nous avons eue avec le Dr Roméo Plouffe, médecin de la prison de Bordeaux, méritera de vivre en paix au milieu des barbares que nous sommes.
Voici, sans littérature, tout cru, le macabre dialogue :
- Selon vous, docteur, Wilbert Coffin était-il coupable du triple-meurtre dont on l'a accusé?
- Oui, je crois, puisqu'il a été jugé par nos tribunaux.
- Vous l'avez visité plusieurs fois, dans sa cellule, avant l'exécution. Protestait-il de son innocence?
- Je ne m'intéresse pas aux affaires des condamnés. Ce n'est pas mon domaine. Et puis, ils nous demanderaient de voir leur avocat, d'intervenir en leur faveur…
- Que se passe-t-il immédiatement avant l’exécution?
- D’abord, dès le matin, le condamné doit revêtir son meilleur complet avec lequel il sera pendu. Dans la journée, on prépare l’échafaud, on huile la trappe. Et puis on prépare le condamné pour la pendaison qui a lieu à minuit et demi.
- Y avait-il plusieurs témoins lors de l’exécution de Coffin?
- Une quinzaine environ. Il m’est arrivé d’emmener des collègues assister à une pendaison. Aucun n’a voulu revenir deux fois.
- Même pour un médecin, c’est trop affreux à voir?
- C’est ça.
- Vous vous êtes habitué?
- On s’habitue à tout. Mais j’avoue que c’est terrible.
- Coffin était-il calme au moment de monter sur l’échafaud?
- Oui, je crois. Mais je n’ai pas vu son visage au dernier moment parce que le bourreau lui a placé une cagoule noire sur la tête, comme c’est l’habitude.
- Est-il mort instantanément?
- Dans la moyenne : l’agonie a duré entre douze et quinze minutes.
- Croyez-vous qu’il a souffert?
- Je ne crois pas. D’ailleurs, quand le bourreau passe la corde autour du cou d’un condamné, il serre le nœud coulant et l’homme perd souvent connaissance. On peut voir plier ses jambes.
- Que se passe-t-il ensuite?
- La trappe s’ouvre et l’homme fait une chute de cinq pieds. On procède ensuite à l’enquête du coroner. Nous sommes six médecins pour décider si le pendu est mort par strangulation ou par fracture de la colonne vertébrale.
- Êtes-vous en faveur de la peine capitale?
- Oui. Car l’expiation doit être proportionnée au crime.
- Mais selon vous, une pendaison est une chose affreuse?
- C’est terrible. Ce qu’il y a de plus terrible, c’est moins la pendaison elle-même que le spectacle d’un homme débordant de santé, qui assiste calmement à la messe et qui, quelques minutes plus tard, sera mort.
L’aumônier protestant de Bordeaux, le Révérend Sam Pollard, un des plus fidèles amis de Coffin, avait dit la messe selon le rite anglican quelques minutes avant l’exécution du prospecteur gaspésien.
D’une voix calme, Coffin avait répondu à la prière des agonisants. Dans la soirée, cet agonisant de 41 ans, en parfaite santé, avait écrit une lettre à sa famille et rédigé son testament dans lequel il léguait ses concessions minières à son fils James.
L’office terminé, Coffin embrassa le livre de prières que lui présentait le Révérend Pollard et annonça d’une voix lente ces dernières paroles : "I am not guilty and may God have mercy on my soul".
Il se rendit ensuite à l’échafaud et mourut.
Le meurtre de trois chasseurs américains assassinés dans la brousse gaspésienne deux ans et demi plus tôt était vengé.
L’affaire Coffin, qui avait défrayé la chronique pendant toutes ces années, était bien finie. Du moins, c’est ce que croyaient ceux qui, sans doute à leur insu, venaient d’assassiner légalement un innocent» (J. Hébert. Coffin était innocent, Montréal, Éditions de l’Homme, 1958, pp. 15-17).Hébert s’est interrogé sur ce sourire énigmatique de Coffin sur le gibet : «Nous n’aurons pas le ridicule de féliciter Coffin de son "courage", de son "héroïsme devant la mort" comme le font immanquablement les journalistes, pour donner, dirait-on, meilleure conscience au peuple qui, dans le tréfonds de son âme, éprouve de l’écœurement chaque fois qu’on pend un homme en son nom. Le sourire de Coffin cachait peut-être la peur instinctive, animale, de l’être vivant qui sait la mort proche. Loin de le diminuer à nos yeux, cette peur n’aurait pu que nous le rendre plus fraternel» (J. Hébert. ibid. pp. 14-15). Mais pour lui, une chose est certaine, c’est que les Québécois des deux langues officielles ne croyaient pas en la culpabilité de Coffin :
«Peu après [l’exécution], on transportait le corps du prospecteur au petit village de York Center, près de Gaspé, où il habitait. Là, plus de cinq cents personnes s’étaient réunies pour assister au service religieux et accompagner la dépouille de Wilbert Coffin jusqu’au cimetière. Le Révérend Harold Church, ministre anglican de l’église d’York, prit la responsabilité de faire enterrer le pendu en terre consacrée. Parce qu’il le croyait innocent. Avant de jeter la poignée de terre traditionnelle, le Révérend Church eut brusquement l’idée de répéter à haute voix les derniers mots de Coffin : "I am not guilty, and may God have mercy on my soul".
Cette petite phrase, lancée au milieu de la désolation d’un jour d’hiver dans un coin perdu de la Gaspésie, devait ensuite se répercuter, lancinante comme un remords, à travers le Canada tout entier.
Les cinq cents mornes Gaspésiens qui revenaient du cimetière ne se demandaient pas si le prospecteur de York Center était innocent : ils en étaient sûrs. Ils connaissaient bien Wilbert Coffin et ses parents, M. et Mme Albert Coffin, descendants d’une vieille famille de loyalistes anglais. Ils aimaient tous Wilbert Coffin, le Roger Bontemps au cœur généreux, toujours prêt à donner sa chemise à plus pauvre que lui. Ils le savaient incapable de faire mal à une mouche. Ils connaissaient sa femme, Marion Petrie, et son jeune fils James.
Mais ils se sentaient impuissants, presque menacés eux-mêmes par cette tyrannie étrangère : la Justice du Québec (J. Hébert. J’accuse les assassins de Coffin, Montréal, Éditions de l’homme, # C13, 1963, pp. 16-17).

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Pierre-Paul Prud'hon. La Justice et la Vengeance divine poursuivant le crime |
tament de Coffin est sans doute plus prosaï-
que que celui versifié dans l’Épita-
phe de François Villon, mais nous n’avons pas de difficulté à mesurer tout ce qui rapproche le destin des pendus du poète du sort rencontré par Hickock, Smith et Coffin. Cela suffit pour montrer que la vengeance reste une réaction affective et peut bafouer la justice qui vise à identifier, sans aucun doute raisonnable, le coupable de la commission d’un crime, si honteux, si scabreux soit-il. Il faut apprendre à distinguer le fait que la vengeance appartient à la fiction, à l’instinct, au fantasme, alors que la Justice appartient à la vérité, à la raison, à l’enquête positive. L’injustice n’apparaît que lorsque l’une entrave l’autre; lorsque la justice se fait vengeance ou que la vengeance se fait justice, ce qui finit par aboutir au même⌛
Il me semble avoir lu il y a quelques années le témoignage d'une femme qui disait que son père était l'assassin des 3 américains. Duplessis a été sans comissération; un vrai barbare de province.
RépondreSupprimerDaniel
C'est sans doute de Philippe Cabot, décédé en 1998, dont tu parles. En novembre 2006 son nom est sorti comme possible meurtrier des trois Américains. Des membres de sa famille ont même reconnu le fait, mais comme il était déjà mort, c'est devenu impossible de le réinterroger.
RépondreSupprimerMerci Daniel de continuer de suivre mes chroniques.