Au milieu de la course de notre vie, je perdis le véritable chemin, et je m'égarai dans une forêt obscure: ah! il serait trop pénible de dire combien cette forêt, dont le souvenir renouvelle ma crainte, était âpre, touffue et sauvage. Ses horreurs ne sont pas moins amères que les atteintes de la mort. Pour expliquer l'appui secourable que j'y rencontrai, je dirai quel autre spectacle s'offrit à mes yeux. Je ne puis pas bien retracer comment j'entrai dans cette forêt, tant j'étais accablé de terreur, quand j'abandonnai la bonne voie. Mais à peine fus-je arrivé au pied d'une colline où se terminait la vallée qui m'avait fait ressentir un effroi si cruel, que je levai les yeux et que je vis le sommet de cette colline revêtu des rayons de l'astre qui est un guide sûr dans tous les voyages. Alors s'affaiblit la crainte qui m'avait glacé le cœur pendant la nuit où j'étais si digne de pitié.

DANTE

LA DIVINE COMÉDIE

lundi 22 octobre 2012

Tu es ma star d'un soir

Marlene Dietrich
TU ES MA STAR D’UN SOIR

L’un des châtiments les plus abjects, les plus honteux que l’on retrouve dans l’Enfer de la Divine comédie, est celui adressé aux flatteurs. «Nous avions traversé le premier pont, et nous approchions de celui de la seconde enceinte, lorsque nous vîmes ceux qui y étaient nichés, atteints de nausées violentes, et se frappant cruellement de leurs propres mains. Une vapeur épaisse, qui s’élevait de cette vallée, repoussait à la fois la vue et l’odorat. Ce lieu est si profond, qu’on en aperçoit que les parois, même en se plaçant au milieu du pont qui les domine : j’y vis une foule innombrable d’ombres plongées dans un fumier qui me parut le privé de l’univers…» Bref, Virgile et son disciple se retrouvent dans le cabinet d’aisance du monde. Ici, les damnés sont immergés dans l’excrément. Ils sont im-mondes à voir et encore plus à sentir! Alors que les autres damnés suppliciés en fonction de leurs fautes commises sur terre peuvent bénéficier de l’empathie miséricordieuse du poète, ici, il lui est difficile d’éprouver un tel sentiment pour les pécheurs condamnés.

Mais continuons le chant : «Je cherchai des yeux quelque coupable qui me fut connu; j’en remarquai un si chargé d’immondices, qu’on ne pouvait distinguer s’il était laïque ou clerc. Il me cria : “Pourquoi es-tu si avide de me voir, plutôt que ces autres si vilainement souillés? - Pourquoi, lui répondis-je : c’est que je t’ai vu sur la terre avec une chevelure parfumée. Tu es Alexis Interminelli de Lucques : aussi je te poursuis de l’œil plus que les autres”. Il repartit en se frappant la tête : “Les flatteries qui, là-haut, ont empoisonné ma bouche, m’ont plongé dans ce séjour immonde”». Voici donc un autre règlement de comptes accompli par le poète. Dante est un poète à la dent longue! Entre les damnés Interminelli est celui dont le visage est le plus sale; si sale que Dante ne réussit pas à déterminer s'il s’adresse à un clerc ou à un laïque. «Alexis Interminelli». Dante l’identifie, Dante le nomme. Aucun doute ne doit subsister dans la tête du lecteur. Le damné avoue que s'il se trouve là, c’est bien à cause de toutes les flatteries que sa bouche a proféré durant son existence. Le terme italien «stuccò» signifiant qu’elle ne fut jamais fatiguée de flatter. Mais Interminelli, et la chose est à noter, parle de sa bouche comme si elle lui était étrangère, un peu comme Léonard parlait du pénis, organe qui n’obéit pas à l’ordre de son maître de se dresser ou de se rétrécir alors qu’il s’érige librement tandis que son maître dort. C’est comme si, pour Interminelli, la bouche - comme le pénis chez Léonard - avait son propre esprit lié à l’imagination du causeur.

Mais Dante refuse cette ultime excuse. Afin de préciser les causes de cette damnation épouvantable, Virgile invite Dante à regarder plus loin, «la figure de cette femme échevelée qui se déchire de ses mains fétides, qui tantôt s’accroupit, et tantôt se relève : c’est la courtisane Thaïs, qui, lorsque son amant lui dit : “Ai-je de grands mérites auprès de toi?” répondit : “Oui, tu es merveilleusement digne de mes bonnes ‘grâces’. Retirons-nous maintenant, nous avons assez rassasié nos regards”». Il s’agit ici de l’hétaïre athénienne qui séduisit Alexandre le Grand et lui aurait mis dans les mains la torche appelée à incendier Persépolis. Dans cet immense bol fécal, surnagent péniblement les flatteurs mais aussi les courtisanes qui vivent des flatteries des puissants et des groupies. La vanité est rétribuée par l’inverse des compliments et des flagorneries, par la réduction à la merde et aux éclaboussures qui tiennent lieux de compliments. Voilà pourquoi, abaissés jusqu’à l’état de leurs déjections, les damnés de Dante, ici, n’inspirent que pitié sans compassion.

Au début des civilisations, seuls les dieux et leurs représentants terrestres, les rois, les empereurs, les princes, pouvaient exiger de tous l’adoration et l’adulation. Les sociétés se sécularisant, les courtisans pouvaient toujours user de la flatterie, à l’exemple du Tartuffe, mais les puissants de ce monde se laissaient rarement flatter par le plébéien méprisé. Il y avait comme une autoroute de la grâce qui faisait que seuls avaient droit de l’emprunter ceux qui approchaient des pouvoirs spirituels et temporels. Puis, avec la démocratie, la flatterie se répandit tant chaque citoyen-roi se voyait courtisé par les partis, les politiciens, les commerçants, les vedettes. Évidemment, les flatteries ne sont pas gratuites. Jadis, l’évergétisme des puissants répandait le pain et les jeux pour satisfaire une plèbe désœuvrée et pleine de ressentiments. Les papes et les évêques pouvaient, en échange, assurer un paradis éternel aux dévots qui en donnaient plus qu’on en demandait. Des pièces d’or aux Indulgences plénières, le rapport symbolique de la séduction et de la flatterie s’est développée. Les dieux sont tombés sur la terre et du théâtre au cinéma, un véritable mont Olympe de vedettes s’est constitué, regroupant tout ce que la société du spectacle capitaliste se nourrit : le rêve dramaturgique, le sport compétitif, le jet-set des «gens riches et célèbres», les célébrités de l’heure qui vendent chansons, musiques, films, séries-télé, bouquins et autre produits de consommation culturelle. Le star system est devenu une société parallèle à celle de la production économique. Une société productrice de biens symboliques facilement insérés dans le processus de production économique, mais agissant à un niveau autre que la satisfaction des besoins matériels de la vie; celui de la plus-value fantasmatique qui fait prendre souvent une atrophie psychologique pour une nécessité spirituelle.

Il faut chercher l’origine du culte de la vedette, de la star, dans l’histoire des saints. Ceux-ci furent des vedettes avant le temps. D’abord parce qu’ils étaient des élus populaires. Il sort des saints de tous les milieux sociaux. Des rois sont considérés saints. Des reines aussi. Des gens issus des milieux aisés de toutes les époques y ont leurs représentants, bien sûr. Mais la quantité de saints sortis des milieux populaires est encore plus élevée. Cela devient, avec le temps, un critère quasi déterminant. Être reconnu par le démos avant de l’être par les autorités chrétiennes qui, avec leurs tortueux parce que bénéfiques procès de béatification et de canonisation, ont trouvé là un lucratif moyen de pression auprès des fidèles pour entretenir une curie toujours désargentée, est une fraude dénoncée depuis Luther. Pour le simple mortel du Moyen Âge, par exemple, n’importe quel être vivant pouvait devenir un saint. Dans une brillante étude érudite, Jean-Claude Schmitt remonte le parcours du culte de saint Guinefort, guérisseur d’enfants depuis le XIIIe siècle jusqu’à l’origine de la légende : un enfant sauvé des eaux par un lévrier, Guinefort, que son maître aurait injustement tué (Paris, Flammarion, Col. Bibliothèque d’ethnologie historique, 1979). Puisque tout acte bon procède par la voie du Seigneur, pourquoi pas un chien aussi bien qu’un humain? Mais la métempsychose s’imposait, et l’imagerie populaire finit par substituer un individu au lévrier originel. Aujourd’hui, dans le star system, rien ne s’est opposé à ce que Benji, Rintintin, Milou ou tout autre canidé du genre puisse devenir une vedette adulée. N’écrivait-on pas des quantités impressionnantes de lettres hebdomadaires à «Morris le difficile», un chat emblématique d’une nourriture pour chats?

Mais attention. Guinefort n’est pas un lévrier comme les autres. C’est un «saint» lévrier. Cela veut dire, selon ce qu’écrit Aviad Kleinberg, la première caractéristique qui définit le saint : la séparation, la singularité du monde. «Sanctus désigne quelque chose qui a été retiré du commun, qui a été sanctifié et auquel il est interdit de porter atteinte» (A. Kleinberg. Histoires de saints, Paris, Gallimard, Col. Bibliothèque des histoires, 2005, p. 14). La star de cinéma ou de sport, également, est unique, singulière, tirée hors de la communauté des hommes. Elle est hors-série, par son métier, son destin, par la mythologie que les journaux à potins et les différents sous-produits de la réclame entretiennent à son sujet. À la fin des années cinquante, Edgar Morin estimait à «cinq cents correspondants… fixés à Hollywood pour alimenter le monde en informations et potins concernant les stars» (E. Morin. Les Stars, Paris, Seuil, Col. Le temps qui court, # 5, 1957, p. 4). Comme il y a une hagiographie des saints, il se forme une liturgie jaune de la vie des vedettes, et la vie des vedettes est à peu près aussi légendaire et fantasmatique que la vie des saints. Les Échos vedettes de ce monde sont les Légendes dorées de notre temps hypermédiatisé.

Un autre caractère du saint, c’est son charisme. C’est par lui que la singularité du saint se manifeste. «Le charisme, définit Kleinberg, est une qualité ou une énergie attribuée à certaines personnes par d’autres. Sans public il n’y a pas de charisme, et tout public n’est pas sensible au même charisme. Des personnes qui ont une influence étonnante sur un groupe donné seront la risée des membres d’un autre groupe. Autrement dit, le charisme est dialogue. Celui à qui on l’attribue fait quelque chose à quoi le groupe répond avec force; mais sans groupe qui y réponde, qui le cultive et le nourrisse, il ne saurait y avoir ce système de relations que nous appelons charisme» (op. cit. p. 17). Des saints connus du XXe siècle, qui ont profité à la fois du charisme auprès des populations et de l’amplification médiatique : le Frère André au Québec, mère Teresa de Calcutta en Inde, pour prendre ceux qui me viennent à l’esprit, partageaient ce don charismatique. Les fidèles voyaient en eux des thaumaturges en un siècle où le corps et la santé ont pris tant d’importance. Ils apparaissaient, aux yeux de leurs adulateurs, comme des assurances-santé parallèles, alternatives à la médecine scientifique. Si le Frère André a été longtemps boudé par les autorités ecclésiastiques parce qu’il provenait d’un humble milieu, mère Teresa est devenue vite, avec le support des média et du pape Jean-Paul II, une leader charismatique «autorisée», car ne devient pas saint qui veut. Ce n’est pas tant l’utilité auprès des siens qui hissera un portier de collège sur les autels que l’acceptation par l’institution (moyennant de fortes rétributions financières de la part des sponsors, des commanditaires de la canonisation), de l’orthodoxie dogmatique du candidat. Les vedettes d'aujourd'hui aussi ont des agents qui négocient les contrats à leur place, qui les fait engager par des équipes sportives, des producteurs de cinéma ou de télévision, des éditeurs ou des compagnies de disques. Il faut que la vedette arrive presque avec son public déjà trouvé. Plus que le talent personnel de la star, il y a sa symbiose avec son public indispensable pour l'insérer dans le marché du vedettariat. Comme le note encore Edgar Morin : «L’étape décisive est proche où la personne de l’interprète jaillira du personnage, comme d’une chrysalide; il faudra aussi que le personnage se diversifie, que le héros unique des séries fasse place à de multiples héros, différents quoique semblables, selon les films. Alors le nom de l’interprète deviendra aussi fort et même plus fort que celui du personnage, et s’opèrera enfin cette dialectique de l’acteur et du rôle où s’épanouira la star. Les films, en effet, se métamorphosent sous la pression d’une force de plus en plus insistante : le rôle de l’amour s’élargit et s’épanouit dans un film. Le visage féminin monte au zénith de l’écran» (op. cit. p. 8). Ainsi le modus operandi du star system reprend-t-il essentiellement à son compte celui de la canonisation catholique.

Mais le saint est toujours un hérétique en puissance. Le cas de Jeanne d’Arc, nonobstant sa canonisation «nationale», en est un exemple. Tandis que beaucoup de saints sont marqués par le sceau du martyre pour avoir prêché ou prophétisé sous «la risée des membres d’un autre groupe», Jeanne d’Arc, pour avoir été canonisée par l’Église en 1920 (un coup politique pour réouvrir les relations diplomatiques de Rome avec la France), n’est pas considérée comme martyre puisqu’elle a été condamnée et exécutée par des catholiques! Il faut donc que les autorités ecclésiastiques reconnaissent à travers la voix et les gestes du saint, l’expression même de la Parole de Dieu. Jeanne d’Arc n’a été qu’une hérétique, une sorcière, une travestis tant que les officiels de l’Église l’ont condamnée au bûcher …pour des raisons essentiellement politiques. De même, encore pour des raisons essentiellement politiques, Benoît XV écartera les minutes du procès pour reconnaître que la voix de Dieu s’exprimait bien par la bouche de Jeanne. Dans le star system, jusqu’à l’apparition du cinéma, ce sont les princes qui, telle la reine Victoria, pouvait faire de son attachement à la chanteuse canadienne Albany, une véritable star internationale, tandis qu’une Sarah Bernhardt se voyait pressée par les mondains de Paris. Aujourd’hui, le cinéma en tant que médium populaire, suivi avec plus de visibilité par la télévision, définissent qui sont les vedettes à aduler.

Car là se dresse la barrière qui écarte le vedettariat de la canonisation. Alexis Interminelli, Thaïs, ne sont pas des «saints», mais seulement des flatteurs, des adulés. Ensemble, ils ont participé à la relation charismatique de l’adulé et de son flatteur; leur singularité les a fait remarquer par Dante et par Virgile; l’un a été flatteur à Lucques l’autre adulée à Athènes; enfin, au lieu d’être portés au Paradis, les voici plongés au plus profond des enfers, dans le bol fécal. Car si la sainteté représente le bien qui peut être fait sur terre, le star system vit des vices et des perversions fantasmatiques. Edgar Morin, encore : «S’ouvre alors, de 1920 à 1931-32, l’ère glorieuse. Quelques grands archétypes polarisent l’écran. La vierge innocente ou mutine, aux immenses yeux crédules, aux lèvres entrouvertes ou gentiment moqueuses (Mary Pickford, Lilian Gish aux États-Unis, Suzanne Grandais en France). La vamp, issue des mythologies nordiques, et la grande prostituée, issue des mythologies méditerranéennes, tantôt se distinguent, tantôt se confondent au sein du grand archétype de la femme fatale. Celui-ci s’universalise rapidement. Dès 1922, Shoharo Hanayagi introduit la vamp dans le cinéma japonais» (ibid. p. 11). Il serait difficile de tenir Mère Teresa pour un modèle de vamp!

Hollywood devient alors la nouvelle Babylone. Les extraits du film de Griffith, Intolerance (1916) se déroulant à Babylone semblent consacrer l’association implicite. La Grande Prostituée de l’Apocalypse, celle animée par les majors tous d’origine juive askhenaze, (les frères Warner, Carl Laemele, William Fox, Harry Cohn, Samuel Goldwyn, Gouis B. Mayer, Irving Thalberg, Adolph Zukor, David O. Selznick) (Cf. N. Gabler. Le royaume de leurs rêves, Paris, Calmann-Lévy, Col. Pluriel, 2005), apparaît comme le reflet de la Rome impériale. Une Rome négative. Un retour de la Rome de Caligula et de Néron sur pellicules exportées dans le monde entier. Cabiria, péplum italien de 1914, adulé par Mussolini, substituait à la majesté sanctifiante, la grandiloquence des scènes impériales.

Pourtant, le monde fantasmatique des vedettes en est un plus de souffrances que de joies. Je ne pense pas ici tant au calvaire des vedettes pour se maintenir en «odeur de sainteté» ou s’adapter au vieillissement et au changement, toujours plus rapide, des modes; non, mais à ce qu’elles exprimaient en ces années de gloire 1920-1930. «Entre la vierge et la femme fatale, reprend Morin, s’épanouit la divine, aussi mystérieuse et souveraine que la femme fatale, aussi profondément pure et promise à la souffrance que la jeune vierge. La divine souffre et fait souffrir. Garbo incarne “la beauté de la souffrance” dit Balazs (Theory of film). “C’est la souffrance de la solitude… Son regard pensif vient de loin” (ibidem). Elle est perdue dans son rêve, ailleurs, inaccessible. D’où son divin mystère. L’idole schizophrène s’oppose à la femme trop présente, l’amie, la sœur, qui n’attire pas l’adoration, c’est-à-dire l’amour. Elle transcende la femme fatale par sa pureté d’âme». À cette divine correspond non le héros de l’aventure (Douglas Fairbanks) mais «le héros de l’amour, jeune premier fatal, aux traits féminisés, au regard de braise. Entre ces deux archétypes, Rudolf Valentino opère une sorte de synthèse parfaite. Cheik arabe, seigneur romain, aviateur, dieu qui meurt, renaît et se métamorphose, comme Osiris, Attys, Dionysos, héros d’exploits sans nombre, il demeure avant tout ‘idole’ de l’amour…» (ibid. pp. 11 à 13). Tout cela, c’est la nouvelle Parole de Dieu, le mythe de l’amour revu et corrigé par le cinéma hollywoodien. Dans la vie quotidienne, plutôt que le dépouillement et la singularité par le retrait du monde, les stars, «sublimes, excentriques, …se font construire des châteaux simili-féodaux, des résidences aux formes de temples antiques, avec piscines de marbre, ménageries, chemins de fer privés. Elles vivent très loin, très au-dessus des mortels. Elles brûlent leur vie dans le caprice et dans le jeu. Elles s’entr’aiment, s’entre-déchirent, et leurs amours confondues sont aussi fatales dans la vie que dans le film. Elles ignorent le mariage, sauf pour épouser des princes et aristocrates. Pola Negri accorde successivement sa main au comte Eugène Domski, et au prince Serge Mdivani. Une adoration exaltée les entoure» (ibid. p. 14). Et parmi ces nouvelles Thaïs, quantités d’Alexis Interminelli.

Cette bacchanale hollywoodienne a fondé le star system tel qu’il est resté depuis, malgré l’évolution du muet au parlant, du noir et blanc à la couleur, du cinémascope au numérique. Les châteaux ont perdu certes de leur côté pittoresque faux-médiéval pour se centrer sur des villas somptueuses au bord de la mer; des condos essaimés ici et là partout dans le monde; des lofts ou garçonnières isolés de la meute de paparazzi qui pourchassent, comme du gibier, ces gazelles consentantes. Depuis le scandale du pathétique Fatty Arbuckle, accusé d’avoir violé une starlette qui serait morte d’une rupture de vessie dans un chic hôtel, les histoires sordides nourrissent la vie intime des vedettes, comme une simagrée des hagiographies de martyrs : suicides, scandales homosexuels, morts suite à une overdose de drogues (toujours de plus en plus «dures»), meurtres par jalousie, par cupidité, par héritage. Les saints s’en vont tous désormais en enfer!

À 31 ans, Rudolf Valentino est frappé d’un ulcère gastrique aigüe. Il s’affaisse et on le conduit à l’hôpital où il est opéré d’urgence. Il meurt de septicémie le 23 août 1926. C’est encore les années folles. Deux femmes se suicident devant la clinique où il vient de succomber. Environ 100 000 personnes se rassemblent dans les rues de New York pour accompagner la dépouille. Quatre acteurs sont revêtus d’uniformes de garde fasciste d’honneur commandité par la Frank Campbell Funeral Home (et non par le Duce, Mussolini). Durant la cérémonie funèbre, la même Pola Negri qui convole régulièrement de noce en noce avec des princes, s’effondre hystérique à côté du cercueil. Comme pour un président américain, le cercueil de Valentino est envoyé par chemin de fer à travers les États-Unis pour qu’une seconde cérémonie ait lieu sur la Côte du Pacifique. On rappellera moins que la quantité de gens attendant le passage du cortège sur le quai des gares, diminuait au fur et à mesure que la dépouille approchait de Los Angeles. Les stars ont une vie éphémère, contrairement aux saints. On les oublie vite. Tant aura été le culte adulatoire, tant sera la profondeur de l’oubli. Une fois John Dos Passos ayant inscrit le mythe Valentino dans ses romans, il faudra attendre un demi-siècle pour que la vedette italienne retrouve son lustre, dans un monde fort éloigné de celui qui fut le sien.

Ce destin pathétique, Greta Garbo l’anticipait déjà au sommet de sa carrière. La vamp, «présente-absente parmi nous, témoigne aujourd’hui de la grandeur passée de la star. Trop grande pour le cinéma devenu trop petit, c’est à peine si elle daigna tourner de loin en loin quelques films avant de s’enfermer dans le silence. Survivante du crépuscule des dieux, son mystère et sa solitude nous font mesurer l’évolution qui s’est accomplie. Comme en signe de deuil, comme aussi pour se garder de la corruption du monde et du temps, elle dissimule ses traits sous un chapeau sans grâce et d’épaisses lunettes noires. Et c’est son immortel visage de divine que notre souvenir voit rayonner sous son voile» (E. Morin. ibid. p. 14). Garbo imprégnait ainsi les fantasmes d’Edgar Morin, mais jusqu’à quel point n’était-il pas influencé aussi par le film de Billy Wilder, Sunset Boulevard, sorti sur les écran en 1950. Ce film (Boulevard du Crépuscule, en français) est souvent méjugé aussi bien par ceux qui le portent au nues que par ceux qui ne l’aiment guère.

Garbo, ici, c’est Gloria Swanson (Norma Desmond pour les besoins du film), ancienne vedette du cinéma muet, de cet âge d’or dont parle Morin. La divine vit dans sa villa de Sunset Boulevard, à Hollywood. Un scénariste raté poursuivie par des agents de recouvrement, s’enfuit en auto - l’objet de la saisie -, crève un pneu et se retrouve sur la résidence de Norma Desmond. Joe Gillis (joué par l'une des stars masculines de l'heure, Willliam Holden), reconnaît l’actrice vieillie et oubliée qui vit seule, retirée, avec son valet, interprété par le cinéaste et comédien allemand (lui aussi de l’âge d’or des années 20), Erich von Stroheim. D’autres acteurs ou réalisateurs de cette belle époque jouent leur propre rôle : le réalisateur Cecil B. DeMille, la journaliste à scandales Hedda Hopper, tandis que Buster Keaton, H. B. Warner et Anna Q. Nilsson viennent traverser fugitivement l’écran. L’intrigue apparaît comme secondaire. Gillis se laisse entretenir, comme un gigolo, par Desmond. Il joue le jeu jusqu’à ce que celle-ci lui avoue son amour. Il s’enfuit pour retrouver une bande d’amis. Téléphonant à la résidence pour informer Desmond qu’il la quitte, il apprend qu’elle a tenté de se suicider. Il revient à la maison. Retour fatal. Après une scène impossible, voulant se déprendre définitivement de l’emprise du passé malheureux personnifié dans cette actrice que «l’amour ne veut plus», elle lui tire une balle dans le dos et le corps de Gillis tombe dans la piscine où la police viendra l’en retirer. C’est la voix-off du mort qui raconte l’anecdote de Sunset Boulevard.

Sunset Boulevard, c’est la hantise de toutes vedettes, toujours-déjà condamnée à disparaître après une gloire réservée jusque-là aux seuls dieux. Si le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument, comme le disait Lord Acton, l’adulation enfle la tête (par vanité, par orgueil, par richesses et pouvoirs démesurés exercés sur les masses), et l'adulation amoureuse enfle la tête jusqu’à ce qu’elle éclate. La séparation du saint n'isolait pas; au contraire, elle l'invitait à revenir dans le monde, sous une forme ou sous une autre (le travail en silence pour les moines bénédictins, l’enseignement, le service aux malades aux pauvres, etc.). Après avoir baignée (à distance) dans un monde d’adulations, de rassemblements de masse pour la première d’un film ou d’une joute sportive, figurée sur les couvertures des magazines, reçue quantité de messages délirants de groupies sur Facebook, Twitter et autres média sociaux, la vedette finit isolée, vivant dans un monde de mensonges, de séductions réciproques, de désillusions, enfin d’oubli. Les grâces divines sont ici illusoires. Le démos n’est pas divin. Il vit de ses désirs, de ses fantasmes, de ses manques, de ses déceptions, de ses ressentiments, de ses fatigues et de son ennui au détriment même de ses semblables. Aucune idole, catholique ou profane, ne peut combler ce vide intérieur qui demande à être nourri constamment de nouveautés, de fantaisies et d’irréalités dans lesquelles il peut s’échapper, comme la spectatrice dans le film de Woody Allen, The Purple Rose of Cairo (1985), attirée par un acteur-vedette qui sort de l’écran (en noir et blanc) pour l’inviter à rejoindre les autres personnages du film et participer à l’intrigue. Si les saints offraient la promesse d’une félicité post-mortem, les vedettes vous font vivre une vie fantaisiste par procuration. Voilà en quoi elle peut tout aussi bien servir de truchement érotique que destrudinal. Le star system permet aux communs des mortels, à la masse qui communie dans le charisme de la vedette, de sortir de son existence banale et souffrante pour entrer dans un univers de fantaisies où ses souhaits peuvent être exaucées dans le rêve éveillé. En définitive, il agit comme une drogue. Il fournit une dose d’onirisme peu dangereuse tout en établissement une addiction qui finit par cancérigéner le reste de l’existence. Ce processus d’aliénation peut devenir mortel, comme on l’a vu avec le suicide des deux femmes devant la clinique où est mort Valentino! À sa façon, Gillie, dans Sunset Boulevard, meurt de la même façon, tué par une vedette fantômatique, morte à son public et à l’amour depuis près de vingt ans.

Fritz Lang. Tournage de Métropolis
Dans le film de Wilder, il y a une critique du monde hollywoodien d’après-guerre. Ce monde vit des dépouilles de l’âge d’or d’avant-guerre, du temps du muet, où les exigences imposées aux vedettes de cinéma, les conditions de travail, les mises en scène répétées pour les plans d’ensemble, les plans moyens et les gros plans étaient interminables; lorsque les caprices d’un Cecil B. DeMille, d’un Fritz Lang, d’un Erich von Stroheim relevaient d’exploits surréalistes. La star de l’âge d’or aux cachets exorbitants, avait de quoi, semble-t-il, mériter son salaire. Mais le passage du muet au parlant l’a forcée à modifier ses atours. Les exigences devenaient autres. La star de cinéma ressemblait de plus en plus à l’ancienne actrice de théâtre. Malraux ne disait-il pas «Marlène Dietrich n’est pas une actrice, comme Sarah Bernhardt; c’est un mythe, comme Phyrné»? Or, comment la star peut-elle quitter son piédestal érigé par l’âge d’or du muet en un nouveau mode d’adulation qui exige d’autres talents, d’autres techniques de la part de la vedette? Bref, comment maintenir la fantasmatique mythique tout en étalant des côtés plus humains de sa personne à travers des rôles plus complexes créés à Broadway ou sur d’autres scènes de théâtre? «Le cinéma, dès qu’il s’engage selon le mot de Méliès, dans la “voie théâtrale spectaculaire”, emprunte du même coup son maquillage au théâtre. Mais progressivement l’homme cesse de paraître maquillé dans les films; la femme, toujours maquillée, ne le semble guère plus que dans les festivités de la vie. Certes le grimage est toujours utilisé à des fins expressives particulières : yeux cernés de l’amante au petit matin, lèvres blêmes du héros sur son lit d’hôpital, etc…, mais le maquillage perd sa fonction propre, qui est de mettre en évidence les mouvements des yeux et de la bouche. Le gros plan joue désormais ce rôle» (ibid. p. 41). Il en va de même pour les coiffures, l’habillement, etc. Pour l’industrie du cosmétique, de la mode, des bijoux, c’est une manne qu’ouvre la vedette pour ses chiffres de vente. Bientôt ce sera l’ameublement des décors, les sites de tournages devenus sites touristiques, etc. Avec la télévision, l’emprise des sponsors deviendra telle que les publicités seront insérées directement dans les tournages. Beauté, jeunesse, richesse perpétuelles, promesse assurée ou argent remis.

Évidement, l’argent n’est jamais remis, et les modes se défont plus vite que les temps de paiement. Avec elles sont charriées les réputations, surfaites comme patiemment gagnées. Le public est une masse d’adulateurs sans pitié. Comme le personnage de Gloria Swanson, les stars sont remisées comme les anciennes divinités helléniques, à la seule différence que les divinités, disparaissant toutes en même temps, laissaient un dieu unique, abstrait, centralisateur et exclusif qui ramenait vers lui non plus des adulations mais des soumissions. L’humanité de la vedette est garantie par sa vulnérabilité ultime : sa disparition à laquelle elle est condamnée. Comme le remarque encore Morin : en participant «désormais à la vie quotidienne des mortels. Ce ne sont plus des étoiles inaccessibles mais des médiatrices entre le ciel de l’écran et la terre. Filles formidables, femmes du tonnerre, elles attirent un culte où l’admiration prend le pas sur la vénération. Elles sont moins marmoréennes mais plus émouvantes, moins sublimes mais d’autant plus chères. Aussi l’évolution qui dégrade la divinité de la star stimule et multiplie les points de contact entre stars et mortels. Loin de détruire le culte, elle le favorise. Plus présente, plus intime, la star est presque à la disposition de ses adorateurs : d’où la floraison des clubs, magazines, photos, courriers qui institutionnalisent la ferveur. Un réseau de canaux draine désormais l’hommage collectif et renvoie aux fidèles les mille fétiches qu’ils réclament» (ibid. p. 31). Voilà pourquoi servir de patère à un tailleur, de pieds à un designer de souliers, de chevelure à un coiffeur-styliste, de buste à un modéliste, la vedette doit «se vendre» afin de faire reconnaître son talent ou ses ambitions. Elles ne le peuvent que si elles s’affichent comme «assimilables» à la vie de tous les jours. Ce ne sera donc plus son caractère exceptionnel, sa «séparation» qui l’assimilait aux saints, bienheureux et vénérables de jadis, mais son aspect commun qui lui permet l’identification du premier quidam venu. Toutes les petites filles du Québec (et d’ailleurs) peuvent devenir des Céline Dion …si elles trouvent le bon manager qui saura tracer sa carrière, à la fois divinité mais accessible à tous. C’est comme lorsqu’on faisait croire que chaque Américain pouvait devenir président, ou quand Napoléon disait à ses grognards qu’il y avait un bâton de maréchal qui les attendait dans leurs gibernes.

Voilà pourquoi les stars annoncent maintenant où elles iront en vacances, se font photographier en famille, visitent des parcs d’attraction, etc. L’adulation de la star n’est plus dirigée vers une divinité inaccessible, mais vers un miroir qui donne sens à l’insignifiance de l’adulateur. Les jeunes deviennent Justin Bieber lorsqu’ils se remontent le toupet à la ressemblance de leur idole. Les hommes d’un certain âge ne cachent plus le gris de leurs cheveux afin d'avoir un look George Clooney. Même ceux qui ont un nez plutôt busqué revendiqueront une ressemblance avec Tom Cruise, et des concours de sosies attirent de partout des inconnues qui se croient ressemblantes à Nicole Kidman ou à Madona. Ce fétichisme qui encourage à collectionner des photos personnelles prises avec la star ou des autographes qui se vendront à prix d’or lorsque la vedette sera décédée rapetissent encore plus la singularité de la vedette au point de réifier jusqu'à sa fonction onirique. «Les nouvelles stars “assimilables”, poursuit Morin, stars modèles-de-vie, correspondent à un appel de plus en plus profond des masses vers un salut individuel, et les exigences, à ce nouveau stade d’individualité, se concrétisent dans un nouveau système de rapports entre le réel et l’imaginaire. On comprendra maintenant tout le sens de la formule lucide de Margaret Thorp : “Le désir de ramener les stars sur la terre est un des courants essentiels de ce temps” (American at the movies)… (ibid p. 32) La télévision accomplira la dernière phase de cette redescente sur terre des vedettes désincarnées.
 
Pourquoi alors les précipiter dans le bol fécal des enfers? À sa façon, Hollywood Boulevard, avec ces étoiles où nichent les noms des vedettes remarquables de la Rome cinématographique, trottoir sur lequel marchent les chaussures crottées de tout un chacun, venu de partout dans le monde, n'est-il pas une reprise de la vision dantesque de l'adulation et de la flatterie vaine? Parce que telle est leur vie. Parce qu’elle est devenues aussi facilement assimilable pour la rédemption morale et sociale des individus, «la vie privée d’une star se doit d’être publique». La complaisance dans la quotidienneté, sinon dans la vulgarité, exclue toutes formes de conscience et de spiritualité sincère et profonde. «Les magazines, les interviews, les fêtes, les confessions (Film de ma vie) contraignent la star à afficher sa personne, ses gestes, ses goûts. Les vedettes n’ont plus de secret : “L’une explique comment elle se purge, une autre révèle la joie secrète qu’elle éprouve à épucer son griffon de la Havane”. Potins, indiscrétions, photos, transforment le lecteur de magazine en voyeur, comme au cinéma. Le lecteur-voyeur persécute la star dans tous les sens du terme. […] Les télé-objectifs se dissimulent derrière les troènes du parc et saisissent le moment où Grace Kelley porte à ses lèvres la main de Jean-Pierre Aumont. La star ne peut se dérober. Qu’elle proteste et les échos fielleux se glissent dans les magazines, et les “fans” s’indignent. Elle est prisonnière de la gloire. Au stade hollywoodien, le star system comporte l’organisation systématique de la vie-privée-publique des stars. Buster Keaton était condamné par contrat à ne jamais rire. Les contrats, également, contraignent l’ingénue à une vie chaste, du moins en apparence, en compagnie de sa mère. La glamour-girl, par contre, doit se montrer dans les night-clubs au bras de cavaliers choisis par les producteurs. Les imprésarios fixent d’intimes rendez-vous romanesques, baignés de clair de lune et de flashes photographiques. La star appartient tout à son public. Glorieuse servitude dont s’apitoie ce même public qui l’exige. Comme les rois, comme les dieux, la star appartient d’autant plus à ses admirateurs qu’ils lui appartiennent. Les adorateurs exigent d’elle simultanément la simplicité et la magnificence. L’une ne va pas sans l’autre, nous l’avons vu : le comble de la grandeur est l’exquise simplicité, mais cette simplicité serait invisible si elle était simple. Elle doit donc être ostentatoire» (E. Morin. ibid, pp. 56 à 58).

Bien sûr, la tyrannie des agences de placement d’acteurs ne pèse plus d’un tel poids sur la vie des vedettes. Le rythme avec lequel elles défilent au premier plan la font vite reculer après avoir été encensées de toutes les manières. La liturgie qui glisse présentement des magazines aux média électroniques est filtrée par les agences, alors des «nègres» sont engagés pour répondre à la place de la vedette, entendu que les adulateurs disent tous la même chose, avec la même tonalité et à toutes les vedettes. Chair de consommation fantasmatique, la vie sexuelle de la vedette compte plus que son régime alimentaire ou ses activités de distraction. Là veille la tentation du scandale. Certaines stars s’y adonnent volontiers, faisant de cette ripaille nauséeuse le ciment de leur consécration. D’autres, encore pudiques, se dégoûtent du jeu. Dans l’ensemble, la paranoïa est la maladie mentale qui pèse le plus sur la vedette. Autrefois, la schizophrénie d’un Béla Lugosi épatait les journaux à potins. Aujourd’hui, ce sont les tissus de mensonges interminables que profèrent la vedette qui se confondent, dans son esprit même, à la vérité.

Si Alexis Interminelli se trouvait dans le bol fécal de l’Enfer en tant qu’adulateur, Thaïs y siégeait en tant qu’adulée. Stars et groupies se donnent donc rendez-vous dans la même fange. Ce sort, qui n’a jamais été celui auquel étaient condamnés les héros, les rois, les empereurs et les princes et leurs courtisans, est-il mérité? Aux yeux de Dante sans doute. Mais si les adulés du cinéma, de la télévision, du sport ou de n’importe quel autre mondanité doivent subir les pires humiliations, c’est bien sur terre qu’elles sentiront, un jour ou l’autre, et de façon souvent dramatique et tragique, l’abjection de leur condition. Bien qu’elles ne les aient pas toujours cherchés, les lieux d'abjection où les vedettes se voient condamnées montrent à quel point elles peuvent facilement devenir les boucs émissaires de nos ressentiments de vivre une vie morne et ennuyeuse. La fable de Sunset Boulevard est assez représentative de ce purgatoire que vit Norma Desmond et qui, au Québec, se traduit par un Chez-nous des artistes, en fait, un «refuge» pour les artistes seuls, pauvres, vieillissants, oubliés souvent de leur public. Pourquoi y aurait-il un enfer encore plus profond pour ces idoles du passé? Pour les adulateurs, leur condition humaine est déjà assez pitoyable pour imaginer humiliations plus abjectes. Tout ce que ce lien charismatique nous montre, c’est la misère morale et spirituelle de l’humanité occidentale, sinon mondiale, au tournant du XXIe siècle. Au-delà de son apparence kitsch, cette vie par procuration d’une surhumanité fantasmatique est l’appel, le vœux d’une existence plus large, plus vaste, plus riche que les limites de la condition sociale et humaine lui impose, et ne cessent d’étouffer. Inutile donc de craindre un bol fécal post-mortem; nous y mijotons déjà depuis un bon bout de temps. Le Dante d’aujourd’hui, c’est la chanteuse acadienne Lisa LeBlanc qui le crie : Aujourd'hui, ma vie c'est d'la marde
Montréal
21 octobre 2012

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