Au milieu de la course de notre vie, je perdis le véritable chemin, et je m'égarai dans une forêt obscure: ah! il serait trop pénible de dire combien cette forêt, dont le souvenir renouvelle ma crainte, était âpre, touffue et sauvage. Ses horreurs ne sont pas moins amères que les atteintes de la mort. Pour expliquer l'appui secourable que j'y rencontrai, je dirai quel autre spectacle s'offrit à mes yeux. Je ne puis pas bien retracer comment j'entrai dans cette forêt, tant j'étais accablé de terreur, quand j'abandonnai la bonne voie. Mais à peine fus-je arrivé au pied d'une colline où se terminait la vallée qui m'avait fait ressentir un effroi si cruel, que je levai les yeux et que je vis le sommet de cette colline revêtu des rayons de l'astre qui est un guide sûr dans tous les voyages. Alors s'affaiblit la crainte qui m'avait glacé le cœur pendant la nuit où j'étais si digne de pitié.

DANTE

LA DIVINE COMÉDIE

lundi 17 septembre 2012

La livre de chair

Sir Herbert Beerbohm Tree jouant Shylock,

LA LIVRE DE CHAIR

Le voici, ce Shylock, sorti directement d’une comédie de William Shakespeare, Le Marchand de Venise (1596-1597, publiée en 1603). Le marchand en question n’est pas Shylock, mais Antonio, et son rapport avec l’usurier juif n’en est pas un que l’on peut qualifier de «commercial». En effet, si Antonio se rend auprès de Shylock, c’est pour rendre service à son protégé Bessanio pour lequel il emprunte de l’argent. Certain de pouvoir le rembourser, Antonio signe un contrat, un «contrat» qui rappelle le fameux «pacte» avec le diable, puisqu’il autorise son créancier à prélever sur son propre corps une livre de chair en cas de défaut de paiement. Cette demande, faite par Shylock, vise à se venger des humiliations que lui ont fait subir les chrétiens:
Et que je veux montrer.
Venez chez le notaire avec moi, signez moi
Si vous ne me remboursez pas tel jour,
En tel endroit, là ou les sommes qui seront
Mentionnées au contrat que le dédit
Se fixe à une livre de votre belle chair à découper et prendre
En la partie de votre corps qu'il me plaira.


Plus tard, dans l’Histoire de Juliette ou les prospérités du vice du marquis de Sade (publiée en 1801), la saphique Delbène demandera: «Quel mal fais-je, quelle
Clovis Trouille. Dolmancé hanté par ses fantômes
offense commets-je, en disant à une belle créature, quand je la rencontre: Prêtez-moi la partie de votre corps qui peut me satisfaire un instant et jouissez, si cela vous plaît, de celle du mien qui peut vous être agréable?» Il est possible de considérer Shylock comme un lointain ancêtre de la Delbène, même si le premier est animé par un ressentiment alors que la seconde ne l’est que par le vice. Le rapport au corps est cependant le même : une valeur d’échange. Encore primitive certes, elle évoque plus le bon vieux troc qu'un arrangement entre créanciers et débiteurs autour d'une table, à la banque. Shylock établit le rapport d’échange avec une dette d’argent, la Delbène un plaisir inégal, puisque le désir de la maquerelle est absolue alors que celui de Juliette est conditionnel [le «si cela vous plaît»]. Si nous en restons, pour le moment, au cas de Shylock, il faut se rappeler qu’Antonio ne peut faire face à son échéance et Shylock en appelle à la justice vénitienne pour que le contrat soit respecté à la lettre. Plutôt qu’une autre de ses horreurs auxquelles le dramaturge élisabéthain nous a habitués, cette fois-ci, il préfère jouer la «comédie des erreurs». La place du juge est prise par Portia, qui est la femme de Bessanio, le protégé d’Antonio. Le règlement du contrat est ainsi truqué par un parti au détriment de l'autre. C'est ce que nous voyons dans la scène 1 de l’Acte IV:


Portia : Eh bien, l’échéance est passée et, légalement, par ce billet, le Juif peut exiger une livre de chair qu’il découpera tout près du cœur de ce marchand. Sois clément, prend trois fois ton argent, dis-moi de déchirer ce billet.

Shylock : Quand il sera payé comme il est dit. On voit que vous êtes un très bon juge. Vous connaissez la loi, votre exposé était excellent. Au nom de cette loi dont vous êtes le digne pilier, je vous somme de procéder au jugement. Par mon âme, je jure qu’aucune langue humaine n’aurait le pouvoir de me faire changer. Je m’en tiens à mon billet.

Antonio : De tout cœur, je supplie la Cour de rendre son jugement.

Portia : Alors, le voici: il faut offrir votre poitrine à son couteau.

Shylock : Ô noble juge! Ô excellent jeune homme!

Portia : Car le sens et l’esprit de la loi s’appliquent parfaitement à la pénalité qui est indiquée sur ce billet de façon très claire.

Shylock : C’est tout à fait vrai. Sage et honnête juge! Comme vous êtes plus mûr que vous ne le paraissez!

Portia : Mettez donc à nu votre poitrine.

Shylock : Oui, sa poitrine! C’est ce que dit le billet, n’est-ce pas, noble juge! “Tout près de son cœur”, ce sont les termes mêmes.

Portia : C’est bien cela. Y a-t-il ici une balance pour peser la chair?

Shylock : Elle est prête.

Portia : Ayez un chirurgien près de vous et à vos frais, Shylock, pour arrêter ses blessures et empêcher qu’il ne saigne à mort.

Shylock : Est-ce spécifié dans le billet?

Portia : Ce n’est pas exprimé mais, peu importe, il serait bon que vous le fassiez par charité.

Shylock : Je ne trouve pas cela sur le billet.

Portia : Et vous, le marchand, avez-vous quelque chose à dire?

Antonio : Bien peu de chose. Je suis armé de courage et je suis prêt. Donne-moi la main, Bessanio. Adieu. Ne sois pas triste si, pour moi, j’en suis arrivé là. La fortune, malgré tout, ne se montre-t-elle pas bienveillante? Alors que d’habitude elle laisse le malheureux survivre à sa richesse, alors qu’elle l’oblige à contempler la pauvreté de ses vieux jours d’un œil cave et le front ridé, voilà qu’elle me dispense de cette pénible pénitence. Remets mes hommages à ta noble épouse, raconte-lui quelle a été la fin d’Antonio. Dis-lui combien je t’aimais, rends justice au mort. Et quand tout aura été dit, qu’elle juge si Bessanio n’a pas été aimé. Regrette seulement de perdre ton ami, lui ne regrette pas de payer ta dette. Car si le Juif coupe assez profond, c’est avec mon cœur que je vais la payer sur le champ.

Bessanio : Antonio, je suis marié à une femme qui m’est aussi chère que la vie même. Mais la vie même, ma femme, le monde entier ne me sont pas plus précieux que ta vie. Je perdrais tout pour te sauver, je sacrifierais tout à ce démon.

Portia : Si votre femme était ici, elle ne vous remercierait guère d’une telle offre.

Gratiano : J’aime ma femme, je le jure. Eh bien, je voudrais qu’elle soit au ciel, si elle pouvait y supplier que l’on change ce sale chien de Juif!

Nérissa : Heureusement que vous le proposez derrière son dos, sans quoi pareil vœu mettrait le trouble dans votre ménage.

Shylock : Et voilà les maris chrétiens! Ma fille… si seulement son mari pouvait être un descendant de Barrabas, plutôt qu’un chrétien! Nous gaspillons le temps, je vous prie d’émettre la sentence.

Portia : Une livre de chair de ce marchand est à toi. La Cour le reconnaît et la loi te l’accorde.

Shylock : Très équitable juge!

Portia : Et tu dois découper cette chair dans sa poitrine: la Cour te l’accorde et la loi le reconnaît.

Shylock : Juge très instruit, quelle sentence! Allons! Préparez-vous!

Portia : Attends un instant. Ce n’est pas tout. Ce billet ne t’accorde pas une seule goutte de sang. Les termes sont très précis: “Une livre de chair”. Prends ce qui t’est dû, prends ta livre de chair. Mais si en la découpant tu fais couler une seule goutte de sang chrétien, tes terres et tes biens, en vertu de la loi, seront confisqués au profit de l’État de Venise.

Gratiano : Ô juge équitable! Tu entends, Juif? Ô juge très instruit!

Shylock : Est-ce la loi?

Portia : Tu verras toi-même le texte. Puisque tu réclames justice, sois sûr qu tu obtiendras justice plus que tu le désires.

Gratiano : Ô juge très instruit! Tu entends, Juif? Un juge très instruit!

Shylock : J’accepte l’offre, alors. Payez-moi trois fois le billet et que le chrétien s’en aille!

Bassanio : Voici l’argent.


Les critiques qui se sont penchés sur cette scène en font la trame de l’antisémitisme de Shakespeare. Il faut dire qu’au temps de Shakespeare, les Juifs avaient été chassés d’Angleterre depuis 1290 par un décret du roi Édouard Ier, et ce n’est que sous Cromwell qu’ils seront rappelés à s’établir sur l’île. Le Juif de Shakespeare ressemble donc plus au diable du Faust de Marlowe, son contemporain, où là aussi s’accomplit une sorte de «pacte de chair», puisque le vieux corps du docteur  savantissime sera remplacé par un jeune corps qui lui permettra de jouir de tous les plaisirs de l'existence. Dans ce dernier cas, le diable gagnera l’âme de Faust; dans la comédie de Shakeapeare, le Juif perdera l'occasion de sa vengeance. En effet, Portia, déguisée en juge, rappelle à Shylock la loi chrétienne qui interdit à un Juif de faire couler le sang chrétien sous peine de perdre ses biens, le frustrant ainsi de sa vengeance sur Antonio. Mais pis est, elle refuse au Juif les profits de son prêt puisqu’il ne sera tenu que de recevoir le capital. La farce succède ainsi à la tragédie. Elle ne se contente pas de le prendre en défaut sur la loi chrétienne mais également celle qui limitait le prêt à intérêt. La livre de chair est donc ici identique en sens et en valeur aux intérêts sur le capital et, à mon avis, plus intéressant et plus sérieux que l'antisémitisme du grand Will.

Les chrétiens avaient hérité cette haine de la spéculation et des intérêts sur l’argent de la pensée économique grecque. Aristote, dans Les politiques, apprécie les fruits que les hommes retirent de leur activité productrice mais condamne l’usure comme une pratique blâmable car contraire à la nature de l’argent qui est de servir de moyen d’échange : «C’est pourquoi est conforme à la nature pour tous les hommes l’art d’acquérir aux dépens des fruits de la terre et des animaux. Cet art d’acquérir, comme nous l’avons dit, a deux formes, une forme commerciale [ou forme chrématistique] et une forme familiale : celle-ci est indispensable et louable, celle qui concerne l’échange, par contre, est blâmée à juste titre car elle n’est pas naturelle mais se fait aux dépens des autres ; et il est tout à fait normal de haïr le métier d’usurier du fait que son patrimoine lui vient de l’argent lui-même, et que celui-ci n’a pas été inventé pour cela. Car il a été fait pour l’échange, alors que l’intérêt ne fait que le multiplier. Et c’est de là qu’il a pris son nom : les petits, en effet, sont semblables à leurs parents, et l’intérêt est de l’argent né de l’argent. Si bien que cette façon d’acquérir est la plus contraire à la nature» (I, 10, 1258a). Comme le suicide, comme l'homosexualité, l'usure était donc considérée comme contraire aux lois de la nature.

Avec la «résurrection» d'Aristote à la fin du Moyen Âge, la question fut reprise par saint Thomas d’Aquin qui, dans sa Somme théologique, reprend dans un premier temps les arguments développés par le Stagirite dans son Éthique à Nicomaque, concernant la monnaie (V, 8, 1133a) et dans Les Politiques (I, 9) afin de condamner l’usure: «Recevoir un intérêt pour de l'argent prêté est de soi injuste, car c'est faire payer ce qui n'existe pas ; ce qui constitue évidemment une inégalité contraire à la justice. Pour s'en convaincre, il faut se rappeler que l'usage de certains objets se confond avec leur consommation ; ainsi nous consommons le vin pour notre boisson, et le blé pour notre nourriture. Dans les échanges de cette nature on ne devra donc pas compter l'usage de l'objet à part de sa réalité même; mais du fait même que l'on en concède l'usage à autrui, on lui concède l'objet. Voilà pourquoi, pour les objets de ce genre, le prêt transfère la propriété. Si donc quelqu'un voulait vendre d'une part du vin, et d'autre part son usage, il vendrait deux fois la même chose, ou même vendrait ce qui n'existait pas. Il commettrait donc évidemment une injustice. Pour la même raison, l'on pécherait contre la justice si, prêtant du vin ou du blé, on exigeait deux compensations, l'une à titre de restitution équivalente à la chose elle-même, l'autre pour prix de son usage (usus) ; d'où le nom d'usure (usura) » (IIa, IIae, question 78, article 1)». La problématique ne concernait pas seulement l’aliénation qui était imposée à l’emprunteur, mais également au préjudice que pouvait subir le prêteur, un double préjudice d’ailleurs, d’abord du fait du risque encouru et de la privation de la somme d’argent qu’il avait à sa disposition, doit obtenir réparation sous la forme d’un dédommagement de la part de l’emprunteur : «Celui qui prête une somme d'argent en cède la possession à l'emprunteur, et aliène davantage son bien que s'il confiait cette somme à un marchand ou à un ouvrier. Or il est permis de tirer un bénéfice de l'argent confié à un marchand ou à un ouvrier. Il est donc également permis de prendre un bénéfice sur un prêt d'argent. (...) Dans son contrat avec l'emprunteur, le prêteur peut, sans aucun péché, stipuler une indemnité à verser pour le préjudice qu'il subit en se privant de ce qui était en sa possession; ce n'est pas là vendre l'usage de l'argent, mais obtenir un dédommagement. Il se peut d'ailleurs que le prêt évite à l'emprunteur un préjudice plus grand que celui auquel s'expose le prêteur. C'est donc avec son bénéfice que le premier répare le préjudice du second» (IIa, IIae, question 78, article 2)».

Au Moyen Âge, tous les papes, tous les rois, tous les empereurs empruntaient à des taux d’intérêts pour leur entretien, leur luxe et les dépenses de guerre. Aussi, pour se laver les mains de la culpabilité pécheresse, ils s’entremettaient avec des prêteurs juifs ou lombards. Quand le taux de la dette et des intérêts devenaient trop élevé, une persécution antisémite ou une querelle cherchée aux Lombards effaçait la dette «comme par magie». Le peuple chrétien, encouragé par le prince et béni par le pape, faisait office de libation des mains sales de son prince. Cette hypocrisie, proprement chrétienne ne joue plus aujourd’hui, malheureusement, contre les Madoff et autres suborneurs de l’économie réelle par l'économie virtuelle.

Ces réserves ou ces «trucs» dénotaient un certain changement d'attitude face au prêt à intérêt. La distinction entre l’usure, pratique prohibée, et l’intérêt, récompense légitime liée à la prise de risque du prêteur, marquait le début d’un assouplissement progressif du droit canon en matière de prêt à intérêt. Un siècle avant Shakespeare, en pleine Renaissance, «au XVe siècle, un frère franciscain, Bernardino da Sienna rédigea des traités en latin à l’usage de ses confrères confrontés à des cas de conscience difficiles à résoudre. Dans l’un de ses traités où un passage est consacré à la restitution («un homme est-il obligé de faire une restitution temporelle même si cela l’expose à un danger évident?»), il enseigne le principe de «l’usage du mal pour le bien» («bene uti malo»), principe condamné par Saint Paul (Romains, 3-8) : «Car, comme Saint Augustin [De peccat, meritis et remiss., I, c.29, n. 57] témoigne, c’est une chose d’user du mal pour le bien, et une autre d’user du bien pour le mal. Et ainsi, user du mal pour le bien n’est pas un péché, mais un bien, puisque même Dieu fait cela quand il permet les choses mauvaises d’être commises et de ce fait apporte le bien de la justice; mais user du bien pour un mal est un péché. Donc, user de l’usure (le mal) pour le bien est un bien; car un homme utilise ce mal pour le bien quand il cherche un prêt et ne peut en obtenir un sans intérêt, [et va au-devant et accepte le prêt à intérêt], non parce qu’il est favorable à ce vice mais seulement parce qu’il était obligé de faire ainsi par nécessité» (OOQ.I.428). Désormais, les portes s’ouvraient toutes grandes à la cour pontificale et dans les cours laïques pour accueillir les Juifs prêteurs d’argent.

Dans la pièce de Shakespeare, le marchand de Venise, Antonio, se conforme à la nouvelle morale du prêt usuraire, car s’il emprunte, ce n’est pas pour investir dans sa consommation, mais pour venir en aide à son ami, Bassiano. Du mal (l’usure), peut naître le bien (satisfaire à la requête de son ami). Shakespeare respecte bien la morale augustinienne de l’usure reprise par Bernard de Sienne. Mais avec la Réforme du XVIe siècle, d’une affaire morale le prêt va de plus en plus devenir une affaire strictement économique. On cessera de mêler le religieux avec les affaires au fur et à mesure que le développement de l’économie européenne généralisera le crédit comme une source de financement du développement et conduire au jeu de hasard qu’il est devenu à la fin du XXe siècle.

Qu’est-ce que le crédit en économie capitaliste? Ce n’est pas pour rien que «le crédit prit, dans l’économie capitaliste, une importance qu’il n’avait jamais eue auparavant, car désormais l’exercice de la plupart des activités économiques dépendait essentiellement de la possession de capitaux ou de la possibilité de se procurer des capitaux. C’est donc justement que l’on dit que le crédit est le moteur de l’économie moderne, car c’est lui qui rend possible le développement des activités économiques et qui introduit le dynamisme dans la production bien au delà de toutes les limites permises autrefois. C’est également à juste titre que W. Sombart a dit du crédit: “Il forme le pendant économique de la technique moderne : illimité comme elle dans ses buts, révolutionnaire dans ses moyens. Ce sont la technique moderne et le crédit qui, après s’être emparés de l’âme de l’entrepreneur réduit au rôle d’intermédiaire, ont créé le système économique du capitalisme avancé. Dans la technique et le crédit nous avons deux expressions de la tendance à l’infini”. En effet, l’entreprise capitaliste, en raison de ses dimensions et du processus de production moderne, exige des capitaux énormes pour l’installation des usines, l’achat de machines, de matières premières, le paiement des salaires, etc.; de sorte qu’avant d’entreprendre la production il faut disposer de sommes qu’un seul individu peut difficilement réunir. D’autre part la longueur du processus de production fait que, entre le moment où la production commence et celui où le produit s’écoule, un long délai passe durant lequel le fonctionnement financier de l’entreprise doit être assuré : sans capitaux pas d’entreprise, et sans crédit pas de capitaux. Ainsi le crédit est à la base de la production même et, comme le limon du Nil auquel on l’a comparé, il a une valeur productive; mais, dans la perspective capitaliste, il contribue aussi d’une autre manière à l’accroissement de la production et au perfectionnement des méthodes : le producteur qui achète du crédit doit le payer avec sa production future et par conséquent il est amené à accroître celle-ci pour pouvoir fabriquer le plus possible de biens en surplus qui lui permettront de payer; à la différence du limon du Nil, le crédit n’est donc pas un facteur de stabilisation économique mais un élément de dynamisme et d’expansion économiques».(1) Le crédit, c’est l’eau que l’on infiltre et que l’on chauffe dans une machine de Watt financière; cette part d’énergie en Capital qui actionne la force de travail (hommes et machines compris) dans la nouvelle économie industrielle. Il crée, à lui seul, un marché : celui de l’argent. L’argent métamorphosé, à son tour, en marchandise. Mais sa valeur ici est autrement que symbolique. De ces marchandises qui redeviennent, à leur tour, argent entre les mains des banquiers, toute la richesse dépend. Comme le rappelle l'historien Jean Bouvier : «Des trois fonctions qu’ils remplissent, l’une est ancienne : la fonction commerciale, la négoce direct des marchandises; leur achat “ferme” et leur écoulement; la seconde tend à l’emporter sur la précédente : c’est la fonction bancaire, c’est-à-dire le “jeu” sur le crédit, les traites et l’or; la troisième commence à se développer: c’est la fonction que l’on peut qualifier, par commodité, de financière et qui consiste à être vendeur de titres, de valeurs mobilières : soit d’État (bons du trésor et rentes) soit de firmes (actions et obligations). C’est cette troisième famille d’opérations qui va, dans la première moitié du XIXe siècle, éclipser les deux autres».(2)

Comme l’entrepreneur est l’homme de l’industrie, le banquier est l’homme de la finance. C’est lui le grand argentier des échanges. Pour Louis Bergeron, «le banquier est un capitaliste qui, disposant de moyens qu’il a préalablement acquis ou réunis, et désireux de les faire valoir aux meilleures conditions, ne prend ses risques qu’après avoir recueilli et analysé un grand nombre d’informations et défini un type de placement optimal en un lieu et dans une conjoncture donnés. C’est pourquoi il ne convient sans doute pas de le considérer comme celui sans qui le développement économique ne se produirait pas, mais plutôt comme celui qui exploite ce développement à ses diverses phases, dans la mesure même où il invente au fur et à mesure les techniques ou les formes d’organisation permettant de répondre à des demandes nouvelles de l’économie. Non point un pionnier, mais un suiveur et même un profiteur».(3) Entre le commerçant de l’économie du marché ancienne et l’entremetteur de l’économie de marché nouvelle, le banquier relève à la fois de l’homme d’affaires pragmatique comme le furent les Médicis et les Fugger de la Renaissance et le grand-prêtre ordonnateur du cérémonial boursier du Stock Exchange: «Le banquier n’est véritablement au service de personne, excepté des associés, dépositaires, commanditaires ou actionnaires qui ont joint leurs fonds aux siens, des fonds qu’il lui appartient de faire fructifier - loi unique et suprême. [Il] vole plus volontiers au secours du succès qu’il ne s’aventure en compagnie des novateurs ou des débutants».(4) Ce bourgeois d’une espèce particulière qui fascinait tant Balzac puis Zola reste donc à l’écart des nouvelles affaires industrielles. Si, d’une part, il est le principal organisateur du marché financier et que l’on peut dire que «le crédit a financé d’une façon grandiose l’industrie»(5), d’autre part, «il est certain que l’élargissement des bases sociales du recrutement des capitaux fait apparaître, au-delà des avantages indéniables de l’organisation d’un marché financier, des éléments psychologiques défavorables au développement industriel. Dans la société restreinte des grosses fortunes, des grands capitalistes aptes à s’intéresser personnellement au développement des nouvelles activités économiques, l’acceptation du risque de l’investissement industriel est plus aisée que dans la foule des possesseurs de patrimoines préoccupés essentiellement de conservation, de régularité et de sécurité du rapport».(6) Nos nouveaux banquiers sont donc beaucoup plus frileux que les audacieux aventuriers de la Renaissance ou de l’âge classique. Ils ont peu en commun avec ces manieurs d’argent mais beaucoup avec ces ingénieurs modelés sur le type technique industriel. Le nouveau banquier, comme l’entrepreneur, participent tous deux de l’anthropologie de l’Homme-Machine standardisé. Il est une planche à billets au service des actionnaires de l’entreprise bancaire jusqu’à ce que l’État, pour raison nationale, vienne se substituer à lui sans l’écarter vraiment. Des Régents de la Banque de France convoqués par Napoléon aux célèbres deux cents familles, ils forment un cartel financier qui contrôle le débit des échanges nationaux. L’opération de Bonaparte visait à substituer à leurs intérêts lignagers de jadis un intérêt supérieur, celui de la Nation, c’est-à-dire du marché intérieur. C’est ainsi que le crédit cessait d’être une affaire de rois et de puissants, comme sous l’Ancien Régime, pourvoyeur de biens de luxe et se remboursant des ponctions sur les différentes servitudes, mais un rouage déterminant dans la vaste machinerie économique des nations. Comme le rappelle l’historien Jacques Maillet : le crédit «a objectivé la vie économique en dépersonnalisant les relations d’affaires qui cessent d’être des rapports personnels de débiteur à créancier pour s’insérer dans un réseau de rapports anonymes dans lesquels les personnes s’effacent derrière les capitaux. Il a modifié l’aspect des fortunes et par conséquent l’idée que l’on s’en faisait et la conception même de la vie économique : la fortune n’est plus représentée par des biens concrets tels qu’un fonds de terre ou une usine, mais par des parts de revenu social dont le montant n’est pas fixe mais dépend de l’activité des entreprises dans lesquelles on possède une participation sous forme d’une valeur mobilière. Par le fait, le porteur d’une participation est lié à l’activité économique générale dont dépend sa fortune désormais, et comme, par l’intermédiaire notamment des sociétés anonymes et des bourses, tous les individus peuvent apporter leurs capitaux aux entreprises et participer à leurs résultats économiques, tous sont intéressés aux activités économiques : tous capitalistes. Ainsi une masse d’individus se trouve liée au capitalisme, non seulement comme consommateurs dont les besoins sont satisfaits par la production capitaliste ou comme travailleurs qui vendent leur travail aux entrepreneurs, mais comme titulaires de parts de revenu capitaliste, comme capitalistes eux-mêmes. Matériellement, psychologiquement et socialement, le capitalisme étend son influence, à travers les individus, sur la société tout entière : nous touchons là à l’un des processus par lesquels il a pu s’épanouir en un système de civilisation. […] Le marché des capitaux subit… une mondialisation analogue à celle qu’avait subie le marché des produits. Socialement ce marché se démocratise par la possibilité offerte à tous d’y jouer un rôle, techniquement il rend la vie économique plus active et plus complexe, psychologiquement il intègre les individus dans la société capitaliste, financièrement il internationalise les fortunes et les intérêts».(7)

C’est précisément ce contraste entre l’ancien marché boursier et celui issu de la Révolution industrielle qui frappe le plus les imaginations. Bouvier rappelle comment «cette banque ancienne en pleine mue est cachée au public, inconnue de lui. Elle n’a pour clientèle que des cercles étroits et opulents. Composée d’une sorte d’aristocratie des grandes opérations de commerce, elle ne fait les affaires que d’un petit nombre de personnes aisées».(8) Cette banque est secrète car longtemps elle vécut en marge des activités sociales. On l’a vu, le christianisme considérait comme diabolique ces calculs sibyllins qui permettaient à un capital de rapporter des intérêts. À ses yeux, seul le Travail pouvait accroître la richesse. Seule la vie pouvait multiplier la vie. Un rituel magique semblait gouverner l’univers des banques et des marchés financiers. Même les réformateurs protestants, à qui on attribue une dédouanement des interdits contres les activités usuraires, conservèrent les mises en garde romaines à l’égard des opérations financières, comme le rappelle R. H. Tawney: «Nul n’a le droit d’exiger de l’argent pour un prêt. Chacun peut, naturellement, partager les bénéfices d’une association, à condition qu’il partage les risques de l’associé. […] Chacun peut demander une compensation - interesse - si son capital ne lui est pas rendu au jour fixé; ou un paiement correspondant aux pertes subies ou aux gains auxquels il renonce. Chacun peut acheter des rentes annuelles, car le paiement est matière à spéculation, et non certain. […] Ce qui demeura jusqu’à la fin illégal fut ce que les manuels modernes d’économie politique qualifient d’“intérêt pur” - c’est-à-dire l’intérêt regardé comme paiement fixe stipulé d’avance pour un prêt d’argent ou de marchandises sans risques pour le prêteur».(9) Bien après le «contrat» entre Antonio et Shylock, le fameux exposé de Josiah Child de 1668 annonça une véritable science ouverte de la finance, mais, «malgré ce précoce exposé du rapport entre l’intérêt, le capital et le bien-être, les historiens ne soulignent jamais assez l’importance de la diminution de l’intérêt pendant le demi-siècle qui précéda la révolution industrielle. Si nous voulions trouver - ce qui serait un tort - une raison unique à l’accélération du développement économique vers le milieu du XVIIIe siècle, c’est à celle-ci que nous devrions penser. Les mines profondes, les fabriques solidement bâties, les canaux bien construits et les demeures cossues de la révolution industrielle, tout cela vient d’un capital relativement déprécié».(10) Comme le stéréotype social du temps le suggérait - et le retour des Juifs en Angleterre autorisé par Cromwell semblait confirmer l’impression -, les affaires de banques et de capital à intérêt étaient des affaires de Juifs auxquelles les bons chrétiens n’avaient ni à se mêler et avec lesquelles ils ne devaient pas se compromettre. Jusqu’au XVIIIe siècle, précisément, «les Rothschild n’ont été, à Francfort, grosse
Mayer Amschel Rothschild
place de commerce du couloir rhénan, que des marchands et changeurs de moyenne envergure, confinés dans la “Judengasse”».(11) Ce stéréotype joua d’ailleurs de deux manières : il contribua à dénigrer les activités de crédit d’une part, cantonnant le monde des banquiers dans l’usure occulte déjà soulignée, mais il créa des préjugés nouveaux, même parmi le monde de la finance qui persistait à ne pas élargir ses fonctions au-delà du prêt à la consommation, d’où leur symbiose avec les castes aristocratiques ou la classe marchande : «Ces banquiers privés sont pour la plupart des négociants : “merchant-bankers” dit-on à Londres. Ils ont d’ailleurs commencé par être seulement négociants; ils le demeurent; mais ils ont naturellement ajouté à leurs affaires en marchandises les affaires de banque qui, peu à peu, éclipsent - sans jamais les supprimer - les opérations anciennes».(12) Comme le remarque encore le biographe des Rothschild, leur histoire «n’a rien d’un développement continu, simplifié et comme en ligne droite. Ils ont pleinement participé aux contradictions et aux conflits de leur époque. Leur génie fut de s’y adapter et d’en avoir triomphé. […] “Un autre principe de Rothschild, adopté une fois pour toutes, est d’avancer avec le temps, et non de l’empêcher de tourner” [Gentz]».(13) D’où cette indépendance du politique qui marqua les premières générations de financiers du XIXe siècle : «…il ne s’agissait pas pour une firme, internationale par nature, de river son sort à un ministre, à une politique, à un régime».(14)

Cette non ingérence de la banque traditionnelle dans les querelles de succession de régimes protégea sans doute les dynasties financières, juives ou non, des terreurs de la tourmente révolutionnaire, mais elle ne les mit pas en état de résister au bouleversement financier qu’allait entraîner l’autre révolution, celle de la technique et de la production industrielle. Cette frilosité du milieu bancaire ne fut pas étrangère au retard pris par certains pays dans la course à la croissance pour l’occupation des marchés, ainsi face au dynamisme des investisseurs anglais «financièrement visionnaires et économiquement aveugles», comme les juge l’historien David Caute.(15) L’observateur mondain Capefigue brossa, à la date de 1852, «une esquisse d’un ton très juste; déjà valable un siècle plus tôt, elle convient non seulement aux banquiers auxquels l’auteur a voulu l’appliquer, mais plus largement à tout le négoce, un monde dont la cohésion reposait sur le respect des règles du jeu : “Dans l’histoire du monde, tandis que les dynasties tombent ou que les institutions se modifient par la marche des temps, au milieu des révolutions, il est une grande famille qui reste immobile dans sa puissance, dans sa force, dans son esprit, vivant dans une sorte de fraternité de crédit, dans un mutualisme de confiance, cette famille est celle des banquiers. N’est pas admis qui veut parmi les membres de cette dynastie; il ne suffit pas d’être riche, de prendre une patente, avec le titre et le nom de banquier, de se faire inscrire en cette qualité sur l’Almanach des adresses; il faut encore une longue suite d’affaires, une tradition de confiance et je dirai presque avoir des aïeux, comme les patriciens de Rome. Il est tel banquier à Venise, à Gênes, à Madrid, à Constantinople qui, riche à peine d’un ou deux millions, se trouvent en rapport (et pour ainsi dire sur le pied d’égalité avec MM. de Rothschild, Hope, Baring: on lui ouvre partout des crédits illimités, tandis que de fort riches capitalistes, des faiseurs d’affaires, des brocanteurs d’opérations avec des dix, vingt millions acquis, ne sont pas considérés comme banquiers. On accepte leur signature, on discute leur solvabilité et leurs valeurs, mais ils n’appartiennent pas à cette vaste famille de banquiers qui offre partout comme garantie sa responsabilité morale. Une fois admis dans cette haute famille il en résulte une sorte de solidarité”».(16) Qui ne pouvait pas ressentir la permanence des vieux stéréotypes occultes et magiques derrière ces accords secrets qui passaient par-dessus les intérêts des peuples et des nations? Le président américain Andrew Jackson, dont la démocratie était davantage une démagogie érigée sur la corruption, les pots-de-vin et les racines populaires à la limite de la rusticité de la Frontière et des sorcelleries indigènes, lutta jusqu’à l’extermination de la Banque des États-Unis (1833) pour des motifs qui n’excluent pas des craintes superstitieuses: «Sa peur des banques est le fond même de sa pensée. Les banques sont embarrassantes et mystérieuses; un honnête citoyen sans instruction n’y comprend pas un traître mot. Elles ont tant de pouvoir qu’elles sont une force politique; mais dans une démocratie, tout citoyen adulte sain devrait pouvoir juger de toutes les questions politiques. Par conséquent, tout ce qui est trop difficile pour que l’homme simple le comprenne est anti-démocratique, donc nuisible. La Banque des États-Unis, étant plus puissante que toutes les autres, est d’autant plus nuisible; puisque nous ne pouvons abolir toutes les banques, abolissons du moins la plus nuisible. Voilà à peu près, je crois, ce que Jackson pensait en cette matière, et pensant ainsi, il était le fidèle interprète de la volonté du peuple».(17) Il n’y a pas jusqu’à l’industriel allemand Krupp lui-même qui étalait ouvertement son mépris de la banque et des banquiers vers 1850: «…il a une aversion profonde pour les financiers de métier. Il préfère les crédits insuffisants et irréguliers de ses amis, plutôt que de se faire financer par un banquier. Il croit que c’est aussi important pour sa tâche que sa propre liberté. […] Il craint les banques et les banquiers, il les a en horreur, parce que c’est grâce à eux que toutes les entreprises véreuses, qui envahissent les Pays rhénans et westphaliens, ont été fondées au moment du développement de l’industrie et elles font une concurrence désagréable à la firme Krupp».(18)

Pour que la Révolution industrielle fasse du banquier un ingénieur en financement, il fallut d’abord que disparaissent (ou se reconvertissent, ce qui revient au même) les banquiers attitrés au marché traditionnel. Ce fut là l’œuvre de la Révolution française. Le XVIIIe siècle avait vu les ravages épouvantables des premières crises de type moderne: la déroute de Law sous la Régence en France et le South Sea Bubble dans l’Angleterre georgienne étaient de ces crises qui annonçaient des temps à venir tout en touchant essentiellement le monde étroit de la Finance. La crise endémique des États monarchiques, plus importante, devait conduire à la révolution de 1789. Comme le remarque Patrick Verley: «Dans une société préindustrielle ou peu industrialisée, le gage le plus apprécié en matière de prêt était le bien foncier ou immobilier: beaucoup des emprunts faits par les industriels étaient donc hypothécaires. Le comportement des premiers industriels, qui plaçaient une part de leurs gains en biens-fonds, ne témoignait donc pas seulement d’une attirance vers le genre de vie des élites anciennes, mais correspondait aussi à une logique de gestion: ils se ménageaient ainsi peut-être une source de revenus indépendante de la conjoncture industrielle, mais sûrement aussi la possibilité d’emprunter. L’efficacité de ces circuits anciens de l’argent explique que les premiers industriels aient eu relativement peu besoin des crédits bancaires pour investir».(19) Ce rapport privilégié entre la noblesse et les financiers finit donc par s’étendre aux affaires de l’État. En France, l’endettement national entraînait des effets dramatiques. Le roi se voyait forcé d’appeler de grands argentiers au Ministère des Finances en vue de négocier des emprunts aptes à éviter de taxer les privilégiés de la rente foncière, noblesse et haut clergé refusant systématiquement tout impôt qui, selon l’économie libérale, aurait réinjecté des sommes considérables dans la circulation alors que cette richesse se voyait stérilisée par les seules consommations improductives. Un banquier suisse et protestant tel que Necker pensait que le meilleur moyen pour satisfaire la noblesse et les besoins de l’État était les prêts consentis par des particuliers, ce qui avait, en plus, l’avantage de maintenir un lien de dépendance de l’État envers les plus fortunés. Necker fit la guerre au libéral Turgot, proche des physiocrates et des philosophes, qui aurait voulu une réorganisation complète de l’économie nationale sur des bases libérales. Le renvoie de Turgot et le rappel de Necker consacra l’irrésistibilité de la Révolution de 89 : «Le financier trouve les facilités de sa trésorerie en administrant l’impôt royal. C’est de l’État, c’est de l’autorité dont le revêt sa fonction administrative qu’il tire sa puissance, ce n’est pas du crédit privé. Le crédit anglais, lui, se soutient par lui-même sans aide extérieure d’aucune sorte».(20) Ce qui boitait jusqu’alors s’abattit lourdement sur lui-même: avec la Révolution française, «l’industrie s’arrête. Les mines d’Anzin sont paralysées, les hauts fourneaux du Creusot s’éteignent. L’économie se meurt, l’économie est morte. Deux énormes phénomènes traduisent cette extinction. D’abord, la montée d’un gouvernement de type socialiste sur les débris du libéralisme juridique; ensuite le succès des levées en masse au profit de l’armée. Seul, en effet, un gouvernement de type socialiste pouvait maintenir une économie sans crédit - et le comité de Salut public, mené par Robespierre, se lance effectivement, avec audace et à grande allure, dans le sens de la grande pente. Le crédit est mort? Détruisons les institutions de crédit, non seulement la Caisse d’Escompte mais les compagnies de commerce, les sociétés de capitaux, la Bourse. Les opérations de banque? Aux yeux des conventionnels bon teint, c’est de l’agiotage. - Le commerce de marchandises? c’est de la spéculation ou de l’accaparement. Et donc à mort les agioteurs, les spéculateurs, les accapareurs! À l’économie libérale ainsi pourchassée jusque dans ses derniers retranchements, se substitue l’énorme machinerie improvisée d’une économie planifiée : réquisition, maximum des prix, maximum des salaires, maximum général. […] Une dictature patriotique s’est substituée à la banque libérale […]. Mais il voyait clair, Danton, qui avant de se rapprocher dangereusement des agioteurs, avait conseillé aux armées de la République de ne pas hésiter à chercher sur le sol des pays libérés un entretien que la République ne pouvait guère fournir. L’armée est le grand exutoire de la population ouvrière, surtout urbaine, que toute la grande aventure patriotique méditée dans les ateliers désertés par les chalands. La levée en masse a été commandée par la destruction de l’économie avant de l’être par le célèbre décret. Ainsi les villes décongestionnées cesseront d’alimenter les troupes des sections. L’armée nationale se gonflant dégonfle les troupes révolutionnaires. Et plus est grand le succès des troupes régulières et plus fragile la position du Comité de Salut Public. [Du point de vue de Robespierre]: “la République est perdue, les brigands triomphent!” Les brigands? ce sont les financiers, les négociants, les munitionnaires».(21) Après certains réenlignements, surtout sous le Consulat et sous l’Empire, la Restauration consacra en France un retour aux anciennes liaisons privilégiées entre la Couronne et la Finance : «la Bourse de Paris spécule surtout sur la rente. Ainsi routes et canaux ce n’est pas l’initiative privée, comme en Angleterre, qui peut les construire, ce ne peut être, en France, que l’administration des Ponts-et-Chaussées payée par le budget de l’État».(22) Si le monarque n’avait rien oublié de la douceur de vivre de la fin de l’Ancien Régime, les banquiers, eux, avaient appris que peu importe la nature du régime, il valait mieux s’y adapter de manière adhésive, ce que fit Nathan Rothschild lorsqu’il alla s’établir en Angleterre: «Épousant en tous cas la politique du gouvernement britannique, il adapta parfaitement ses affaires financières aux intérêts anglais, artisan qu’il était lui-même, comme ses confrères, de ces intérêts, par ses activités de négociant et de prêteur au-dehors. Mais il demeura un banquier de vieux style, ou marchand d’argent. Il n’eut aucune audace, aucune prémonition industrielle. Il resta absolument étranger au démarrage de la construction ferroviaire en Angleterre en 1825-1830…»(23)

Le banquier Jacques Lafitte
Ces dérapages et ces adhérences passives ne favorisèrent donc pas le développement des organes de crédit en France ni dans les nations qui avaient subi l’occupation de la Grande Armée. L’esprit de routine paralysait les financiers au pouvoir, ce qui n’aidait pas ceux que le goût de vastes aventures industrielles pouvaient tenter : «Contre la révolution industrielle jouent un système bancaire inadapté à une économie moderne, l’esprit de routine propre à une société rurale, la faiblesse de l’industrie lourde».(24) Comme bien d’autres, les entreprises financières restaient essentiellement familiales auxquelles on ouvrait les porte aux échanges étrangères qu’en retour d’épousailles ou de fiançailles dynastiques. L’historien britannique Landes remarque qu’«il y avait beaucoup plus de chances en France, aux Pays-Bas ou en Allemagne, pour que la firme fût exclusivement familiale, et même pour qu’elle s’identifiât à la famille au point d’en être quasiment indiscernable. L’entrepreneur anglais, lui, avait fait du chemin : il regardait telle ou telle opération industrielle comme le moyen d’une fin, comme un dispositif à utiliser rationnellement pour faire de l’argent. Pour ses concurrents d’outre-Manche, au contraire, la firme, conjointement avec la famille dont elle aidait à faire la réputation et à qui elle valait son genre de vie, était une fin en soi : ce qui ne manquait pas à son tour d’être d’une grande conséquence pour la conduite de l’entreprise. Il était difficile, dans un tel état d’esprit, de considérer les techniques et les produits d’un œil impersonnel, de sacrifier si nécessaire la qualité à la quantité, d’abandonner les méthodes traditionnelles quand on pouvait se procurer des outils et adopter des procédés plus efficaces. On prenait grand souci de la sécurité; quand il fallait décider de l’investissement, on finissait par surestimer les risques. On ne se trouvait guère encouragé à employer le capital du dehors, prêts à long terme ou mises de fonds; et comme la firme n’avait plus à compter que sur elle-même, ses possibilités d’expansion étaient rigoureusement limitées, et l’on y pratiquait volontiers une politique de mise à prix qui portait au maximum le profit sur l’unité plutôt que le profit global».(25)

Lionel Nathan de Rothschild introduit à la Chambre des Communes (26 Juillet 1858) par Lord John Russell et M. John Abel Smith peint par Henry Barraud, 1872
Dans les pays anglo-saxons, «au contraire de ce qui se passait en France, les capitaux privés anglais étaient tout disposés à s’investir dans des fondations industrielles. Un dirigisme colbertien et la création de manufactures d’État étaient rendus complètement inutiles puisque les capitalistes, qui devaient leur fortune au grand commerce, étaient les plus empressés à accueillir l’initiative d’entreprises et de techniques nouvelles».(26) Aussi, les rapports entre la Banque et l’Industrie se sont rapidement mieux structurés : «En Angleterre un large développement du crédit a précédé la mise en place du machinisme. La loi de 1693 laissait aux sociétés de moins de six personnes pleine liberté d’ouvrir un commerce de banque. En 1786 il y en avait un très grand nombre, et les six années qui suivent sont les “années d’or” de l’activité bancaire. Pas de ville anglaise qui n’ait sa banque en 1793. Un si abondant crédit vivifiait le commerce, assouplissait les institutions corporatives, développait l’esprit d’initiative et une psychologie du risque économique en un progrès parallèle à celui du parlementarisme né aussi de la révolution de 1688. Bref le machinisme s’installe en Angleterre sans provoquer les terribles secousses dont il va briser les institutions politiques continentales».(27) Ainsi, est-ce donc dès le second XVIIIe siècle que s’est opérée une véritable floraison du réseau bancaire anglais: «Quelques maisons s’affirment peu à peu et leur nombre croît au fil des années. À Londres, d’une vingtaine vers 1750, elles passent à une cinquantaine dans les années 1770 et sont près de 70 à la fin du siècle; certaines ont des racines provinciales: Abel Smith de Nottingham s’associe à Payne de Londres et, en 1773, Smith, Payne et Smith constitue une banque importante de Lombard Street; la firme voisine avec Taylor, Llyod, Bowman and Co. à partir de 1785 et Taylor et Lloyd viennent de Birmingham; d’aucunes se sont constitué de véritables réseaux de banques-clientes dans les comtés: la firme Down, Thornton and Free, née en 1782, gagne à sa clientèle 20 à 30 banques provinciales réparties de Glasgow à Tiverton, de Scarborough à Winchester. Le grand fait nouveau est d’ailleurs l’essor de l’activité bancaire hors de Londres. Aux trois grandes banques écossaises, s’ajoutent avant 1770 une quinzaine de banques privées à Edimbourg, Glasgow, Aberdeen. Une Banque d’Irlande reçoit sa charte le 15 mai 1783, et Dublin conserve, en plus, ses maisons privées. En Angleterre, 150 banques provinciales existent en 1776, 280 vers 1790, 330 en 1800. À cette dernière date, il y avait 54 banques en Écosse. Norwich, Birmingham, Manchester, Leeds sont des métropoles régionales, au même titre que Londres, Glasgow, Dublin, et nombre de maisons se dotent de succursales. Toutes ces banques sont en général constituées par l’apport des capitaux de plusieurs associés, six au maximum en Angleterre, selon la loi. Toutes les banques anglaises ont des liens avec une banque londonienne ou des correspondants à Londres; seules la Banque Royale d’Écosse et la Banque d’Écosse utilisent directement les services de Banque d’Angleterre».(28) D’autre part, comme le rappelle l’historien Patrick Verley : «La négoce non colonial fut plus ouvert aux besoins industriels. Les marchands de charbon investirent dans les mines en Grande-Bretagne. Mais cette intégration vers l’amont fut surtout le fait des marchands-manufacturiers, qui, pour assurer leur approvisionnement, placèrent leurs capitaux dans l’industrie du coton et de la laine. Ils étaient déjà des entrepreneurs aptes à saisir l’importance des formes nouvelles de la production et donc capables d’y investir. Ils firent la transition entre proto-industrialisation et industrialisation».(29) Certes, comme le souligne, pour sa part, T. S. Ashton : «l’accumulation… n’entraîne pas automatiquement la création de capitaux utiles : ce fut non seulement la volonté d’épargner, mais aussi la volonté d’employer productivement cette épargne, qui s’accrut alors».(30) Chose certaine, et fort pratique pour le loueur d’argent, «malgré ses imperfections, le système bancaire britannique était dès 1790 le plus complexe et le plus élaboré du monde. L’habitude d’utiliser le papier-monnaie était fort répandue dans un Royaume dont les réserves d’or n’auraient pas excédé 20 millions de livres. Les possibilités de crédit étaient infiniment plus développées que dans la France de la fin de l’Ancien Régime».(31) De sorte qu’au cours du premier XIXe siècle, «l’exemple de l’Écosse, vanté par Thomas Joplin, dans sa brochure, parue en 1822, sur “Les principes généraux et la pratique actuelle de la banque en Angleterre et en Écosse”, fut-il accueilli avec faveur. Les banquiers écossais s’étaient groupés pour former des banques par actions, qu’autorisait la législation du pays. Les banques étaient peu nombreuses (36 en 1826), mais puissantes parce que fondées sur une réunion de capitaux, et strictement limitées aux opérations de caractère bancaire. Le type en était la Banque d’Aberdeen, fondée en 1767, au capital initial de 75 000 livres, en actions de 150 £. En 1826, elle comptait 446 actionnaires. D’autres banques locales avaient très peu d’actionnaires : six pour la Paisley Bank, cinq pour la Stirling Bank. Il en existait d’autres, plus importantes, dont le siège était à Edimbourg, avec des agences dans diverses villes d’Écosse. Caractère nouveau: tous ces banquiers acceptaient les dépôts de la clientèle, à partir de 10 livres, et versaient un intérêt sur les comptes-courants. Bref, on trouvait là des méthodes de travail nouvelles, fécondes, et surtout qui avaient résisté au temps, puisque nombre d’entre elles avaient passé sans encombre les crises successives. Ce type de banque s’imposa, et en 1826, le Parlement autorisa l’ouverture de banques par actions en dehors d’un rayon de 65 milles autour de Londres, pourvu que les actionnaires fussent responsables sans limite pour toutes les dettes de l’affaire».(32) Aux États-Unis, la chose fut encore plus remarquable dans la mesure où le destin du système bancaire se trouva lié à celui de la fièvre des chemins de fer. Le célèbre scandale qui ternit la présidence de Grant, celui du Crédit mobilier, consiste dans le fait que les actionnaires du Crédit mobilier étaient les bailleurs de fonds de l’Union Pacific. L’entreprise financière «était la propriété de sept personnes, qui détenaient presque toutes les actions de l’Union Pacific. Cette société fut capitalisée à 4 000 000 de dollars… Le contrat de construction avait été élaboré par Oakes Ames, député et promoteur. En leur capacité d’actionnaires, les membres du Crédit mobilier passaient des contrats avec… eux-mêmes, en tant que constructeurs. Ils se payaient eux-mêmes en obligations de première hypothèque, en actions et en argent obtenu grâce à la vente d’actions. Pendant l’année 1868, alors que la voie ferrée était près d’être terminée, le Crédit mobilier distribua cinq dividendes. Si l’on estime les obligations et les actions à leur valeur la plus faible sur le marché, les dividendes de cette année-là s’élevaient à 341 dollars 85 pour chaque action de 100 dollars».(33) La fusion du capital financier et du capital industriel atteignait un véritable point de non retour.

Alors que le crédit fait rouler la production à plein régime dans l’industrialisation américaine, en Europe, il ne joua pratiquement aucun rôle dans l’envol de la Révolution industrielle. Malgré ce réseau bien structuré, le lien qui unit le crédit à la Révolution industrielle resta longtemps un lien purement conjoncturel et ce, à un point tel, que le crédit apparaît plutôt comme un produit de la Révolution industrielle et non l’inverse. Ashton le premier a tenu à souligner le fait : «“Le capital industriel s’est essentiellement engendré lui-même”. […] Quand le duc de Bridgewater construisit son canal, il tira vingt-cinq mille livres de Child et Cie; Arkwright, montant ses métiers, obtint une aide substantielle de Wright, de Nottingham; en 1778, Matthew Boulton, péniblement engagé dans ses constructions mécaniques de Cornouailles, eut un crédit de quatorze mille livres chez Lowe, Vere et Cie, de Londres, et emprunta peu après deux mille livres à Elliot et Praed, de Truro. En dépit de cela et de beaucoup d’autres exemples analogues, on peut douter que le système bancaire ait représenté une source essentielle de ce capital qui devait permettre aux nouvelles techniques de perfectionner les fabrications».(34) La révolution s’est déroulée dans les marges étroites d’un capitalisme auto-reproducteur, parfaitement adapté au type de machineries de la première industrialisation : «Les premières machines, si compliquées qu’elles fussent pour les contemporains, n’en étaient pas moins de modestes et rudimentaires appareils de bois, que l’on pouvait construire pour des sommes étonnamment faibles. Une jenny (machine à filer) de quarante broches coûtait peut-être 6 livres sterling en 1792; les cardeuses à grosses ou petites cardes coûtaient 1 livre par pouce de largeur de rouleau; une boudineuse à trente broches coûtait 10 livres et 10 shillings. Encore était-ce là le prix du neuf. Des annonces proposaient souvent ce genre d’outillage déjà usagé à des prix beaucoup plus bas. Les seuls articles d’investissement permanent qui fussent réellement coûteux à cette époque, c’étaient les bâtiments et l’énergie, mais l’historien doit se rappeler ici que la grande fabrique à plusieurs étages, spectacle impressionnant pour les contemporains, n’était encore que l’exception…».(35) D’autres historiens sont venus nourrir la thèse de Ashton : «À l’origine de nombre d’affaires industrielles, on trouve un apport de capitaux, individuels ou familiaux, de faible valeur, quoique suffisant. Robert Owen débuta avec un capital de 100 livres, emprunté à son frère et conclut une association avec un fabricant de métiers, en 1789. Vingt ans plus tard, il était capable de rembourser comptant, à ses associés, 84 000 livres. L’entreprise métallurgique des frères Walker débuta en 1741 par une petite forge, dont la valeur était estimée à 400 livres, fournies par les trois frères et un de leurs anciens employés. […] L’autofinancement est donc la règle générale et comme le relève Phyllis Deane, “jusqu’à une date avancée du XIXe siècle, de loin la grosse masse des investissements britanniques fut financée par le réemploi des profits dans les industries qui les produisaient”. Dans bien des cas, les premiers industriels ont exercé des activités multiples qui ont aidé à financer leurs réalisations industrielles…».(36) Le coût de chaque innovation pouvait être ainsi facilement absorbé, même avec un faible crédit et rapportée très vite de substantiels profits : «En fait, les débuts de l’industrialisation nécessitèrent peu de capitaux : le préfinancement fut rarement un problème. En Grande-Bretagne, la part de l’investissement industriel serait d’environ 25% du total de 1770 à 1830. Deux raisons expliquent cette modération des besoins en capital fixe : l’étroitesse des secteurs concernés par la Révolution industrielle, le coton et la métallurgie, et la faiblesse des capitaux de départ d’une entreprise nouvelle. […] Mais dans la seconde moitié du siècle, avec la deuxième Révolution industrielle, les capitaux devinrent énormes pour démarrer une aciérie ou une entreprise chimique. Le problème du préfinancement allait se poser très différemment pour les pays à industrialisation tardive».(37) À quoi servit alors ce superbe réseau financier qui avait été mis en place dans la seconde moitié du XVIIIe siècle? Pour Ashton: «la principale contribution des banques à la révolution industrielle, il faut la voir dans la mobilité qu’elles donnèrent aux fonds à court terme et dans le transfert qu’elles en permirent, des zones où l’on avait peu besoin de capitaux à celles où ils étaient très demandés».(38) Ce ne serait donc qu’avec la progression du siècle que le crédit finit par s’imposer de plus en plus : «Lorsque l’entreprise se fondait, elle avait donc besoin de peu de capital fixe; en revanche, il lui fallait beaucoup de capital circulant pour les matières premières, les salaires et les frais divers. Jusque vers 1830, en Grande-Bretagne, le capital fixe ne dépassait pas un septième des actifs des entreprises; dans la métallurgie, il atteignait la moitié; seules les filatures dépassaient de peu cette proportion. Mais les structures commerciales et bancaires existantes permettaient d’accorder ce crédit à court terme. Les négociants acceptaient en paiement des fournitures et en avance sur les ventes du papier commercial escomptable».(39) De plus, si l’entreprise éprouvait quelques difficultés, elle pouvait toujours bénéficier du solide réseau bancaire mis simultanément en place : «De même la structure de firme était plus ouverte et rationnelle en Angleterre que dans les pays continentaux. Partout l’unité de base des affaires était la propriété individuelle ou l’association de type familial; mais tandis que dans un pays comme la France, l’entreprise familiale était à peu près toujours fermée aux gens du dehors, les entrepreneurs anglais étaient beaucoup plus disposés à se mettre en association avec des amis, ou avec des amis d’amis. On peut même dire que ce fut là la méthode préférée de celui qui cherchait des capitaux pour s’agrandir, ou qui désirait attirer des talents particuliers dns son entreprise, et se les attacher».(40) Bref : «Le marché financier fut donc une source mineure de financement industriel. En règle générale, l’industrie finança l’industrie».(41) La marge de manœuvre des entrepreneurs étant étroite, la liberté d’entreprise était corsetée dans une série de contraintes qui rendait préférable de s’en tenir à l’autofinancement plutôt qu’aux emprunts trop risqués : «le progrès technique continu rendit ensuite indispensable l’acquisition de machines à filer et de métiers de plus en plus aptes à un rendement accru. Tout industriel était contraint par la concurrence et, compte tenu du développement technique, à opérer de tels investissements financiers. Ces réinvestissements ne pouvaient être réalisés que par l’auto-financement, c’est-à-dire que grâce aux bénéfices. Les “capitalistes” devaient pour leur part consentir une contribution sans cesse croissante à l’accroissement du rendement, ce que la théorie de l’économie politique n’a reconnu que beaucoup plus tard. Il devait s’écouler bien du temps avant qu’on en arrive au calcul moderne des frais qui doit ranger l’amortissement des machines dans les “frais fixes” d’un bilan».(42)

Ce n’est donc qu’avec la seconde révolution industrielle que, les Rothschild durent, «dans les dernières années de leur existence s’adapter aux exigences du temps moderne : les banquiers ne peuvent plus vivre de l’État et ne lui avancent plus d’argent. C’est l’époque où la maîtrise n’appartient plus à celui qui sait manier de l’argent, mais aux inventeurs, aux créateurs, à ceux qui font “fumer des cheminées” et rouler des wagons».(43) Le système financier continental, en retard sur le système britannique, se devait de rattraper le temps perdu : «La révolution prit deux aspects. L’un d’eux fut un élargissement incroyable de la clientèle des services bancaires et du crédit. Ici, comme dans la production industrielle de masse, l’Angleterre montra la voie. Elle “vulgarisa” de bonne heure le marché de l’argent, et ce fut, nous l’avons vu, la source d’une grande vigueur économique; l’essor des grands établissements d’escompte et des banques commerciales par actions… entretinrent le processus. […] Toutefois, c’est la deuxième partie de cette révolution qui compta plus pour le développement industriel : l’essor de la banque d’investissement par actions. C’était là une innovation continentale […]., C’est en Belgique que l’institution prit le départ. La Société Générale (fondée en 1822; commença par des prêts sur hypothèques à l’entreprise industrielle dans les années 1820…} et la Banque de Belgique (1835) favorisèrent un rapide essor des sociétés minières et métallurgiques dans les années 1835-1838, ce qui explique la précocité de l’industrialisation en Belgique. Dans les années 1840, les Français revinrent à la charge et fondèrent des établissements qui équivalaient en fait à des banques d’investissement (caisses), et prirent la forme de sociétés en commandite par action faute d’approbation officielle pour des sociétés anonymes dans les règles. Mais c’est seulement dans les années 1850 que la société financière collective trouva prise - d’abord en France où les frères Pereire fondèrent le Crédit Mobilier (1852) qui donna à l’institution l’un de ses noms génériques, puis en Allemagne, en Autriche, en Italie et en Hollande, et finalement, à partir des années 1860, d’un bout à l’autre du monde des affaires…».(44) Au cours du second XIXe siècle, en effet, le système financier continental s’ouvrit un peu plus à la variété des affaires : «La démocratisation s’étend d’ailleurs jusque sur le marché des capitaux privés. En novembre 1852, les frères Émile et Isaac Péreire fondent, avec l’assentiment de l’empereur [Napoléon III, lui-même saint-simonien], le Crédit Mobilier, la première banque immobilière moderne. Le Crédit Mobilier commence avec un capital de 60 millions de francs, divisé en 120,000 actions de 500 francs. Par suite, chaque personne possédant quelques économies peut participer à l’entreprise et devenir actionnaire. L’argent qui rentre en effet en deux ans est d’abord utilisé principalement à la fondation de sociétés industrielles et de chemins de fer. L’entreprise mère marche tellement bien que, quelques années plus tard, la société augmente son capital de soixante millions. Elle verse 35 pour cent de dividende et se constitue une réserve; elle a en effet réalisé en un an 24 millions et demi de bénéfices reconnus. Rothschild a maintenant un adversaire avec lequel il engage une lutte âpre…».(45)

Ce Crédit Mobilier saint-simonien n’avait rien en commun avec ce que sera le Crédit mobilier des escrocs américains. Ce voulait être un fond de financement aux entreprises industrielles qui ne trouvaient pas, sur le marché de l’argent traditionnel, le secours nécessaire au démarrage de leurs entreprises. Mais, là encore, la routine des opérations liées aux rentes des petits épargnants pesa lourdement sur la disponibilité des capitaux pour aider aux entreprises industrielles. Il est vrai qu’«un banquier est toujours tenté par la perspective du gain, mais doit calculer le risque. Or l’investissement industriel massif était une opération inconnue, parce que nouvelle».(46) Un accord tacite liait plus facilement la Haute-banque avec les petits épargnants : «Habilement flattés par les conseils d’administration omnipotents qui gèrent les sociétés sans leur rendre des comptes trop précis, ils misent sur les entreprises sûres, aux capitaux garantis par les grands noms de la finance et de la politique. La rente ou l’emprunt d’État, l’obligation ferroviaire, l’investissement étranger rentable ont leur préférence. Car quelques expériences malheureuses de spéculations et de faillites les rendent prudents. Parfois un patrimoine immobilier urbain complète leur fortune. Ils sont déjà 170 000 en Grande-Bretagne vers 1860, recrutant surtout chez les femmes célibataires et les veuves. En France, vers 1890, ils dépassent 500 000. Cette petite bourgeoisie parcimonieuse, confiante dans la stabilité monétaire, vivant sans gêne du travail des autres, est le témoignage le plus sûr du triomphe du capitalisme. Sans être vraiment les détenteurs et les maîtres du capital, ils en vivent avec ostentation. La révolution industrielle leur a livré le monde. Elle a réussi à les détourner en partie des vieilles nostalgies foncières».(47) Sous le Second Empire (1852-1870), l’affrontement entre les Pereire, banquiers appartenant au cercle saint-simonien et les Rothschild prit de véritables allures d’un affrontement militaire entre le Progrès et la Routine, symptomatique contradiction qui semblait condamner l’anomie entre le Futurisme des uns et l’Archaïsme des autres: «Le baron de Rohschild, écrit Feydeau [Il s’agit du vaudevilliste], faisait des affaires avec sa fortune; les frères Pereire, à l’exemple de Mirès, travaillaient avec l’argent du public… Le malheureux banquier commandité - Péreire, N.D.E. - est esclave de ses actionnaires… À tout prix, il faut qu’il réussisse… Au contraire, le banquier qui travaille avec ses propres capitaux n’a de comptes à rendre à personne; il suit, en toute liberté, les inspirations de son génie… Il est toujours maître de ses affaires».(48) Voilà pourquoi, finalement, Rothschild parvint à bout de l’expérience saint-simonienne. L’effet bénéfique, toutefois, fut de convertir les traditionnels à l’entreprise industrielle : «Salomon, à Vienne, devenu tout à fait l’intime de Metternich après la mort de Gentz en 1832 à soixante-dix-huit ans, paraît avoir eu un vif esprit d’entreprise; dans les années trente, il brassait des affaires de houille en Dalmatie, de sidérurgie (usine de Witkowitz) de mercure (à Idria), de navigation à Trieste - le Triestiner Lloyd, 1836 - et de chemin de fer. Il fut le premier des cinq frères à se lancer dans le patronage d’une société ferroviaire, la première établie en Autriche, dite “du Nord”, ou “Chemin de fer de l’empereur Ferdinand” qui, sur une centaine de kilomètres, devait unir Vienne à l’industrieux couloir morave».(49) En fait, «au milieu du XIXe siècle les banques nouvelles contribuèrent moins au développement industriel qu’à la création des infrastructures nécessaires à l’industrialisation. Les choix bancaires sont dans la logique de l’économie, au carrefour des demandes des entrepreneurs et des occasions de profit, qui dès le milieu du siècle rendirent plus attractifs les investissements dans les pays moins développés où les taux d’intérêt étaient plus élevés».(50) Ce qui, en Europe, força la fusion des deux types de capital, c’est la concurrence coloniale du second XIXe siècle. Comme la conquête de l’Ouest américain avait entraîné la collusion des actionnaires du Crédit mobilier et de l’Union Pacific, la solution coloniale répondait à la fois à l’approvisionnement à moindre coût des matières premières et un marché tout approprié pour écouler le dumping de la surproduction métropolitaine. Il fallait des sources d’approvisionnement en capitaux et des marchés d’écoulement nouveaux pour résister aussi bien aux menaces de la crise qu’aux dangers que faisaient peser la surproduction éminente.

Mais, paradoxalement, le crédit bénéficia beaucoup des hérétiques socialistes. Robert Owen, industriel audacieux, y participa. Les saint-simoniens furent les apôtres du crédit. Sous la poussée de l’industrialisation, «les socialistes, sensibles à cette évolution, ont tenté, dès le début du XIXe siècle, de l’organiser dans l’intérêt collectif, pour activer la production industrielle dans un sens favorable au grand nombre. Ce ne sont pas seulement Saint-Simon et les Saint-Simoniens Enfantin et Pereire que de telles opérations ont tentés, mais aussi Louis Blanc et Proudhon, les Fouriéristes et Lamennais. Ils ont songé, les uns et les autres, à transformer le régime industriel en s’appuyant sur ces données financières qui leur paraissaient miraculeuses; et ils se sont attachés à ce point de vue d’autant plus facilement qu’en se répandant le capitalisme s’était fait de plus en plus souple en devenant incorporel. Crédit, c’est créance et croyance; et leur imagination s’emparait de l’avenir avec cette même souplesse…».(51) La révolution de 1848, qui renversa un régime qui avait été en symbiose avec les milieux financiers, encouragea certains socialistes, tel Louis Blanc, à suggérer «de substituer à la commandite du crédit individuel celle du crédit de l’État. L’État, jusqu’à ce que les prolétaires soient émancipés, doit se faire le banquier des pauvres».(52) De son côté, Proudhon également militait en faveur du crédit… aux travailleurs : «Le crédit, pour Proudhon, n’est pas le crédit ordinaire : le crédit financier; c’est un crédit gratuit. Le crédit doit être gratuit, un crédit pour pauvres. Une idée de Proudhon, mais aussi une idée de deux autres socialistes du temps, Pierre Leroux et Enfantin. Proudhon a eu l’idée d’organiser ce crédit gratuit grâce à une institution qu’il a appelée la banque du peuple. Il a voulu mettre à la portée de tous, grâce à un syndicat de production et de consommation l’usage des instruments de travail, en dehors de l’État, en somme, démocratiser l’usage du crédit, ou socialiser le crédit : c’est le mutuellisme».(53) Ce qui sembla, finalement, donner l’impulsion définitive au crédit, impulsion qu’il ne tirait pas comme il le fallait de l’industrie même, c’est la sévère crise de 1846 qui projetta devant les yeux de la bourgeoisie capitaliste le fait que le rendement de la nouvelle économie-machine avait ses propres limites et que ces limites pouvaient être rapidement atteintes si le système négligeait à se renouveler. De plus, ces blocages pouvaient susciter des remous suffisamment graves, comme allait le démontrer la révolution, deux ans plus tard, pour forcer l’innovation du crédit et mener la lutte à la routine, dans ce secteur comme dans tous les autres de la production.

James Rothschild (France)
En un siècle, le monde des affaires financières et de la Banque avait bien changé. La puissance de Rothschild, si éclatante après Waterloo, s’alanguissait doucement. Si Londres, encore pour un siècle, fit la pluie et le beau temps sur les grands marchés des opérations financières, le type du banquier animé du vieil esprit capitaliste se voyait obligé de muer sous l’impact des effets de l’industrialisation. Dans son requiem sur les Rothschild, Robert Lewinsohn montre assez bien comment ils furent les derniers banquiers d’une vieille tradition d’Ancien Régime : «Si malgré tout les Rothschild n’ont pas laissé grand’chose derrière eux, si aucune grande industrie ne se rattache à leur nom, comme à ceux de Rockefeller et de Ford, s’ils n’ont formé aucun jeune État ou aucun territoire colonial, s’ils n’ont rendu possible aucune grande découverte et s’ils n’ont provoqué aucun déplacement de peuple, cela provient en dernière analyse de ce qu’ils n’étaient que banquiers et qu’ils n’essayèrent jamais, comme Morgan, d’attirer à eux, par leur banque, une matière de grande valeur, afin de pouvoir ensuite dominer toute une industrie ou des réseaux entiers de chemins de fer. […] Ils n’ont pas seulement su faire produire de l’argent par de l’argent, ils ont été capables de conserver pendant plus d’un siècle la plus grande partie de leur richesse formidable en valeurs mobilières…».(54) Les Rothschild étaient des banquiers d’Ancien Régime attardés à l’ère de l’Industrialisation. Leurs opérations finirent par déteindre de manière archaïque sur le développement des institutions. L’avenir, là aussi, appartenait aux Américains, à des banquiers du type de John Pierpont Morgan, fondateur de cartel et capable d’associer les opérations bancaires à l’acierie et aux transports : «Mais le point fondamental de l’Empire de Morgan reste la Banque. C’est grâce à elle qu’il put exercer sa suprématie sur l’industrie et les transports, c’est pour elle qu’il conquit la puissance et la fortune. La réputation et le crédit que Morgan s’est assurés sur le marché international, en particulier dans l’émission d’obligations de chemins de fer, en ont fait très vite un banquier d’État. Le placement de l’emprunt du milliard des États-Unis en 1877 avait déjà classé la firme Drexel, Morgan et Cie à Londres parmi les plus grandes banques à côté de celle des Rothschild».(55) Force est de conclure que la Révolution industrielle eût plus d’impact sur le cours de l’histoire financière que le crédit n’en eût sur le développement industriel. Les inventions techniques et les mises en marché de la production façonnèrent davantage l’économie que les actions du crédit.

Après la crise de 1929, le crédit s'étendit de la production à la consommation de masse. Par le fait même, il quitta les hautes sphères du financement d’entreprise pour devenir un service privé au consommateur. Le boom d’après la Seconde Guerre mondiale, au moment de la reconversion de l’industrie de guerre en industrie de consommation, et surtout en production de matériaux électro-ménagers et de divertissements, évita la crise de la surproduction en inventant la «carte de crédit», dont l’avenir est toujours devant nous. Le taux d’endettement ne regarde plus seulement la faillite des entrepreneurs industriels ni même des États, mais de tout un chacun comme jamais le monde n’en a connu. La réclamation de Shylock ne réside plus dans une livre de chair - il n’en a plus besoin -, mais une livre d’angoisses. C'est le fardeau surréaliste des dettes nationales et l'inflation qui ne cesse, par l'augmentation des prix, de diminuer le pouvoir d'achat des individus, sollicité par l'aide du crédit. Dettes et inflation se substituent progressivement à la balance commerciale pour définir la richesse des nations, tant ils sont mécaniquement imbriquées les unes dans l'autre. Les corporations financières, bancaires ou compagnies d'assurances sont devenues les vautours qui rongent le foie de la civilisation. Ce cercle vicieux des emprunts, des faillites, des recouvrements et des effacements de dettes reproduit la magie noire de Faust, rattaché au «pacte» de la carte de crédit : la part du risque des anciens capitalistes passe du créditeur au débiteur. C'est celui qui fait des achats sans provision qui devient la proie des négociateurs de faillites, syndics ou huissiers. Et s'il n'est plus emprisonné pour dettes, certains de ses «complices» se ramassent toutefois en procès devant les tribunaux pour fraudes et escroqueries. Voilà le cercle vicieux qui entraîne de nombreux créanciers et emprunteurs insolvables dans le gouffre de la perte de fortunes, des fonds de pension, qui grève les revenus, précipite dans la misère, et encore pour un certain temps, dans la honte. Shylock obtient ainsi sa vengeance là où elle blesse, beaucoup plus au ventre qu'au cœur⌛
Montréal
17 septembre 2012

Une grande partie de ce texte est tiré d'un sous-chapitre d'un ouvrage inédit: La machine infernale, dans la série Le Testament de l'Occident, t. 11.
  1.  J. Maillet. Histoire des faits économiques, Paris, Payot, Col. Bibliothèque historique, 1952, pp. 326-327.
  2. J. Bouvier. Les Rothschild, Paris, Fayard, Col. L'histoire sans frontières, 1967, pp. 50-51.
  3. L. Bergeron. Les capitalistes en France, Paris, Gallimard, Col. Archives, # 70, 1978, pp. 101-102.
  4. L. Bergeron. ibid. p. 102.
  5. M. Leroy, Histoire des idées sociales en France, t. 2. de Babeuf à Tocqueville, Paris, Gallimard, Col. Bibliothèque des idées, 1962, p. 218.
  6. L. Bergeron. op. cit. p. 136-137.
  7. J. Maillet. op. cit. pp. 327-328.
  8. J. Bouvier. op. cit. p. 51.
  9. R. H. Tawney. La religion et l'essor du capitalisme, Paris, Marcel Rivière & Cie, Col. Bibliothèque d’Histoire économique et sociale, 1951, pp. 47-48.
  10. T. S. Ashton. La révolution industrielle 1760-1830, Paris, Plon, Col. Civilisations d’hier et d’aujourd’hui, s.d., p. 14.
  11. J. Bouvier. op. cit. p. 15.
  12. J. Bouvier. ibid. p. 48.
  13. J. Bouvier. ibid. p. 60 et cit. p. 80.
  14. J. Bouvier. ibid. p. 88.
  15. D. Caute. La Gauche en Europe depuis 1789, Paris, Hachette, Col. L’Univers des Connaissances, # 3, 1966, p. 74.
  16. L. Bergeron. op. cit. pp. 39-40.
  17. B. Russell. Histoire des idées au 19e siècle, Paris, Gallimard, Col. Bibliothèque des Idées, 1951, p. 233.
  18. R. Lewinsohn.  À la conquête de la richesse, Paris, Payot, Col. L’Histoire de notre temps, 1928, p. 164.
  19. P. Verley. La Révolution industrielle, Paris, Gallimard, Col. Folio/histoire, # 77, 1997, p. 71.
  20. C. Morazé. Les Bourgeois conquérants, Paris, Armand Colin, Col. Destin du monde, 1957, p. 121.
  21. C. Morazé. ibid. pp. 126 et 127.
  22. C. Morazé. ibid. p. 139.
  23. J. Bouvier. op. cit. pp. 106-107.
  24. J. Sigman. 1848 Les révolutions romantiques et démocratiques de l’Europe, Paris, Calmann-Lévy, Col. Les grandes vagues révolutionnaires, 1970, p. 73.
  25. D. S. Landes. L’Europe technicienne ou le Prométhée libéré, Paris, Gallimard, Col. Bibliothèque des histoires, 1975, p. 185.
  26. P. Rousseau. Histoire des techniques et des inventions, Paris, Hachette, 1967, p. 141.
  27. C. Morazé. op. cit. p. 110.
  28. R. Marx. La Révolution industrielle en Grande-Bretagne, Paris, Armand Collin, Col. U2, 1970, pp. 65-66.
  29. P. Verley. op. cit. p. 182.
  30. T. S. Ashton. op. cit. p. 11.
  31. R. Marx. op. cit. p. 70.
  32. C. Fohlen, in Parias, Louis-Henri (éd.) Histoire générale du Travail, t. 3: L’ère des révolutions, Paris, Nouvelle Librairie de France, s.d., p. 133.
  33. M. Debouzy. Le capitalisme «sauvage» aux États-Unis, Paris, Seuil, 1972, p. 64.
  34. T. S. Ashton. op. cit. pp. 122 et 137.
  35. D. S. Landes. op. cit. pp. 94-95.
  36. C. Fohlen. Qu’est-ce que la Révolution industrielle? Paris, Robert Laffont, Col. Science nouvelle, 1971, pp. 87 et 88.
  37. P. Verley. op. cit. pp. 183 et 185.
  38. T. S. Ashton. op. cit. p. 138.
  39. P. Verley. op. cit. p. 185.
  40. D. S. Landes. op. cit. p. 105.
  41. P. Verley. op. cit. p. 187.
  42. M. Pietsch. La révolution industrielle, Paris, Payot, Col. P.B.P. # 39, 1961, p. 55.
  43. R. Lewinsohn. op. cit. p. 63.
  44. D. S. Landes. op. cit. pp. 284 et 286.
  45. R. Lewinsohn. op. cit. pp. 66-67.
  46. J. Bouvier. op. cit. p. 120.
  47. J.-P. Rioux. La révolution industrielle, Paris, Seuil, Col. Points-Histoire, # H6, 1971 pp. 208-209.
  48. J. Bouvier. op. cit. p. 194.
  49. J. Bouvier. ibid. p. 109.
  50. P. Verley. op. cit. p. 170.
  51. M. Leroy. op. cit. t. 2, p. 218.
  52. Cité in J. Le Yaouang. 1848 en Europe, Paris, P.U.F., Col. Dossier Clio, # 72, 1974, p. 23.
  53. M. Leroy. op. cit. t. 2, p. 499.
  54. R. Lewinsohn. op. cit. pp. 92 et 93.
  55. R. Lewinsohn. ibid. p. 139.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire